Crise agricole, « arc républicain », suite du remaniement : les crispations se sont multipliées au sommet de l’État ces derniers temps. Le jeune Premier ministre Gabriel Attal entend imprimer sa marque, tout en préservant de bons rapports avec « celui à qui il doit tout ».
Lui, c’est lui et moi, c’est moi. Certes le Premier ministre Gabriel Attal n’a pas proféré cette phrase que l’ancien Premier ministre Laurent Fabius avait prononcée pour se distinguer du président François Mitterrand. Mais il pourrait la faire sienne, j’en suis sûr. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour percevoir « des tensions latentes entre Macron et Attal » qui se distinguent de celles de nature purement politique qui opposaient le président à son ancienne Première ministre Élisabeth Borne. Avec Attal, c’est plus subtil et, d’une certaine manière, plus dangereux.
Orgueil et aigreurs
Le succès du Premier ministre ne paraît pas porter ombrage pour l’instant au président mais si le contrat n’est pas rempli avec le redressement espéré de la liste Renaissance pour les élections européennes, nul doute qu’Emmanuel Macron libérera alors des aigreurs et des frustrations trop longtemps accumulées. Comme la naïveté n’est pas son fort, il n’est sans doute pas dupe de la répétition par Gabriel Attal de ces « je lui dois tout » qui semblent juste payer la dîme d’une reconnaissance d’avoir été choisi contre Julien Denormandie, une personnalité aux antipodes de la sienne. On a l’impression que cette gratitude trop souvent exprimée pour être autre chose qu’un formalisme auquel il faut se soumettre, permet ensuite à Gabriel Attal d’être totalement lui-même. Il y a d’abord chez ce jeune Premier ministre un orgueil qui, dans une discipline et une dépendance acceptées, le rend rétif à un total effacement de soi. Le perinde ac cadaver n’est clairement pas son genre et ce serait se méprendre sur lui que de le caricaturer en le jugeant tel un clone du président. Il ne lui suffit pas d’avoir été engagé pour combattre Jordan Bardella, il lui faut aussi continuer d’exister face au président. Précisément parce que ce dernier, lors de l’interminable composition en deux temps du gouvernement, a ostensiblement montré qu’il était le maître de tout. Et avec quelle impérieuse incohérence : Nicole Belloubet programmée pour mettre à bas ses cinq mois étincelants d’activité et de lucidité rue de Grenelle !
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Cet accaparement présidentiel ne serait devenu une humiliation que si Gabriel Attal n’avait pas, avec sa méthode, manifesté qu’il ne saurait être considéré comme quantité négligeable. La conscience de soi sauve de la relégation des êtres qui ont la faiblesse de s’estimer nécessaires à leur place et à leur rang. Ce serait si bien si certains ministres, tombant trop souvent dans le ridicule d’une inconditionnalité humiliante, suivaient cette pente.
Comme nous ignorons évidemment la teneur des échanges entre les deux chefs de l’exécutif sur l’élaboration de la politique à mettre en œuvre, sur les projets de loi à faire voter à tout prix et sur la stratégie générale (s’il y en a une au milieu des crises de toutes sortes) envisagée, nous n’avons pas tort de focaliser sur des divergences qui loin d’être dérisoires révèlent chez l’un et l’autre une conception très différente de la démocratie parlementaire.
Marche à l’ombre !
Quand Gabriel Attal déclare avec justesse que l’arc républicain est l’ensemble de l’hémicycle et qu’il se tient à cette affirmation indiscutablement républicaine, sa contradiction avec le président n’est pas mince. Emmanuel Macron en effet n’a cessé de fluctuer sur ce sujet, faisant faire au groupe parlementaire RN un yoyo permanent entre l’intégration et l’exclusion. La constance de Gabriel Attal au contraire est un désaveu net, une pierre qu’il s’est permis de jeter dans le jardin présidentiel.
Il me semble aussi que pour le programme à venir, Attal a moins de scrupule à promouvoir sur des points essentiels une politique de droite quand la réalité l’impose. Notamment le durcissement des règles de l’assurance chômage[1] et le développement du RSA contre activité. Alors qu’on peut toujours craindre chez le président, ajoutées à son envie de se distinguer à toute force, des voltes le conduisant à osciller d’une gauche sociétale à une droite contrainte, des changements révélant plus, notamment en matière internationale, l’image qu’il souhaite donner de lui-même qu’un dessein vraiment mûri.
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Je vais sans doute encourir le reproche d’attacher à nouveau trop d’importance à la forme mais je persiste. Élisabeth Borne pouvait énerver le président mais il n’avait jamais à se préoccuper de l’éclat qu’elle pourrait diffuser puisqu’elle s’était fait une spécialité assumée d’un ton monocorde, sans élan ni invention. Sans talent sur ce plan donc, alors que Gabriel Attal en surabonde. Quand on constate les prestations brillantes et narcissiques d’Emmanuel Macron manifestement fier de ses monologues, manches de chemise relevées et tutoyant à tout-va, je suis persuadé que l’ombre que Gabriel Attal lui fait en ce domaine n’est pas bien perçue. Le président n’est plus tout seul dans la lumière. J’entends déjà les moqueries, parfois affectueuses, souvent acides, qui ne comprennent pas que, n’aimant pas le macronisme en gros, je le sauve parfois au détail. Je n’ai aucune honte à avouer qu’il n’est pas incompatible de soutenir Les Républicains (qu’ils ne nous rendent pas cette fidélité trop sacrificielle !) et d’apprécier tel ou tel ministre et en tout cas le Premier ministre. Mais ma dilection n’est pas aveugle. J’ai constaté les premiers effets de la fatigue et la contagion d’une grossièreté des réponses au RN, qui formulait pourtant des questions on ne peut plus légitimes. Ce n’est pas le Gabriel Attal qui jusque-là, dans la forme, avait fait honneur à la démocratie, qui a rétorqué cette absurdité sur « les troupes de Poutine qui se trouvaient déjà en France » !
Gabriel Attal doit se méfier, ne pas ressembler au pire de ses partisans et ne pas sacrifier le meilleur de ce qu’il est en méprisant ses adversaires.
[1] En déplacement dans l’usine Numalliance de Saint-Michel-sur-Meurthe (88), le 1er mars, Gabriel Attal a annoncé un triplement des contrôles des bénéficiaires de l’Assurance chômage d’ici là fin du quinquennat NDLR.
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