Bien que l’unité nationale soit de rigueur en ces temps troublés, on ne peut s’empêcher de constater que la guerre en Ukraine tombe à pic pour le président Macron, bientôt candidat à sa réélection. Son engagement nécessaire et légitime sur la scène internationale, en vue d’obtenir un cessez-le-feu, lui donnera une bonne raison, et excuse, pour ne pas répondre, ni débattre, avec ceux qui critiquent le bilan de son quinquennat…
Le 2 mars, le président de la République est intervenu durant une quinzaine de minutes. J’ai analysé à chaud sur Sud Radio son discours comme étant remarquable et consensuel dans sa première partie mais roué, habile et discutable dans la seconde. Tout en n’annonçant pas explicitement sa candidature – ce sera fait le 4 mars par une lettre aux Français publiée dans la presse quotidienne régionale -, Emmanuel Macron a largement développé les axes de son argumentation de campagne à venir.
Consensuel évidemment, d’abord, dans la dénonciation de la culpabilité exclusive de Poutine pour l’invasion de l’Ukraine et les terrifiants désastres en résultant, morts, blessés, civils atteints, destructions. Pour l’hommage rendu au peuple ukrainien et à son président, incroyable de résistance et de lucidité, pour la volonté de la France de participer à l’accueil des réfugiés, et pour favoriser la fermeté européenne. Rien qui puisse, sur ce plan, altérer l’union nationale qui, naturelle ou contrainte pour quelques autres, s’est créée autour de l’action du président, qui malgré une naïveté initiale s’est mis à la hauteur de ces événements bouleversants dans tous les sens.
Double regret
On me permettra, avant d’aborder la part plus politicienne de l’allocution du président, de formuler un double regret.
Fallait-il attendre la démonstration accablante des mensonges de Poutine sur l’invasion de l’Ukraine pour se persuader que, bien avant déjà, cette personnalité menait un jeu diplomatique singulier ? Épris du seul rapport de force et méprisant la faiblesse des Occidentaux qui croyaient l’amadouer en le courtisant ; alors qu’il aurait seulement respecté qui lui aurait tenu la dragée haute. Aussi, si le président Macron a raison quand il souligne l’obligation de poursuivre le dialogue avec Poutine, j’espère que la leçon aura porté ses fruits: les entretiens ne seront efficaces que si les interlocuteurs de Poutine ne le contredisent plus de manière classique mais avec une fermeté qui lui montreront que les temps ont changé et que l’illusion sur lui s’est dissipée.
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Le projet européen évoqué par Emmanuel Macron – c’est mon second regret – qui consiste à pourvoir l’Europe de tout ce qui lui a manqué et dont la tragique absence a été à déplorer bien avant cette guerre n’arrive-t-il pas, sinon trop tard, du moins comme une sorte de rattrapage ? On aurait souhaité qu’il n’ait pas été nécessaire parce que la politique de la France l’aurait rendu inutile par une anticipation plus lucide.
Un président protecteur
Le président de la République, s’il ne s’est pas encore déclaré officiellement candidat, nous a indiqué toutefois de manière limpide les axes de sa campagne, auxquels il conviendra de répliquer principalement en ne lui permettant pas de se servir de la situation internationale et du futur européen pour fuir le débat national.
Parce qu’il est clair que son propos sombre sur l’avenir de notre monde, et sur le destin européen, n’a visé qu’à instiller dans les têtes que lui seul, protecteur, tutélaire, lucide, expérimenté, pourrait être la personnalité adéquate pour cette immense tâche. Que lui seul pourrait prévenir les dangers. Relever les défis. Favoriser les réussites.
Après cet exercice d’autosatisfaction subtil mais sans équivoque, ses contradicteurs, demain, n’auront pas d’autre choix que de le ramener à plus de modestie, de le contraindre à quitter la poésie des horizons pour la prose de la France en état de malaise sur trop de plans pour être ainsi reléguée. À la fin de son intervention, il s’est dévoilé. Tout en assurant que le débat démocratique aurait lieu, il s’est dit persuadé qu’on s’accorderait sur « l’essentiel », ce qui était signifier que l’accessoire concernait les controverses franco-françaises qui aujourd’hui, selon le candidat Macron, pèsent peu face au bruit et à la fureur de monde… Il faut sauver la campagne : la France l’attend, l’espère, la mérite. Trop de silences et de frustrations pour qu’elle ne soit pas enfin la démocratique opportunité de “libérer la parole” !
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