Emmanuel Macron a décidé de restituer les Îles éparses à Madagascar d’ici le 26 juin 2020 malgré leur richesse en hydrocarbures. Un tel cadeau laisse perplexe. Pour repenser notre politique étrangère, en lieu et place de la Françafrique de papa, Haja Rasolonjatovo, porte-parole du mouvement République souveraine que préside Djordje Kuzmanovic, plaide pour la création d’une union économique francophone. Tribune.
Haja Rasolonjatovo a quitté ses fonctions chez RS le 4 août 2019 lors d’une démission collective de plusieurs cadres dirigeants qui contestaient le manque de démocratie dans le fonctionnement du mouvement.
Depuis plusieurs jours, le sujet des Îles éparses se retrouve au cœur de l’actualité. Le dossier était pourtant brûlant depuis longtemps. Dès 2009, le président malgache Marc Ravalomanana affirmait que la volonté de prendre possession de ces îles riches en hydrocarbures avait poussé la France et l’ambassadeur Châtaigner à fomenter une « révolution colorée » ayant porté au pouvoir Andry Rajoelina. Le petit jeu de la Françafrique était évident aux yeux des chancelleries présentes à Tana, comme en témoigne le câble de l’ambassade américaine du 29 avril 2009 (révélé par Wikileaks le 29 avril 2014). La décision d’Emmanuel Macron de restituer ces îles à Madagascar d’ici le 26 juin 2020 laisse pourtant perplexe. « Coup de com » du Président de la République, qui fait bénéficier son homologue, lui aussi, d’un bel effet d’aubaine, elle ne permettra pas aux Malgaches de sortir de la misère tout en hâtant l’effacement de la France sur le continent africain au profit des puissances américaine et chinoise. Cette situation est l’occasion de sortir de la langue de bois.
L’ONU considère certes ces terres comme devant être restituées à Madagascar (résolution 34/91 du 19 décembre 1979) et les garder dans le giron français contribue à discréditer cette instance internationale. Mais vu la configuration géopolitique sur place, c’est un mal nécessaire : la France doit, pour le moment, désobéir à l’ONU et conserver les Iles Eparses sous son contrôle car bien plus que les réserves de pétrole, elles sont l’interface des trafics et de l’économie informelle qui nourrit l’islamisme galopant en Afrique. Alors pas de pudeur de gazelles : Madagascar n’a pas aujourd’hui les moyens humains ni techniques de gérer ces enjeux titanesques.
« Emmanuel Macron offre les Iles Eparses sur un plateau d’argent à ses amis américains »
Les îles sont également au centre de l’attention des États-Unis qui les lorgnaient déjà à l’époque de Barack Obama. Dès le mois d’avril 2012, l’US Geological Survey a ainsi remis au président un rapport stratégique sur le bassin de Morondava, selon lequel Juan de Nova et la province malgache regorgeaient potentiellement de quelque 17 milliards de barils de pétrole et 167 000 milliards de pieds cubes de gaz – soit autant que l’Angola. En se faisant passer pour un Mendès France qui cède magnanimement l’Indochine, Emmanuel Macron offre en réalité les Iles Eparses sur un plateau d’argent à ses amis américains qui sans nul doute vont rafler la mise. Bon soldat de la French-American Foundation, notre président – qui a notamment bradé Alstom à General Electric, avec les conséquences sociales que l’on sait – n’en est pas à sa première trahison.
Malgré ses relents mafieux – bien décrits dans les travaux de François-Xavier Verschave sur la Françafrique –, seule la France peut aider l’Afrique à se soustraire à la tutelle des puissances rivales qui se disputent ses richesses. En adoptant une politique de développement adéquate, la France peut représenter pour les pays de ce continent un rempart face à la mainmise américaine, mais aussi à la nouvelle prédation chinoise.
L’heure est venue pour la France de revenir de façon décomplexée en Afrique avec une offre de coentreprise.
En finir avec les impostures
La France a suffisamment versé dans la schizophrénie entre soutien aux dictateurs et posture de repentance interminable pour les crimes commis durant la colonisation, que personne ne nie plus. L’heure est venue pour elle de revenir de façon décomplexée en Afrique avec une offre de coentreprise, à adresser à tous les pays qui souhaitent bénéficier du savoir-faire technologique français ; ADP gérant l’aéroport d’Ivato représente un exemple d’une telle coopération.
En proposant d’associer les experts français à la gestion des agrégats socio-économiques africains, la France sortirait d’une politique de charité au profit d’une politique de développement concret. Cela lui ferait par ailleurs marquer des points dans deux autres domaines au moins. D’une part, cette démarche lui permettrait de lutter concrètement contre les flux de migrants dont le trafic – 2.5 millions de migrants et 7 milliards de dollars pour les trafiquants en 2016 selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime – dépasse désormais celui de la drogue. D’autre part, le transfert de compétences que suppose la cogestion des filières industrielles permettrait à la France d’abandonner son hypocrisie en matière environnementale. En effet, œuvrer pour une France écologiquement vertueuse alors qu’elle pèse 1 % à peine des émissions mondiales de gaz à effet de serre influe bien peu sur le climat ; en revanche, permettre aux pays africains, en pleine industrialisation, de bénéficier de technologies à la pointe de l’écologie aurait un impact majeur à l’échelle mondiale.
Une mission pour la Francophonie
Si la Francophonie est, et doit continuer d’être, un vecteur de fraternité au-delà des frontières grâce aux actions culturelles, cela ne suffit plus et, à vrai dire, n’a jamais suffi, la culture représentant la toiture d’une maison aux murs économiques fragiles et aux fondations militaires et régaliennes chaotiques. L’Organisation internationale de la Francophonie doit devenir un organe de partenariat économique et militaire. Une telle union – régie par la règle de la majorité des deux tiers sans possibilité de véto – permettrait d’en finir avec le terrorisme avec lequel, contrairement à ce que disait Manuel Valls, il est hors de question de s’habituer à vivre ; avec les subventions au gigantisme des exploitations agricoles, condamnées à l’exportation pour écouler les stocks, qui favorisent l’agriculture des pays du Nord au point que le poulet surgelé français est moins cher que le poulet africain sur les étals des marchés sénégalais ; avec les délocalisations vers les pays qui pratiquent le dumping salarial et écologique. Madagascar a mieux à faire que fournir pour 17 euros par mois les petites mains serviles qui font la fortune de Petit Bateau, Kookaï, Somewhere, Celio, H & M ou Gap.
L’heure est venue d’en finir avec l’imposture humanitaire où la France distribue des sacs de riz pendant que les revenus du pétrole sont rapatriés à Paris. Le vrai racisme, le vrai colonialisme drapé de charité résident dans l’idée selon laquelle les termes de l’échange seraient immuables, que le Sud vendrait des broutilles tandis que le Nord accaparerait les denrées à forte valeur ajoutée ; dans le fait de condamner le Sud aux petites besognes tandis que le Nord s’affaire autour des gisements miniers.
Pour que la France puisse se targuer d’une vraie politique de développement en Afrique, les entreprises françaises doivent garantir l’« autochtonisation des ressources » : 50 % des bénéfices réinvestis directement dans le pays d’accueil pour financer les services publics – santé, éducation, justice, police – et les infrastructures vitales. Il faut sortir de l’hypocrisie humanitaire pour permettre aux pays du Sud d’accéder à l’autonomie.
Faut-il rappeler, enfin, que ces propositions ne seront jamais légitimes si, en France, nous n’appliquons pas à nous-mêmes les préceptes vertueux de justice sociale et d’économie écologique, locale et solidaire. Nous ne pouvons pas inviter nos frères francophones à intégrer une union de liberté choisie si nous restons pieds et poings liés par le traité de Lisbonne, l’UE et l’OTAN. Aussi, le chemin que nous leur proposons d’emprunter est-il aussi le nôtre.
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