Que se passe-t-il dans les couloirs du Palais-Bourbon et dans l’hémicycle lorsque les caméras ne sont plus là ? Grandeurs et petitesses de nos députés…
Il fait froid dans l’hémicycle. Ou plutôt j’ai froid dans l’hémicycle. En cette fin de journée, fatigue aidant, alors que nous ne sommes plus très nombreux et que les débats s’éternisent, j’ai toujours l’impression que la clim’ est mal réglée. Un sacré contraste avec les séances du mardi après-midi, lors des questions au gouvernement où, caméras obligent, l’hémicycle est bondé et la promiscuité chauffe l’atmosphère et les esprits.
C’était encore le cas ce mardi, lorsqu’un député Les Républicains, Éric Pauget, a posé une question sur l’assassinat de la petite Lola, expliquant tout simplement que si l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui visait la meurtrière présumée avait été exécutée, Lola serait toujours en vie… Il n’en fallait pas plus pour faire sortir de ses gonds notre garde des Sceaux, décidément plus avocat que ministre, accusant notre député de « récupération » et de « se servir du cercueil d’une gamine de 12 ans comme on se sert d’un marchepied… ». Rien que cela. Pointant du doigt dans la foulée le Rassemblement National, qui n’avait encore rien dit, dans un splendide procès d’intention sur le mode « et le pire est à venir ! ». Mauvaise foi, quand tu nous tiens…
Ces séances de questions aux ministres sont souvent très animées. La semaine précédente, c’était Bruno Le Maire qui exigeait des excuses publiques d’un député Rassemblement National qui l’avait traité de « lâche ». Faisant du même coup tomber notre présidente, Yaël Braun-Pivet, dans le piège de la maîtresse d’école distribuant à tout-va les bons et les mauvais points aux élèves turbulents qui avaient osé utiliser un vocabulaire inadéquat : « lâche », « communautariste »… Se voyant obligée de sanctionner quelques minutes plus tard une députée de la majorité qui avait accusé le Rassemblement National d’être un « parti xénophobe ».
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Les députés sont souvent des sales gosses, il faut le dire. Sentant une faille, ils s’y engouffrent goulûment. Ainsi, quelques jours après cet incident, un nouvel échange de noms d’oiseaux obligeait la présidente de l’Assemblée nationale à revoir sa position et à annoncer que la question de ce que l’on a le droit de dire ou non serait réglée en petit comité, au cours d’une réunion prévue… le 9 novembre prochain. L’histoire nous dira si les sanctions pécuniaires annoncées dans l’hémicycle auront été maintenues ou elles aussi reportées…
La fenêtre de mon bureau donne sur la rue Aristide-Briand, qui longe l’Assemblée nationale. Cet après-midi, Élisabeth Borne va mettre fin au supplice de ces séances aussi interminables qu’inutiles et brandir le 49.3 pour faire adopter le budget 2023 sans vote… Si les médias ne l’avaient déjà dévoilé, j’aurais pu le deviner rien qu’au nombre de camions de CRS stationnés dans la rue. Bon, j’avoue, il était temps… Dix jours sur les bancs de l’hémicycle pour venir à bout des plus de 3 000 amendements déposés. Évidemment, nous n’y sommes pas parvenus. Et Mme Borne est donc venue nous sermonner ce mercredi 19 octobre afin de nous rappeler à nos devoirs. Il paraît même qu’elle va recommencer pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale…
Finalement, le fonctionnement de notre Assemblée nationale ressemble assez à celui d’une école : des sonneries pour marquer l’entrée en classe ou les récréations, des maîtres et maîtresses d’école pour nous faire la leçon et nous rappeler les règles du fameux « vivre-ensemble », des cours de morale aussi – mais ça, on n’en trouve plus beaucoup dans nos vraies écoles… –, et des élèves qui trichent. Eh oui ! les députés copient facilement sur leurs voisins… Sauf qu’à l’Assemblée, ça s’appelle la « discipline de groupe ». Ça fonctionne plus ou moins bien en fonction des partis et des sujets abordés. À la France insoumise ou au Rassemblement national, pour le moment, pas un cheveu qui dépasse. On marche en rangs serrés. On ne peut pas en dire autant des députés Les Républicains. Ce qui rend dingues le gouvernement et la majorité… C’est vrai quoi, ils ne sont vraiment pas sympas ces députés de droite : impossible de savoir à l’avance ce qu’ils vont voter et donc, de compter sur eux !
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Comme cela arrive parfois, les professeurs – pardon, les ministres – ont leurs chouchous. Les députés de la majorité bien sûr. Et leurs moutons noirs : l’opposition, avec une mention particulière pour « les extrêmes ». Alors, malgré le « changement de méthode » proclamé à grands cris depuis l’élection de notre Assemblée en juin dernier, les mauvaises habitudes ont la vie dure. Du coup, lorsqu’un amendement proposé par l’opposition embarrasse le gouvernement – entendez par là qu’il est bien, mais qu’il ne vient pas des bancs macronistes – les stratagèmes pour le contourner sont légion. J’en ai les frais plus d’une fois, et depuis des années maintenant.
Les scénarios varient avec les circonstances. Premier cas de figure : la proposition est intéressante, de bon sens et bien formulée, mais l’adopter et en attribuer la paternité à l’opposition donnerait à cette dernière un avantage « disproportionné ». Du coup, l’amendement sera rejeté et tant pis pour l’intérêt général.
Deuxième cas de figure : la proposition est toujours intéressante, de bon sens et bien formulée et la majorité regrette de ne pas y avoir pensé elle-même… Cette fois, la réaction sera plus subtile. Je vous passe les procédures aussi complexes que tortueuses pour amender un texte de loi, mais la majorité s’empressera de déposer un amendement similaire, en modifiant une virgule ou un détail afin de pouvoir voter la mesure issue du bon camp. Vous avez compris ? Le camp du bien évidemment !
Bon, j’arrête là avec mon mauvais esprit. Mais, je vous avoue que ce parallélisme entre une salle de classe et notre « auguste Assemblée » me saute aux yeux chaque jour un peu plus. C’est d’ailleurs souvent ainsi que j’aborde les choses quand je me rends dans des classes de CM2 à Béziers et alentours pour leur expliquer à quoi sert un député… Une dernière analogie : après les tenues vestimentaires et l’absence de cravates des députés Nupes qui ont défrayé la chronique lors de la rentrée parlementaire, c’est l’offensive des djellabas et autres abayas à l’école qui préoccupe aujourd’hui nos professeurs. Et si, dans les deux cas, on rétablissait l’uniforme ?
Emmanuelle Ménard est députée, non-inscrite, de la 6ème circonscription de l’Hérault.