Accueil Édition Abonné Décembre 2022 Ma vie à l’Assemblée

Ma vie à l’Assemblée

Les hauts et les bas de la démocratie parlementaire.


Ma vie à l’Assemblée
Aymeric Caron. JULIEN DE ROSA/AFP

Décidément, il s’en passe de belles à l’Assemblée nationale. Florilège…


« Qu’il reparte en Afrique ! »

Le « Qu’il reparte en Afrique » tient évidemment la corde des sujets « bouillants » du mois écoulé. Avec une question à laquelle je n’ai, pour ma part, toujours pas de réponse. Le lendemain de la phrase malheureuse prononcée en pleine séance de questions au gouvernement, tout le monde attendait en effet avec impatience le compte-rendu des débats afin de savoir si le député RN parlait :

1) Du député LFI (« Repars en Afrique ! ») ;

2) Du bateau Ocean Viking (« Qu’il reparte en Afrique ! »). Mais au singulier, admettez qu’il pouvait aussi s’agir du député…

3) Des migrants (« Qu’ils repartent en Afrique ! »).

Le compte-rendu a tranché et c’est la version n° 2 qui a été retenue. Quant à moi, je n’ai toujours pas compris comment ils avaient pu faire, à l’oral, la différence entre le singulier et le pluriel…

Corrida

Autre sujet qui fâche, la corrida… Un gros morceau. Que des coups à prendre, car celui qui défend la tauromachie appartient forcément au camp des méchants. Un « barbare », un « monstre », un « tortionnaire » et j’en passe… Une petite histoire amusante pourtant : alors qu’Aymeric Caron me reproche en commission des lois de défendre une « tradition », il m’explique que toutes les traditions ne sont pas bonnes à garder. La preuve par l’excision selon lui. J’essaie une réponse simple, qui traduit une véritable différence de conception philosophique du monde dans lequel nous vivons : la corrida est une affaire de taureaux quand l’excision concerne les femmes. Et pour moi, les taureaux ne sont pas des femmes. Et les femmes ne sont pas des vaches… Je réitère cette explication très (trop ?) simple auprès d’une femme qui m’écrit pour exprimer sa colère et son incompréhension face à mes positions. Je vous avoue ma surprise (et mon amusement) en découvrant sa signature : « Alice, mammifère »

Corrida toujours

Que dire de ce député socialiste croisé dans un couloir et qui me souffle : « Ce serait bien que tu fasses un peu d’obstruction sur les textes précédant la proposition de loi qui vise à abolir la corrida. Tu comprends, pour moi, c’est impossible mais toi, tu peux le faire… »

Professionnelle

Les débats à l’Assemblée sont parfois surréalistes… ou pathétiques. Ou ridicules, au choix… Le 16 novembre, vers 23 heures, les esprits s’échauffent une fois de plus. La France insoumise traite Gérald Darmanin, ministre au banc, de « menteur » et ce à plusieurs reprises. Le ministre garde son calme. La discussion se poursuit. Une députée écologiste prend la parole : « Lorsque l’on voit toujours les choses de son propre point de vue, on croit que c’est l’autre qui est en faute. » Ce à quoi un député LR répond : « C’est vrai que vous êtes une professionnelle ! » Que n’avait-il dit ! La députée monte sur ses grands chevaux, protestant qu’elle en a assez de se faire insulter, laissant entendre qu’on la traite de « prostituée ». Cris, protestations. Les bras m’en tombent. Le chaos est tel que la présidente est obligée de suspendre la séance. Quelle perte de temps !

Nostalgie

Alors que je traverse la rue pour rejoindre mon bureau, j’aperçois M’jid el Guerrab (député des Français de l’étranger non réélu en 2022) passer en scooter et regarder d’un œil nostalgique les bureaux de l’Assemblée nationale… Difficile de tourner la page ?

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Vocabulaire

19° dans l’hémicycle ! Autant vous dire que, lorsque nous sommes coincés des heures durant sur nos sièges à suivre les débats, il fait vite froid. Mais bien sûr, représentation oblige, les manteaux, gants et bonnets sont interdits. Alors nous usons de subterfuges. Quand j’entrais un soir dans l’hémicycle avec une épaisseur supplémentaire sur le dos, un huissier (toujours aimables, les huissiers de l’Assemblée sont vraiment impressionnants de patience, de politesse et de gentillesse…) m’interpelle : « Madame Ménard, vous jouez les rebelles ce soir ? » Et moi, faussement naïve, de répondre : « Une surveste, cher monsieur, il s’agit d’une surveste. » C’est passé pour cette fois…

Mauvaise foi

La Chaîne Parlementaire vient de m’appeler pour me demander une réaction : la France insoumise proteste, car j’aurais déposé trop d’amendements sur leurs propositions de loi qui seront examinées jeudi 24 novembre, et notamment sur la constitutionnalisation de l’avortement et la corrida. Je ferais, selon eux, de l’« obstruction ». J’explique à la journaliste que j’appelle plutôt cela « défendre des convictions » ou des sujets qui me sont chers… Mais je ne résiste pas à lui rappeler que, la semaine précédente, la même France insoumise a passé plus d’une heure à défendre des amendements concernant les amendes forfaitaires délictuelles, visant à faire passer leur montant de 800 euros à 30 centimes, 50 centimes, un euro, deux euros, etc. Mais quand cela vient de leurs bancs, ils doivent appeler cela de la démocratie participative…

Corrida suite et fin

Aymeric Caron étant soucieux de pouvoir défendre sa proposition de loi pour interdire la corrida, nous apprenons la veille au soir que La France insoumise a décidé de retirer ses deux premiers textes afin de « gagner du temps ». Intéressant. L’un des deux textes retirés portait en effet sur l’augmentation du smic à 1 600 euros. Où l’on apprend donc que la protection des taureaux de combat est plus importante que la défense des smicards pour le parti d’extrême gauche… Et puis, c’est la débandade : inquiet de voir son texte rejeté par l’Assemblée, l’antispéciste a finalement annoncé qu’il retirait lui aussi son texte sous prétexte que nous aurions déposé trop d’amendements. Courage, fuyons ! Il suffisait, comme je l’ai demandé en séance, de proposer un vote sur les 20 premiers amendements qui demandaient la suppression du texte et nous aurions été fixés. N’est pas toro bravo qui veut…

Décembre 2022 - Causeur #107

Article extrait du Magazine Causeur




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Ancienne députée

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