Notre inlassable chroniqueur révèle les trois faits marquants de l’actualité qui ont le plus retenu son attention en 2023. Pour 2024, il nous souhaite de continuer à ne pas être toujours d’accord entre nous. Et de pouvoir le formuler, dans la courtoisie.
Il serait lassant pour vous que je dise à nouveau ma sainte horreur de ces inventaires de fin d’année, de cette sélection rétrospective qui essaie de dégager les meilleurs moments de l’année passée et d’honorer les quelques personnalités qui l’ont illustrée. Un zeste sadique, j’avais formé le projet de transgresser les règles du jeu et de faire le classement de ceux (en français : hommes et femmes) dont on avait trop parlé et je ne doute pas que ma liste aurait été bien remplie.
Mais je ne vais pas commencer cette nouvelle année sur un mode provocateur. Je vais me contenter, comme il convient, de choisir dans l’immense vivier géopolitique et national, ma trinité profane, les trois événements ou tendances qui m’ont paru, essentiellement sur le plan politique, donner un caractère spécifique à 2023. J’ose croire qu’on me fera la grâce d’y voir un constat et pas forcément une adhésion ou une critique. Je suis persuadé que de la part des médias ou des citoyens prêts à pratiquer l’exercice, d’autres orientations seront privilégiées et ce sera tant mieux.
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La barbarie islamiste du 7 octobre
Au risque d’être banal – mais il ne faut pas fuir les poncifs nécessaires -, la barbarie du 7 octobre commise par le Hamas est évidemment horriblement présente. Dans un monde pourtant tellement habitué aux ignominies, aux pires transgressions, ces atrocités ont engendré un effet inédit de saisissement et d’indignation. Parce qu’à aucun moment on ne pouvait imaginer que l’homme serait porteur de tant d’inhumanité, avec des actes dépassant l’affreuse inventivité de tous les cauchemars. Rien ni personne ne s’est trouvé à l’abri, l’innocence a été massacrée avec une joie et une volupté telles que les assassins annonçaient l’immonde à leurs familles qui les félicitaient.
Le 7 octobre, il y a eu là d’un coup la confirmation que l’Histoire était susceptible, bien au-delà des pessimismes les plus lucides, de s’écrire en lettres de sang sur un mode inouï dont personne ne s’est encore remis. Aussi cruelle que soit la riposte avec les dommages humains et matériels qu’elle engendre à Gaza, elle ne nous a pas fait quitter les territoires de l’horreur concevable, elle ne nous a pas fait sortir des limites même les plus extrêmes de l’humain. Il était difficile de réclamer à Israël une défense proportionnée alors que ce qu’avait subi ce pays se situait justement hors de toute proportion. Aussi détestable que puisse apparaître mon propos à certains, il faut prendre acte du fait que la légitime défense, elle, est demeurée dans ce que à quoi l’expérience et la dureté des guerres nous avaient accoutumés. Ce n’est pas rien. Avec, pour conséquence chez nous l’abjecte augmentation des insultes et actes antisémites.
La banalisation de Marine Le Pen
De la part de l’opposant politique au RN que je suis – mais avec le refus démocratique et humain d’une haine pour ce camp, qui n’a pas été interdit que je sache -, considérer que la normalisation de ce parti est le deuxième point saillant de cette année n’est pas neutre. Qu’on m’entende bien : je ne suis pas naïf. Je le suis si peu que contre beaucoup de prévisions je maintiens que le moment venu Marine Le Pen, candidate naturelle de son parti (Julien Odoul l’a encore rappelé et c’est fantasmer que d’imaginer Jordan Bardella se substituer à elle en 2027 : il a le temps !) sera battue pour la dernière fois. Emmanuel Macron nous quittera sans qu’on puisse le créditer d’avoir entravé la montée du RN ; la défaite de Marine Le Pen ne relèvera donc que de sa propre responsabilité.
Le résultat inespéré des élections législatives, le groupe parlementaire tenu d’une main de fer, le génie tactique et l’opportunisme de Mme Le Pen ne s’embarrassant d’aucun scrupule, l’exaspération face à un pouvoir aux résultats médiocres sur le plan régalien malgré la bonne volonté de Gérald Darmanin, l’impatience d’une part tout de même importante du peuple n’en pouvant plus de la politique traditionnelle plus prodigue en promesses qu’en actes, l’incroyable grossièreté de LFI à l’Assemblée nationale, avec la déplorable dérive de Jean-Luc Mélenchon, ont permis, à des degrés divers, cette banalisation du RN. Il faut y ajouter, à gauche et à l’extrême gauche, le dérèglement et le désarroi durables de forces partisanes incapables, par pauvreté intellectuelle et idéologique, de sortir de la moraline pour combattre cet adversaire qu’elles ne cessent de renforcer par leur dogmatisme. Leurs bons sentiments républicains (si souvent démentis) n’impressionnent plus personne : on attend toujours une argumentation sur le fond comme on attend en vain Godot… Peu m’importe le débat surréaliste sur la dédiabolisation (qui, de bonne foi, peut en contester la réalité sauf à regretter le bon vieux temps avec Jean-Marie Le Pen ?), le caractère sincère ou hypocrite de l’évolution du RN, le caractère limité du règne des apparences et les retournements de programme, notamment sur le plan européen… On peut débattre de ces doutes et de ces problématiques mais l’essentiel est que cette droite extrême, conservatrice mais aux tendances contradictoires si on suit Marine Le Pen, s’est installée en 2023 comme une force de gouvernement : une majorité de Français l’a ainsi qualifiée.
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Macron, nouveau roi fainéant ?
Enfin, en dernier lieu, et ce n’est pas sans lien avec le thème précédent, je voudrais retenir cette impression d’un vrai désenchantement à l’égard du président de la République, depuis sa réélection. Le magicien a perdu ses pouvoirs, le pouvoir a rencontré le réel qui a fait plus que résister, l’illusionniste s’est heurté au plancher des vaches, l’homme unique s’est découvert, sans l’admettre, comme les autres. Mon analyse ne porte pas sur le plan de la quotidienneté politique et du rôle du président à l’international car des critiques ont déjà été formulées par beaucoup, dont des soutiens d’origine. L’inconsistance du « en même temps » pour les actions présidentielles de toutes sortes a été clairement dénoncée. Il paraît qu’il est « toujours en quête d’un cap pour son quinquennat » ![1]
2023 a fait surgir ce sentiment que ce président, à la personnalité moins disruptive qu’indécise, moins autoritaire qu’influençable, moins fière de sa fonction que solitaire, moins entreprenante que cumulative, moins transparente que verbeuse, moins soucieuse de la vérité que de l’image, moins complète que successivement contradictoire, moins poète de la politique que tâcheron de la cuisine partisane, a été infiniment décevant. Même pour ceux qui continuaient, malgré leur opposition à son gouvernement et à une Première ministre incurablement sans élan, à appréhender le président telle une « denrée rare ». L’impitoyable vigilance républicaine a fait son œuvre et le président a été remis à une place plus grise que celle éblouissante qu’il s’assignait. Ce n’est sans doute pas inutile mais notre désenchantement est amer. On contestera ma trinité profane ou on validera mes choix. Cette liberté, cette contradiction, mais dans la courtoisie, ne me gêneront pas. Bien au contraire. C’est l’ADN de mes billets et de la section commentaires…
[1] https://www.lefigaro.fr/politique/apres-une-annee-difficile-emmanuel-macron-cherche-son-cap-pour-2024-20231229
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