Les vacances sont terminées, le virus reprend, et il va falloir vivre avec!
Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Que ceux qui déjà m’en veulent se représentent ce que fut la pandémie pour le professeur que je suis: deux ans de grandes vacances [1].
Ce jeudi 13 janvier 2022, j’apprends d’un même coup que l’agence européenne du médicament sonne le glas de l’épidémie, que je suis positive au Covid et que les professeurs qui battent le pavé alors que je coconfine sont « positifs au mépris ». Le mépris de Blanquer évidemment: « Blanquer, le virus c’est toi !» ; enfin, toi et Zemmour. Les parents d’élèves renchérissent : trop, c’est trop ! Que les intérêts des uns et des autres divergent (« protéger » les enseignants du virus, c’est garder les petits chéris, tous les micro-virus sur pattes à la maison), c’est un détail dont ils ne s’embarrassent guère.
Quand mes collègues, ceux qui luttent pour une école équitable et solidaire sous la houlette des différents syndicats, sont épuisés après-deux-années-sur-le-front-de-la-covid, je suis dans une forme olympique, à l’isolement. Je n’ai toujours pas compris si je devais aux trois piqûres (les trois T.V. !) ces vacances inespérées: Olivier Véran a certainement un avis sur la question. Quoi qu’il en soit, malgré ou grâce à lui (Véran, le vaccin) me voilà en arrêt-maladie sans être malade. Et interdite de travailler. Il y a quelques semaines, me trouvant dans une situation analogue, j’avais demandé à mon chef d’établissement son concours pour organiser l’enseignement à distance. Et je m’étais attiré ses foudres : « Madame Saint-Laurent, vous n’y pensez pas ! Vous êtes en arrêt-maladie : nous ne sommes pas dans le privé. Si vous faites cela, je vais avoir tous les parents sur le dos qui exigeront que vos collègues en fassent autant. Je vous l’interdis. » Alors, après avoir en catimini envoyé quelques exercices à mes élèves, avant de commander le dernier ouvrage de Houellebecq (dont le titre m’échappe : décomposition, putréfaction, anéantissement ?), j’ai tout le loisir de penser aux inégalités entre les profs.
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Mes camarades ont vécu l’enfer : ils se sont tués à la tâche dix-huit heures par semaine, ils ont inhalé un air vicié (même les Poilus étaient équipés contre les gaz toxiques), ils ont fait face à des élèves qui avaient le masque sous le nez, je dis bien sous le nez. Qu’on les leur donne leurs cinq millions de masques FFP2 !
Quant à moi, j’ai trouvé cette période plutôt tranquille. Pas trop de pression. Des progrès au ping-pong. Je me souviens de cette sensation pas désagréable procurée par les annonces de M. Blanquer au début du premier confinement : pour l’oral du baccalauréat de français, on passerait de 21 textes à 15 textes. Autrement dit le programme était bouclé avant même de l’avoir commencé (le confinement, pas le programme). Puis j’ai touché des primes substantielles pour des oraux blancs que j’ai fait passer en visioconférence, douillettement installée dans mon fauteuil. J’ai bouquiné, j’ai fait l’école à mes enfants (on n’est jamais mieux servi que par soi-même, foi de prof). L’année suivante, avec les collégiens, c’était un peu moins confortable mais faisable, en s’organisant. L’avantage des cours à distance, c’est qu’on peut couper le micro de ses élèves et parler tout seul, et Dieu sait qu’on aime ça dans la profession.
Alors d’accord pour les masques FFP2 (pour ceux qui souhaitent vraiment ressembler à des pingouins) mais non au report des épreuves du baccalauréat. D’ailleurs pourquoi le report des épreuves du baccalauréat ? Pour châtier l’enseignement privé parisien qui maintient son niveau d’exigence et qui n’interdit pas (c’est un euphémisme) à ses professeurs de pratiquer l’enseignement à distance ? Pour masquer les insuffisances des professionnels de la contestation? Pour arrêter le recul de la banquise ?
Maintenant que le virus fait des siennes, que de pandémique, il se révèle endémique, il va nous falloir vivre avec, comme ils disent, et vivre avec nos élèves. Finies les vacances !
[1] Librement inspiré de l’incipit du Diable au corps de Radiguet.
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