Sophie Flamand et Cyril Bennasar ont tous deux réagi à mon article sur le « Pass contraception » distribué dans les lycées. La première développe un point de vue différent du mien, mais qui, m’a-t-il semblé, lui fait assez justement objection. Le second, lui, m’assimile courtoisement à un « catho coincé du cul » ; comme il me croit en outre académicien[1. Pour « l’Académicien », je plaide coupable : je ne sais pourquoi quand Cyril Bennasar m’a demandé si François Taillandier était membre de l’Académie française, j’ai répondu par l’affirmative, sans la moindre malice. Sans doute parce que, à mon avis, François mériterait de l’être bien plus que beaucoup d’autres qui le sont. J’ose espérer que François me pardonnera non seulement cette inexactitude mais aussi l’espoir qu’elle sera bientôt rectifiée par son entrée à l’Académie (en supposant qu’il le souhaite). EL], cela prouve qu’il est assez mal renseigné sur moi. Peu importe. Toutefois, j’ai eu l’impression dans les deux cas qu’on répondait non pas à ce que je disais, mais à ce qu’on s’imaginait que j’avais dit. Or ce sont des sujets graves, et, selon un mot célèbre, « entre l’inconvénient de se répéter et celui de n’être pas entendu, il n’y a pas à balancer ».
Puisqu’il faut donc mettre les points sur les « i », je commencerai par dire que je ne suis nullement partisan de proscrire l’usage de la contraception, primo parce que venant de moi ce serait de la tartufferie, secundo parce je suis moi aussi extrêmement attaché aux libertés laïques invoquées par Bennasar. J’ajoute que je ne suis nullement opposé à l’usage de la pilule par de jeunes filles mineures, pour la bonne et simple raison que cela ne me regarde pas. Et de même, tout catholique que je sois (coincé ou pas), je suis favorable au fait que l’IVG soit légale, pour les mêmes raisons que mon contradicteur. Simplement, je me demande si 200.000 avortements annuels dans notre pays, à côté d’environ huit cent mille naissances, ça ne pose pas quand même un petit problème… C’est un autre débat.
Mais j’en reviens à ce que j’ai voulu dire, et je vais tenter d’être plus clair. Cyril Bennasar invoque le spectre d’un « ordre moral », que des phalanges ensoutanées voudraient nous imposer à grands coups de goupillon. Fantasme assez commode, en effet, pour qui ne veut pas ouvrir les yeux sur le nouvel ordre sexuel que la société moderne est en train de mettre en place (qu’on ne voie pas là une thèse complotiste : comme toujours, il n’y a besoin de complot), et que je n’appellerai pas ordre moral, car il est d’une autre nature, qu’il nous faut précisément chercher à nommer.
Ce qui me déplaît dans cette histoire de « pass » (ouvrira-t-on bientôt des hôtels de pass ? Nos adolescents, souvent, ne savent pas où aller…), ce n’est pas que les jeunes filles puissent prendre la pilule, c’est que j’y vois un nouveau symptôme d’un mal à la fois rampant et galopant : l’immixtion de la collectivité dans la vie individuelle, avec toujours un bon prétexte, certes, de prévention en sensibilisation, de législation en réglementation, d’incitation en interdiction. (Au fait, qu’est devenue dans cette affaire l’autorité parentale ? Je croyais que selon la loi elle s’appliquait jusque à 18 ans ?) Or, cette immixtion n’est pas neutre. Elle véhicule une conception des choses, une philosophie ou plutôt une idéologie. En matière de sexualité, à côté d’évolutions tout-à-fait bienvenues (concernant l’homosexualité, par exemple), la vision qui s’impose dans notre société de façon diffuse et multiple (et pas seulement avec le « pass ») ne me semble pas être libératrice au sens où l’entend Cyril Bennasar, mais sinistrement pragmatique, platement utilitaire : le sexe est considéré comme une fonctionnalité parmi d’autres, quand ce n’est pas comme un élément de confort domestique. Nous ne sommes plus censés avoir des désirs, mais des besoins. On n’a plus à rechercher un enthousiasme, juste à obtenir sa ration. La « jolie pomme défendue » se mue en cinq fruits et légumes par jour. Nous relevons de la gestion. Le sanitarisme s’en mêle : un rapport médical nous apprenait récemment qu’à partir de 21 éjaculations mensuelles, le risque de cancer de la prostate diminue et qu’« un bon rapport sexuel » (sic) équivaut sur le plan cardiovasculaire à deux heures de jogging. Voilà du discours triste ; voilà ce qui arrive quand le Conseil régional se mêle des amours, ou quand les autorités de santé s’inquiètent des baisers. Moi je dis : faites l’amour, pas l’espérance de vie ! Aimerdésirer plutôt que mangerbouger !
Jean Paulhan s’arrêta jadis, on le sait, devant cette inscription à la grille d’un square public de Tarbes : « Défense d’entrer dans le jardin avec des fleurs. » Alors, j’ai beau être catho (à ma façon), je veux entrer dans le jardin avec des fleurs, toutes les fleurs, de la pâquerette à la tubéreuse, de la jonquille à l’orchidée. À cet égard, Sophie Flamand a raison de me faire observer que la contraception permet justement d’y entrer sans crainte. Mais je ne crois pas avoir dit le contraire.
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