Décidément, l’affaire DSK a des conséquences à tous niveaux. Après nous avoir révélé l’existence d’un nouveau comportement intime (le binge-fucking) que l’on peut définir comme la faute morale en 7 minutes chrono, les suites de l’histoire du Sofitel modifient profondément les règles du journalisme.
Certes, avant le 14 mai 2011, on connaissait le roman-enquête où un écrivain mène l’investigation, comme Bernard-Henri Lévy après l’assassinat de Daniel Pearl. Avec l’affaire du Sofitel, on découvre l’enquête-roman menée par un grand journaliste, Ivan Levaï, mais uniquement en qualité de proche, de quasi-parent de DSK, livrant sa conviction intime, ses conceptions personnelles du viol et du comportement supposé des femmes africaines… En fin de compte, se livrant surtout au ridicule.
Quant au dernier avatar de l’investigateur tous azimuts, il s’agit du biographe officiel : Michel Taubmann. Biographe officiel, cela sonne comme hagiographe ficelle. On voit bien ce qu’a été la fonction de biographe du prince par le passé, notamment dans des régimes totalitaires où il fallait gommer untel sur une photographie ou untel autre dans une correspondance pour que le grand homme dont on conte la geste ne soit pas embarrassé aux entournures par des amitiés gênantes. Bref, réécrire une vie pour la postérité et la gloire.
Aujourd’hui, à l’époque du tweet, du mail, du SMS et de la presse en ligne, il semblerait que cela fonctionne toujours de la même façon, mais sous couvert d’enquête. On gomme, on efface, on glisse pudiquement sur les faits mais on s’interroge, voilà la nouveauté.
Ainsi selon Michel Taubmann, DSK aurait été victime d’un complot. La preuve, c’est qu’un grand journaliste indépendant, Edward Jay Epstein du New York Review of Books, le dit aussi. On apprendra incidemment qu’il est par ailleurs l’ami de Taubmann, mais seuls les mauvais esprits s’en émouvront.
Que s’est-il donc passé à l’hôtel Sofitel de New York ? Bien que consentie, la relation avec Nafissatou Diallo a été (et c’est l’un des éléments nouveaux de cette enquête) « stupide ». Ce point, affirme Taubmann, a été validé par DSK lui-même. On comprend que cette information tenue de la bouche du cheval, comme on dit, soit essentielle.
À ce stade du récit, rien ne prouve cependant que DSK ait dit quoi que ce soit de ce genre à son biographe. Depuis jeudi dernier, nous avons même la preuve que l’ancien patron du FMI a pris ses distances avec son ex-meilleur biographe. Son communiqué de presse est du genre cinglant : « Face à la multiplication récente d’interprétations d’événements me concernant, je tiens à affirmer que je ne suis engagé ni par les écrits, ni par les déclarations ou témoignages de quiconque, souvent inexacts ». Un recadrage qui n’a pas l’air d’affecter Michel Taubmann plus que ça. Voilà ce qu’il a par exemple déclaré à 20 minutes : « Le communiqué dit simplement que ce n’est pas Dominique Strauss-Kahn qui a écrit le livre, mais Michel Taubmann, ce qui est vrai. On a confondu deux choses : les déclarations exclusives que j’ai recueillies auprès de Dominique Strauss-Kahn – et qu’il ne nie d’ailleurs pas – et l’enquête que j’ai écrite. DSK n’est pas engagé par les thèses que je développe ».
Ces précision posées, revenons à notre récit. La suite est plus troublante encore : DSK aurait été l’objet d’une provocation qui n’a que trop bien réussi. Un regard concupiscent de Nafissatou Diallo sur ses attributs aurait suffi à le convaincre de son désir (à elle, le sien ne suscitant pas d’interrogation) puis à céder à la tentation.
Un vaste complot qui se déciderait, si j’ose dire, en un clin d’œil… On vacillerait, on serait légèrement effondré dans ses certitudes si ces révélations n’intervenaient pas après l’affaire dite du Carlton et les virées de Dodo la Saumure au FMI. On se dit que les Russes ou les Syldaves qui ont envoyé Nafissatou pour piéger DSK sont vraiment des branquignols, et qu’il aurait mieux valu que les services secrets belges s’en occupent en retournant (façon de parler) Béa, la femme de Dodo. Tout aurait été plus simple et plus rapide.
Seulement voilà, les complots c’est compliqué et Michel Taubmann n’a pas de chance. Sa première biographie intitulée Le roman vrai est sortie quelques jours avant le cataclysmique du 14 mai 2011. La publication de sa contre-enquête arrive juste après le Carlton. Que voulez-vous, les faits sont têtus…même pour les biographes officiels.
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