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L’axe Paris-Pékin est mal parti


L’axe Paris-Pékin est mal parti

La Chine veut humilier la France. Dans la tournée européenne que son Premier ministre Wen Jiabao va effectuer cette semaine, Paris fait figure de grand absent. Quel péché, demanderez-vous, avons-nous commis pour mériter ce châtiment aussi exemplaire que public ? Ceux qui pensent que l’ire de Pékin a été attisée par l’entretien que le président de la République a osé accorder au Dalaï Lama ont tout faux, ce ne peut être la véritable motivation des Chinois. La preuve ? Il suffit d’examiner l’itinéraire de Wen Jiabao : parmi les pays non-ignorés figurent l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Or, bien que cela date de six mois, on n’a pas oublié qu’Angela Merkel avait décidé de bouder la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin le 8 août dernier. Dans l’étape suivante de son périple européen, le Premier ministre chinois serrera la main d’un autre boycotteur, Gordon Brown, qui avait annoncé quatre mois avant l’événement son intention de ne pas se rendre à Pékin pour ladite cérémonie. Après un passage de la flamme olympique un peu perturbé à Londres, cette décision avait provoqué la fureur des autorités chinoises qui se sont, comme on peut en juger, calmées depuis.

Contrairement à Merkel et Brown qui ont boycotté la cérémonie d’ouverture sans perdre le droit à cette visite d’Etat, Sarkozy semble avoir perdu sur les deux tableaux. Le président de la République a choisi de se rendre à Pékin, ne voulant trop tirer sur une corde déjà assez raide après les incidents qui avaient émaillé le passage de la flamme à Paris. De plus, non content d’avoir semé la pagaille à Paris, le reporter sans frontières français Robert Menard avait réussi à perturber la cérémonie de l’allumage de la flamme en Grèce, ce qui avait indisposé les Chinois contre la France. Quand les enfants cassent, les parents doivent payer. L’Elysée comprend cette philosophie et préférant les intérêts de la France aux éphémères bénéfices médiatiques d’une position droit-de-l’hommiste, Sarkozy a dépêché sur place Raffarin et Poncelet, porteurs d’une lettre de plates excuses présidentielles à la demoiselle Jin Jing, l’escrimeuse handicapée qui avait porté la flamme olympique lors de son passage mouvementé à Paris.

Peu importe la façon dont on tourne cette affaire, la France a clairement tout fait pour ne pas fâcher les Chinois, assurant en même temps un service minimum vis-à-vis des Tibétains. Paris a certainement fait plus de chemin vers Pékin que Londres et Berlin. Résultats : le sommet sino-européen qui devait avoir lieu à Lyon ainsi que la rencontre prévue entre dirigeants chinois et français pour marquer le 45e anniversaire de l’établissement des relations ente les deux pays sont annulés (« reportés sans nouvelle date », en jargon diplomatique) et Wen Jiabao contourne soigneusement la France. Tout ça pour ça. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères s’emballe alors, avec sa prose d’un autre siècle : « Le revers des relations bilatérales n’est pas de la responsabilité de la Chine, et ce n’est pas ce que nous souhaitons voir » ou encore « Il est mieux que celui qui a fait défasse ce qu’il a fait. Nous espérons que la France prêtera une pleine attention aux préoccupations centrales de la Chine, prendra des mesures concrètes […] et ramènera les relations bilatérales sur la voie d’un développement sain ».

S’il s’agissait seulement d’un jeu diplomatique entre gouvernements, cette prose prêterait plutôt à sourire mais le problème est plus profond. Selon les professionnels du tourisme en France, sur les 9 premiers mois de l’année 2008, la fréquentation des touristes chinois dans l’hôtellerie française aurait chuté de 17%. Ce phénomène coïncide donc avec les « tensions olympiques » et précède la crise économique. Pas très grave ? Peut-être, mais le risque est que par ce jeu le gouvernement chinois transforme la France en une sorte de bouc émissaire responsable de tous les maux de l’Occident. Tout le monde se veut sa photo avec le Dalaï Lama ? c’est la France qui paye. En Grèce, à Londres, San-Francisco et Paris, le passage de la flamme ne se passe pas comme on se l’imaginait à Pékin ? On boycotte Carrefour et annule des voyages en France. Or, une fois qu’ils sont enracinés, il est presque impossible de se débarrasser des ces stéréotypes. Le « France bashing » pourrait devenir un sport national, et en Chine le sport est une affaire sérieuse.

Pourquoi s’en prendre à la France ? La Chine semble fâchée tout rouge contre la France, mais on peut aussi voir les choses autrement : ne cherche-t-elle pas à faire un exemple pour montrer urbi et orbi qu’il ne faut pas l’énerver ? Pour ce genre de démonstration, la cible idéale est celle qui assure un bon rapport risques/gains, autrement dit une victime dont on n’a pas vraiment peur et dont on peut obtenir des excuses avec force courbettes et messages de paix et d’amitié entre les peuples. Et puisque c’est ainsi et parce que nous sommes en crise économique, je propose qu’on nomme Raffarin ambassadeur à Pékin : pour faire le dos rond, il a le physique de l’emploi et pas mal d’expérience.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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