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Lyon est en train de mourir de la peste, comme dans le roman d’Albert Camus

La ville se meurt, tuée par son maire et les « jeunes »


Lyon est en train de mourir de la peste, comme dans le roman d’Albert Camus
Gérald Darmanin en visite à Lyon, samedi 30 juillet 2022, capture d'écran

Le lynchage de policiers survenu le 20 juillet dans le quartier de la Guillotière a démontré à la France entière que certains quartiers de la capitale des Gaules étaient devenus des zones de non-droit.


Lyon fut très longtemps une Reine. D’abord capitale des Gaules, elle éclaira ensuite la Renaissance de ses activités éditoriales intenses, fut le cœur battant du grand commerce européen et de la banque, étroitement liée à l’Italie. Elle fut aussi le berceau de l’industrie de la soie. Splendide et nonchalante, elle offrait aux caresses du soleil les bâtiments ocre et jaunes de ses vieux quartiers. Il en effleurait les façades, fardant avec amour les yeux grands ouverts de leurs jalousies qui veillaient sur la valse du temps.

Non sans une certaine arrogance, Lyon aimait aussi à exhiber le faste haussmannien de ses quartiers plus récents.

Place Bellecour, la statue équestre de Louis XIV rappelait à quiconque que Lyon était une ville soleil. Depuis la colline où l’on prie, la basilique de Fourvière, tutélaire, veillait sur elle tandis que deux fleuves rivalisaient pour la séduire. La Saône languide et paresseuse s’étirait sous ses ponts tandis que le Rhône impétueux heurtait leurs voûtes en des crues endiablées. Rabelais y opéra à l’Hôtel Dieu, Louise Labé et Maurice Sève y firent des vers. De la Croix-Rousse descend toujours le Chant des Canuts.

Lyon accueillait en son sein une Histoire qu’elle recueillait et qui la faisait briller.

Lyon s’éteint doucement

Pourtant, depuis quelques temps déjà, notre capitale des Gaules ploie sous les assauts d’un monde nouveau qui veut à toute force lui imposer sa laideur. L’été exacerbe les effluves d’urine et de bière mêlées dont on la baigne généreusement. Grégory Doucet, le maire, a tenu, du reste, à contribuer personnellement à la diffusion de cette entêtante fragrance en installant aux quatre coins de la ville de magnifiques urinoirs en inox.

Les « bouchons » où l’on faisait autrefois orgie de plats roboratifs tout en viandes et où coulait le rubis des bons vins ont laissé place à des échoppes qui imposent une marchandise étique (graines dans des bocaux ou autres fruits et légumes flétris et terreux) au nom de la nouvelle éthique du « manger juste ». Les night-clubs des bords de Saône ferment les uns après les autres, remplacés par des marchands de cycles vendant de chics vélos électriques à de sages bobos écolos.

En centre-ville, des plots en béton crèvent le bitume, comme les bubons d’une peste noire, la peau d’un malade. Tels des herses, ils épaulent les sens interdits dans l’entrave d’une circulation devenue criminelle. Les commerçants agonisent sur l’autel de la décroissance.

Lyon s’éteint doucement sous la coercition.

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Tout n’est pas sans espoir, pourtant. C’est en effet une vie nouvelle qui sourd du corps défendant de la vieille dame. Dans des quartiers chaque jour plus nombreux, la vie jaillit, impétueuse, comme le ferait le sang d’une artère tranchée.

Quittez la place Bellecour et traversez un pont. Vous êtes place Gabriel Péri, dans le tristement célèbre quartier de La Guillotière, « caractérisé par sa mixité sociale et ethnique ».

La Guillotière, c’est quelques rues, un pâté de maisons tout au plus. Les camelots de mon adolescence y ont disparu, remplacés par des bandes de jeunes gens errants, hagards et faméliques. Drogués souvent, prêts à tout pour obtenir quelques subsides, ils tâchent de se divertir d’une vie qu’ils savent au fond d’eux-mêmes perdue, font le coup de poing pour un mauvais regard. On passe vite en ces lieux, le front baissé, les yeux rivés au sol pour éviter les détritus à terre. Des policiers municipaux, désarmés et craintifs, sont parfois là, accrochés à leur véhicule comme des bernard-l’ermite à une ultime coquille protectrice, dernier rempart vacillant d’une civilisation exténuée. On y sent la peur et la soumission à la loi du plus fort.

Passe d’armes Doucet / Darmanin

Suite au dernier lynchage de policiers, le quartier a reçu la visite de Gérald Darmanin samedi. Elle a été précédée de celle de Grégory Doucet, le maire de Lyon. Les habitants de ce quartier en déshérence ont eu droit, désabusés, à une passe d’armes entre les deux hommes. M. le maire est allé jusqu’à se dispenser d’accueillir le ministre de l’Intérieur qui a pu, à bon compte, passer pour un cador. Il a ainsi inauguré le centre de rétention (CRA) de Lyon, précisant : « En 2022, avec deux CRA à Lyon, nous doublerons les capacités de retenue d’étrangers irréguliers, en priorité délinquants, pour les porter à 280. 200 policiers supplémentaires y seront affectés. » Il a ensuite salué le travail fait sur la sécurité par Gérard Collomb, prédécesseur de l’actuel édile de Lyon, ne se privant pas d’ironiser sur l’absence, peu stratégique, on en conviendra, de Grégory Doucet : « Peut-être que M. le Maire de Lyon est en vacances, mais moi, j’ai toujours été là. »

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Grégory Doucet multiplie pourtant les actions coup de poing pour la sécurité de Lyon. « La Guillotière en colère », association apolitique de riverains et de commerçants de ce quartier qui dénonce l’insécurité et les nuisances, a pu le constater au mois de mars et s’en féliciter. En effet, l’urinoir initialement installé devant le supermarché U, a déjà été déplacé à côté… de la porte d’entrée de la Direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse, rue Moncey.

La politique peu rassurante du maire écolo

Le maire s’est rendu vendredi, à reculons, au chevet des habitants de la Guillotière afin de prévenir la visite de Gérald Darmanin et c’est encore plus fort qu’il a décidé de frapper : « Une semaine après l’agression de trois policiers, je veux agir avec sans- froid et détermination ». Voici donc ce qu’il préconise : allouer 150 000 euros au renforcement des « actions sociales et culturelles », 100 000 euros pour le dispositif « jeunes en errances », ouverture d’une « Maison des Projets pour les habitants », la « Sensibilisation et le renforcement des contrôles pour améliorer la propreté », « Plan d’urbanisme à la rentrée ». Je ne sais pas vous, mais moi, ça me rassure.

D’autant plus qu’à Lyon comme à Oran, dans La Peste d’Albert Camus : « Les foyers d’infection sont en extension croissante. À l’allure où la maladie se répand, si elle n’est pas stoppée, elle risque de tuer la ville en moins de deux mois. » On attend La Chute qui ne saurait tarder : tirs à balles réelles à la Duchère, agression mortelle du journaliste Gérard Corneloup, ce, pour la partie émergée de l’iceberg.

Pour le reste, il convient de signaler la place des Terreaux sur laquelle donne l’Hôtel de Ville, théâtre, il n’y a pas si longtemps, de rodéos urbains. Quant à ses rues avoisinantes, il vaut mieux les éviter à la tombée de la nuit…  La semaine dernière, des individus, dont des étrangers en situation irrégulière, ont attaqué (selon le journal le Progrès) les gérants du Vival de la Rue de la Barre, rue qui donne sur la place Bellecour. Quand on est contraint de garer son véhicule dans le parking de la place Bellecour (On évite autant que faire se peut les transports en commun où se multiplient les « incivilités ». Quant aux vélos électriques, on s’en est déjà fait voler deux.), on serre son sac et on baisse les yeux. Des « jeunes » errent en bande dans ledit parking, rôdent près des bornes de paiement. On les trouve parfois affalés entre les voitures, c’est selon.

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On parle enfin souvent de la Duchère, dans le neuvième arrondissement. Il convient de préciser que cet arrondissement ne compte pas que ce paradis, il recèle aussi une petite Guillotière, côté Saône, un autre bijou. J’ai dû m’y rendre vendredi dernier et j’ai constaté que le café de la place Valmy n’était plus fréquenté que par des hommes. Nombreux mineurs isolés zonent aussi, non loin de la bouche de métro. Des jeunes gens avilis par la drogue font la manche devant le Monoprix. Un homme s’est adressé à moi dans une langue que je n’ai pas comprise. Il a terminé sa diatribe sur un crachat. J’ai eu la chance de l’éviter, d’un pas de côté, in-extremis.

Lyon, c’est hélas, ce que toutes les villes de France risquent de devenir. « Si, aujourd’hui, la peste vous regarde, c’est que le moment de réfléchir est venu. Les justes ne peuvent craindre cela. Mais les méchants ont raison de trembler. Dans l’immense grange de l’univers, le fléau implacable battra le blé humain jusqu’à ce que la paille soit séparée du grain. » La Peste, Albert Camus, 1947.

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est professeur de Lettres modernes

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