Après un vol à l’arraché survenu mercredi dans ce quartier lyonnais dangereux, la foule s’en est violemment pris aux policiers, permettant au malfaiteur de s’enfuir. L’exécutif, dépassé, promet des sanctions et plus de moyens. L’opposition et l’opinion, choquées, y voient une civilisation qui sombre. L’analyse de Céline Pina.
Parce qu’ils ont tenté d’interpeller un homme ayant commis un vol à l’arraché, trois policiers en civil ont failli se faire lyncher dans le quartier de la Guillotière à Lyon. Ce quartier, situé en plein centre, non loin de la fameuse place Bellecour, est devenu une zone de non-droit. Sa réputation de coupe-gorge est telle que la télévision allemande avait choisi d’y installer ses caméras en mai 2022 pour illustrer un sujet sur la montée de l’insécurité en France. Quant à l’ancien Maire de Lyon et ancien ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, il regrette que Lyon soit en train de devenir comme « les quartiers nord de Marseille ou la grande banlieue parisienne » et déclare « ne plus reconnaitre sa ville ». Si l’ancien édile a probablement des griefs contre le maire actuel, Gregory Doucet, force est de reconnaitre que nombre d’habitants pointent également le laxisme de la municipalité EELV dans la dégradation de la situation.
« La Guillotière en colère » jette l’éponge dans l’indifférence
Certes, le maire a déclaré sur Twitter que « rien ne peut justifier les violences exercées à l’encontre des policiers nationaux ». Mais c’est quand il ajoute « nous continuerons d’agir pour assurer la tranquillité publique dans notre ville » que le doute peut légitimement s’installer. En effet, quelques jours avant la tentative de lynchage des policiers, l’association « La Guillotière en colère » avait choisi de se dissoudre au vu de l’indifférence des pouvoirs publics et des procès en racisme et proximité de l’extrême-droite qu’elle subissait. Celle-ci était vue comme pas assez nuancée, l’exaspération de ses membres et leur colère étant ainsi assimilées à une dérive politique droitière.
Cette association dénonçait la violence endémique du quartier, le trafic et la consommation de drogue, le trafic de cigarettes et la déchetterie à ciel ouvert que devenait leur quartier. Elle avait eu le malheur de pointer également le communautarisme et la présence de nombre de migrants parmi les divers trafiquants. Dans le communiqué publié, l’association dénonçait « le déni » et « les mensonges » des élus de la ville de Lyon et de la communauté d’agglomération. Elle s’adressait particulièrement à Gregory Doucet, parlant d’une politique « d’enfumage d’ateliers participatifs » servant surtout « à donner le semblant aux citoyens que la mairie s’occupe d’eux. Après deux ans aux manettes, chacun peut ici se rendre compte qu’il n’en est absolument rien. » À l’inverse, l’association rendait hommage aux services de la Préfecture. Elle notait que lorsque le supermarché Casino avait dû annoncer sa décision de fermer ses portes à partir de 17 heures, faute de pouvoir garantir la sécurité de ses employés et de ses clients, la Préfecture avait réagi. Le dialogue instauré avait d’ailleurs abouti à la mise sur pied d’une Brigade Spécialisé de Terrain.
Logique de meute et immigration hors contrôle
La question reste encore et toujours celle de la réponse pénale apportée. L’homme qui a été à l’origine de l’agression des policiers est connu par les services de police. Algérien en situation d’expulsion, il a plus d’une dizaine de condamnations à son actif mais est toujours sur le territoire. Comment remédier à la violence si les interpellations ne débouchent sur rien ? Autre point problématique, il semblerait que l’auteur de l’arrachage de collier qui a motivé l’intervention des policiers à la Guillotière aurait harangué la foule présente afin que celle-ci agresse les policiers. Or, pour que la logique de meute fonctionne, il faut que les représentations soient partagées. Pour enflammer ainsi un groupe hétérogène et non une bande dûment constituée, il faut qu’à défaut de liens forts, les individus aient la même vision des choses. Quand la police est présentée par certains politiques, souvent proches d’EELV ou de LFI, comme une institution où règne une forme de « racisme systémique », que l’action de l’État est vue comme illégitime et que la logique communautaire supplante le respect de la loi, voilà ce qui peut se produire. Les images de l’agression des policiers montrent aussi une foule complètement désinhibée qui ne manifeste aucune crainte ni aucun scrupule à s’en prendre aux forces de l’ordre. Elle ne connait que le rapport de force et quand celui-ci est en sa faveur, elle se déchaine. À voir les images, on comprend le tweet de Laurent Wauquiez qui écrit : « Ces faits divers ne sont plus des faits divers. Ils sont le signe d’une civilisation qui sombre. »
Il faut dire que la Guillotière est emblématique de ce qui arrive quand un pouvoir croit qu’au lieu de traiter la problématique de la délinquance, la reléguer dans des zones de non-droit à la périphérie des grandes villes, est un moyen de la circonscrire. Cela ne marche qu’un temps puis la violence tend à déborder et la zone de non-droit à s’étendre selon la logique de la tache d’huile. Faute de réponse appropriée, il devient alors plus facile de transformer les victimes en coupables et de trouver leurs réactions exagérées et teintées de racisme. C’est ainsi qu’à Paris, pendant que certains subissent des nuisances quotidiennes dans certaines banlieues qualifiées pudiquement de « difficiles », une partie de l’élite peut, en toute bonne conscience, traiter de fachos ou de suppôt de l’extrême-droite, ceux qui alertent sur l’ensauvagement du pays. Cette attitude a ses explications. Faire usage de la force pour faire respecter l’ordre public n’est pas toujours facile à assumer. Interpeller des voyous se fait rarement en douceur et les images ne sont pas jolies à regarder. Surtout quand elles sont filmées et alimentent les indignations médiatiques. Les élus craignent aussi que la situation ne dégénère en émeutes urbaines. Mais fermer les yeux n’assure pas la paix sociale: les situations s’enkystent et l’impunité nourrit encore plus de violence. Hélas, ceux qui les subissent sont comme le messager qui apporte de mauvaises nouvelles, leur discours n’est pas entendu car il révèle l’impuissance de ceux qui sont aux manettes.
Une inquiétante résignation politique
Ce qui se passe à la Guillotière n’est pas seulement de l’ordre du fait divers. Cela parle de l’ensauvagement d’une société faute d’une réponse appropriée de la justice. Tant que ces questions-là ne feront pas l’objet d’une doctrine partagée et que le contexte d’augmentation de la violence ne sera pas pris en compte dans la réponse pénale, la protection des personnes ne pourra être correctement assurée. La question de la sanction n’est pas affaire uniquement de rédemption individuelle ou de prise en compte de l’histoire personnelle des voyous, il s’agit aussi de protéger la société et de s’en donner les moyens.
Cet aspect du problème semble hélas négligé, au point que nos dirigeants paraissent résignés à ce que des quartiers comme la Guillotière poursuivent leur dérive. Dans le reportage du Figaro, un habitant raconte comment les patrouilles de police ignorent parfois les trafics se déroulant pourtant sous leurs yeux, semblant n’intervenir qu’en cas d’agression. Quand les commerçants se plaignent de trafics de cigarettes se déroulant sur le pas de leur porte, on a du mal à imaginer que les trafiquants ne sont pas connus des services de police et on a du mal à concevoir autant de tolérance. Finalement, le seul conseil que l’on a envie de donner aux habitants est de partir. Ce qui s’avère compliqué quand, à cause de la réputation du quartier, les logements ne se vendent pas ou alors à un prix très inférieur à celui du marché. Ce qui complique l’achat d’un autre bien…
Ainsi, tandis que les voyous paraissent devenir les maitres du territoire, les habitants sont condamnés à subir et à se taire. C’est de cette manière que Lyon, naguère ville bourgeoise et tranquille, est en train de changer de visage. Il est plus que temps que la municipalité ouvre les yeux sur la réalité et change de discours et d’attitude. Un pouvoir ne gagne jamais à nier le réel, car celui-ci finit toujours par gagner.
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