On n’est pas obligé d’aimer le personnage de Yann Moix, ni son travail de feuilletoniste littéraire au Figaro. Il a parfois l’arrogance bien complaisante pour les puissants du moment et c’est d’une manière un peu attendue qu’il manie le hachoir du paradoxe, toujours à la limite d’incarner la figure murayienne du rebellocrate.
« L’e-meute », la nouvelle doxa électronique
Ceci dit, en se lançant dans un combat pour Polanski où il n’y a que des coups à prendre, il ne manque pas d’un certain panache. « J’ai juré de vous émouvoir, d’amitié ou de colère, qu’importe ! », annonçait crânement Bernanos à ses lecteurs, dans La Grande peur des bien-pensants. C’est aussi le pari de Moix dans La Meute, où la rigueur amère des démonstrations stylées se teinte parfois d’un certain désespoir.
[access capability= »lire_inedits »]« Je suis polanskiste », déclare Moix. Et il l’est de manière souvent excessive, parfois choquante mais toujours argumentée. Pour Moix, ce que dit l’affaire Polanski sur notre société est à la fois très moderne et très archaïque. Si elle a suscité autant de passions, c’est qu’elle renvoie à l’idée que nous nous faisons de la justice, à notre rapport à cette exception insupportable qu’est le génie de l’artiste dans les sociétés démocratiques ou encore au rôle tout à fait nouveau d’Internet qui fait se multiplier en temps réel et dans le plus confortable des anonymats les calomniateurs d’un jour, dans une néo-doxa électronique que Moix appelle joliment, l’« e-meute » : « Vous ne voulez pas savoir de quoi Polanski est coupable exactement. Vous voulez qu’il soit exactement coupable. Le coupable exact. Qu’il réponde à la définition la plus exacte du mot coupable. »
Moix analyse intelligemment cette façon qu’a notre époque de nier la durée et la mise en perspective historique. Qu’y a-t-il de commun entre un homme de 40 ans au moment des faits et celui qu’on voudrait juger… trente-deux ans après, sans la moindre prescription, comme si l’on avait affaire à un criminel contre l’humanité ? Qu’y a-t-il de commun entre l’accusation de pédophilie − d’ailleurs parfaitement mensongère concernant Polanski −, avant et après l’affaire Dutroux, qui est un point de non-retour dans l’horreur comme le fut Auschwitz dans l’antisémitisme ?
« C’est la procédure qui, insensiblement, devient le jugement »
La méditation de Moix s’appuie cependant sur deux ou trois faits incontestables pour étayer ses partis pris. Ainsi a-t-on soigneusement oublié de préciser, du côté des partisans de la mise à mort, que Polanski n’avait jamais été accusé de viol mais de détournement de mineur et que la victime, aujourd’hui quadragénaire, a depuis longtemps retiré sa plainte et dit à de nombreuses reprises que l’acharnement de la justice américaine à médiatiser l’affaire lui avait fait plus de mal que Polanski lui-même.
C’est donc sans avoir besoin de forcer l’interprétation que Moix, qui parsème son livre de citations-miroirs du Procès de Kafka, montre la communauté de destins entre Joseph K. et Roman P. dans cette affaire où « c’est la procédure qui, insensiblement, devient le jugement ».
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