Accueil Société Je fais grève donc je sauve: la pensée magique des lycéens au service du « climat »

Je fais grève donc je sauve: la pensée magique des lycéens au service du « climat »

Le vendredi, parce que le samedi c'est congé


Je fais grève donc je sauve: la pensée magique des lycéens au service du « climat »
Manifestation lycéenne pour "le climat" à Lausanne en Suisse, janvier 2019. ©Valentin Flauraud/AP/SIPA / AP22292425_000010

Dans plusieurs pays d’Europe, un phénomène venu de Suède se propage: des manifestations lycéennes pour « sauver » le « climat ». Une nouvelle illustration des révoltes paresseuses de notre temps: la pensée magique sauvera le monde. 


Partie de Suède, la vague de « grèves » scolaires pour le climat a déferlé sur les Pays-Bas, l’Australie, l’Allemagne et maintenant la Suisse, avec la bénédiction des autorités. Pourtant, le lien entre sécher les cours et sauver la planète n’a rien d’évident.

Tout a commencé avec une écolière suédoise, atteinte du syndrome d’Asperger, séchant ses cours du vendredi en protestation contre le réchauffement climatique. Qu’un mouvement d’une telle ampleur prenne sa source dans un fait si insignifiant ne peut étonner que ceux qui ignorent la dynamique des réseaux sociaux, du buzz, de la viralité, qui promeut n’importe quoi pourvu qu’il soit dérisoire, infantile, et ne se soucie jamais de renvoyer à une quelconque réalité. C’eût pu être la fonte d’une boule de glace vanille filmée en fast motion ; une course de vélos citoyenne en Finlande ; la vidéo d’un chat triant ses déchets. Ce fut une écolière suédoise séchant les cours du vendredi.

Le vendredi, parce que le samedi c’est congé

Genève, jamais en retard d’une innovation pédagogique funeste, s’empressa d’applaudir le mouvement et libéra les élèves des cours du vendredi après-midi. Sur les ondes de la Radio Télévision Suisse (RTS), un ancien directeur d’établissement se réjouit de la mobilisation des élèves : elle leur donnerait l’occasion de lever enfin le nez de leurs smartphones pour se rencontrer « dans la vraie vie ».  Pour un jeune à l’ère numérique, sortir dans la rue « pour de vrai » est donc un exploit qui doit être dignement salué.
Sauf que de monde réel, il ne fut évidemment pas question lors de la « grève » du 18 janvier. Loin de sortir de la sphère numérique, les jeunes se réunirent sous l’injonction du Réseau, pour et par le Réseau, et leurs agitations retourneraient au Réseau, avec la complicité des médias subventionnés et des twitteurs impénitents. Tout cet émoi retournerait au néant d’où il était sorti ; la planète n’y verrait que du feu.

A lire aussi: Les lycéens belges ont choisi: sauver le climat, pas les fins de mois

On peut mesurer la pérennité d’un mouvement à la radicalité de son acte fondateur. En 1969 le Tchécoslovaque Jan Palach, étudiant en philosophie, s’immola sur la place Venceslas de Prague pour dénoncer l’invasion soviétique. A Ben Arous, Mohamed Bouazizi, 26 ans, usa du même procédé pour lancer le Printemps arabe. La « révolution verte », semble-t-il, sera provoquée par des lycéens brandissant des pancartes en anglais – le vendredi après-midi, parce que samedi, c’est congé.

Une soirée Netflix pour le « climat » !

Interviewé par le quotidien Le Temps, Jacques Dubochet, genre de Michel Serres vaudois, sorti de sa réserve par un malencontreux prix Nobel de chimie, s’écria dans un éclair de jeunisme : « Nous vivons un moment historique ! Lorsque j’ai entendu le discours que la Suédoise Greta Thunberg, qui milite pour le climat, a tenu lors de la COP24, j’ai pleuré. Je l’ai réécrit sur un bout de papier que j’ai glissé dans ma poche. Je ne m’en sépare plus. Et maintenant, les écoliers en Suisse ! C’est magnifique. » La vérité, c’est que la jeunesse fit en ce vendredi après-midi exactement ce qu’elle fait souvent, c’est-à-dire sécher les cours. Associer cette « grève » au sauvetage de la planète relève de la pensée magique si bien diagnostiquée par Philippe Muray.

Paraphrasons l’écrivain, qui stigmatisait joyeusement les meetings organisés dans toute la France « pour libérer Florence Aubenas », sans que le lien de cause à effet entre des lâchers de ballons et la libération de l’otage apparût clairement (c’est le moins que l’on puisse dire). Au lieu de sécher les cours « pour le climat », donc, la jeunesse eût tout autant pu lancer un festival électro pour le climat, organiser un paintball géant pour le climat, faire un bowling pour le climat – la question étant dès lors de savoir ce qu’on ne peut pas faire pour le climat, s’il est possible d’aller aux bains thermaux pour le climat, de jouer à FIFA pour le climat, de faire un rodéo sur l’autoroute, du squat, du développé couché, une virée à Europapark, une soirée Netflix, pour le climat.

L’abolition du réel

Dans le monde en images de synthèse qui nous tient lieu de réel, l’intention seule compte, à condition qu’elle soit bonne, c’est-à-dire affirmant tautologiquement la supériorité du bien sur le mal, des gentils sur les méchants, d’une petite écolière suédoise sur un capitaliste pollueur. Voilà ce qui reste du monde une fois le réel aboli – le réel, c’est-à-dire le travail, la production, les rapports de force, les vraies grèves. Tout cela a été délocalisé, façon H&M, au Bangladesh. Aux Suédois, il ne reste que les bonnes intentions, c’est-à-dire le marketing, c’est-à-dire la communication ; avec la « grève » des lycéens s’est joué quelque chose de notre suédisation à marche forcée.

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