Le billet du vaurien
Parmi les événements de la Première Guerre mondiale, rares sont ceux qui ont provoqué une telle émotion que le naufrage du paquebot Lusitania, torpillé par les Allemands au large des côtes irlandaises et coulé en dix-huit minutes, le 5 mai 1915. Plus de mille deux cents personnes, dont le milliardaire Alfred Vandebilt, y perdront la vie. Et depuis un siècle, après le naufrage du Titanic en 1912, les hypothèses les plus farfelues seront élaborées pour comprendre comment ce paquebot, le plus luxueux du monde, a pu couler en moins d’un quart d’heure. Le mystère reste entier, aucun scénario n’ayant été confirmé en raison de l’épave qui repose à 90 mètres de profondeur. Seule certitude : ce n’est pas le naufrage du Lusitania qui décidera les Américains de combattre aux côtés des Anglais.
Ce bref rappel historique pour mieux revenir à Marcel Proust et, en l’occurrence, à l’un des personnages les plus pittoresques et les plus odieux de la Recherche : Madame Verdurin. Elle a obtenu du docteur Cottard une ordonnance lui permettant de se procurer des croissants prétextant qu’ils apaisent ses migraines, ainsi qu’une autorisation spéciale des bureaux militaires. Mais que ne refuserait-on à Madame Verdurin ?
Croissant, covid et stratégie
Toujours est-il que le 8 mai 1915 au matin, en trempant son croissant dans le café au lait et donnant des pichenettes à son journal pour qu’il pût se tenir grand ouvert sans qu’elle eût besoin de détourner son autre main des trempettes, elle disait : « Quelle horreur ! Cela dépasse en horreur les plus affreuses tragédies. » Mais, note malicieusement Proust, la mort de tous ces noyés ne devait lui apparaître que réduite au milliardième, car, tout en faisant la bouche pleine ces réflexions désolées, l’air qui surnageait sur sa figure, amené probablement là par la saveur du croissant, si précieux contre sa migraine, était plutôt celui d’une douce satisfaction.
Et, comme chaque soir, dans son salon politique, elle continuerait à pérorer sur ce que les armées devraient faire sur terre comme sur mer. Remplaçons son salon par les chaînes d’information en continu et Madame Verdurin par le chroniqueur de votre choix prônant telle ou telle stratégie pour éradiquer le virus apocalyptique coûte que coûte et tirez-en la conclusion qu’il vous plaira !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !