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L’union sacrée, enfin !


Catherine Deneuve dans Belle du Jour

Il n’y a plus ni droite ni gauche, ni hommes ni femmes, ni Anciens ni Modernes : il n’y a plus que des Français. Le 6 décembre, anticipant le rassemblement républicain auquel appelle Jean-Pierre Chevènement dans les pages qui suivent, les députés ont donné à la nation un bel exemple de courage et d’unité, votant d’une seule voix un texte pour l’avenir. Les générations futures nous remercieront d’avoir su, dans une heure aussi grave, surmonter nos querelles. Personne ne pourra dire que la France s’est couchée devant l’ennemi. Et encore moins qu’elle a couché avec l’ennemi.

Alors que moins d’une dizaine de parlementaires de gauche avaient voté la loi proscrivant le port du voile intégral, une cruelle tragédie a dû frapper notre pays pour que villepinistes et sarkozystes, hollandais et aubrystes, communistes et lepénistes, se donnent ainsi la main . Les troupes allemandes sont-elles massées au bord du Rhin ? Une catastrophe dans une centrale nucléaire ? Un plan de guerre pour sauver l’école ?
Vous n’y êtes pas. Si nos députés ont joué l’air de l’union nationale, c’est pour faire cesser un scandale et même le plus vieux scandale du monde – peut-être aurait-il pu à ce titre attendre le début d’une nouvelle législature. Non, il était urgent de « conforter la position abolitionniste de la France ». J’aperçois des regards égarés dans les rangs. Allez, je lâche le morceau. Ce n’est pas contre le chômage, l’illettrisme ou la misère que la France est en guerre, mais contre la prostitution. Le sexe tarifé. « L’amour qui passe », comme on dit en Afrique.

À vrai dire, le texte ne change pas grand-chose, puisqu’il s’agit d’une simple résolution rappelant un principe auquel la France adhère depuis la fermeture des maisons closes en 1946. Il a fait plaisir à ceux qui le votent et sans doute à un paquet de leurs électeurs, dont la seule approbation vaut rachat de quelques-uns de leurs péchés. Mais l’objectif, à terme, est bien de « libérer notre société de la prostitution », comme l’a proclamé sous les vivats de ses collègues la socialiste Danièle Bousquet, présidente de la mission parlementaire dont l’UMP Guy Geoffroy a été le rapporteur. Après avoir auditionné 200 personnes, dont une quinzaine de « travailleurs du sexe », les deux lurons, que l’on croirait sortis des ligues de tempérance de Lucky Luke, vont déposer une proposition de loi visant à pénaliser le recours à la prostitution – autrement dit à punir le client.

Rappelons qu’il n’a jamais existé de société sans prostitution. À ce compte-là, me dira-t-on, on peut aussi cesser de lutter contre le crime parce qu’une société sans crime, on n’en a jamais connu non plus. Justement, quand on entend les promoteurs de cette grande cause, on a l’impression que c’est la sexualité, non pas hors-mariage mais hors-amour, qui est criminelle. Ou plus précisément la sexualité masculine qui, si on comprend bien, a désormais le choix entre « Papa dans Maman », « Papa dans Papa » et la veuve Poignet. Car on nous répète sur tous les tons que 15 % des « personnes prostituées » sont des hommes, mais on dit un peu moins fort que l’écrasante majorité des clients le sont aussi. Sur le plateau de Frédéric Taddéi, une jeune femme savante et progressiste trouvait vraiment dégoûtant que l’on puisse penser que la sexualité était un « besoin » pour les hommes. La péronnelle-philosophe estimait d’ailleurs tout-à-fait insupportable l’idée qu’il pût exister une différence entre les hommes et les femmes. Dans mes vies antérieures, je n’ai jamais été un garçon, mais pour le peu que j’en connais, j’ai tout de même l’impression que l’abstinence est plus dure au sexe fort.

Essayons d’imaginer le christianisme sans Marie-Madeleine, la littérature privée de Nana, Esther – héroïne de Splendeur et Misères des courtisanes – Marguerite, la Dame aux camélias. Rappelez-vous Irma la Douce, Melina Mercouri, solaire dans Jamais le dimanche, Belle de Jour ou Pretty Woman. On m’objectera qu’il serait immoral, pour ne pas dire franchement dégueulasse, de laisser des malheureuses vendre leur corps pour satisfaire la gourmandise des lecteurs et spectateurs. De fait, la prostitution n’est pas un folklore mais la véritable histoire d’êtres humains obligés de vendre leur corps pour survivre, ou en tout cas qui préfèrent ce mode de survie à d’autres. Justement, si elle a nourri la grande littérature et engendré d’attachants personnages, c’est bien parce qu’elle est une affaire éminemment humaine, c’est-à-dire contradictoire, ambiguë, douloureuse et peut-être même adulte.
Dans le fond, c’est sans doute ce qui la rend si insupportable.

Que l’Etat déploie les plus grands efforts pour lutter contre la violence, l’exploitation, la réduction en esclavage de femmes et d’hommes que leur faiblesse ou leur misère rendent plus vulnérables, rien à dire. Que le proxénétisme et le trafic de chair humaine soient sanctionnés avec la plus grande sévérité, c’est le minimum. Que la prostitution soit réservée à celles et ceux qui le choisissent, fort bien. J’admets même que ce choix n’en soit jamais vraiment un : peu de petites filles veulent être caissières ou femmes de ménage. Eh bien, que l’Etat fasse en sorte que les petites filles n’aient plus à « faire caissière » et qu’il nous laisse nous occuper de nos fesses.
 

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Décembre 2011 . N°42

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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