Si « la célébrité du criminel, pour ne pas dire sa popularité, est souvent à la mesure de l’atrocité du crime »[1. Ainsi que l’écrit Catherine David dans son essai Les violons sur le moi, Denoël 2010.], le Canada n’est pas près d’oublier le nom de Luka Rocco Magnotta, dit le dépeceur de Montréal, dont le procès se tient en ce moment. Pourra-t-on en dire de même de Jun Lin, sa victime ?
Élu personnalité de l’année 2012 par l’agence La Presse canadienne, Eric Clinton Newman alias Luka Rocco Magnotta, l’homme aux 127 pseudonymes, a réussi à accomplir son plus grand rêve : il est devenu célèbre et d’une certaine manière immortel comme Érostrate qui s’était autrefois illustré en brûlant le temple d’Artémis. Dans Le Mur, Jean-Paul Sartre narrait d’ailleurs son histoire :
« Il s’appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n’a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d’Éphèse, une des sept merveilles du monde.
— Et comment s’appelait l’architecte de ce temple ?
— Je ne me rappelle plus, je crois même qu’on ne sait pas son nom.
— Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d’Érostrate ? Vous voyez qu’il n’avait pas fait un si mauvais calcul ».
En France, Karl Zéro a publié Dans la peau de Luka Magnotta. Histoire d’un web-killer, indécemment écrit à la première personne. C’est bien connu, la perversité de l’assassin, même présumé, fascine toujours plus que l’innocence de la victime : qu’y aurait-il à révéler de Jun Lin à une foule abrutie par la télé-réalité et le voyeurisme autres ?
Né en Chine en 1978, Jun Lin était venu étudier les sciences informatiques à l’Université Concordia de Montréal. Le destin lui fit rencontrer Luka Magnotta, ancien escort boy et acteur porno. Poussé par une soif de célébrité insatiable, il assouvissait ses instincts les plus mortifères en filmant et en diffusant sur Internet des sévices infligés à des chats. Mais ce Narcisse à l’ego surdimensionné n’allait pas s’arrêter là : après avoir filmé le viol et le démembrement de Jun Lin, il diffusa la vidéo du crime sur Internet… avant d’envoyer certaines parties du corps du défunt à des écoles. Au terme d’une traque internationale entre le Canada, la France et l’Allemagne, il fut finalement arrêté dans un cybercafé berlinois en juin 2012 puis extradé vers le Canada où il encourt aujourd’hui la perpétuité.
Malgré la fascination qu’il exerce sur certains, Luka n’est que le produit d’une époque où « après avoir épuisé les jouissances sexuelles, il était normal que les individus libérés des contraintes morales ordinaires se tournent vers les jouissances plus larges de la cruauté »[2. Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, Flammarion, 1998.]. Son itinéraire le rapproche d’un personnage houellebecquien : l’horrible dépeceur des Particules élémentaires : David di Meola, rock star ratée, convaincu que « tout ce qui se bâtit de grand dans le monde se bâtit au départ sur un meurtre ». Il y a aussi du Bret Easton Ellis chez ce psychopathe qui utilisa la musique du film American Psycho comme bande sonore de son snuff movie.
D’ailleurs, Magnotta serait-il devenu la nouvelle star du web, sans le concours de ceux qui ont pris le temps de visionner sa cruauté ? De Berlin à Paris en passant par Montréal et Toronto, des milliers d’individus l’ont regardé violer, découper et manger sa victime. Aurait-il agi ainsi s’il n’avait pas été certain d’être regardé et de provoquer chez ces milliers de voyeurs, avides de sensations malsaines, toutes sortes de sentiments ? Haine, dégoût, horreur mais aussi admiration et envie ; car Magnotta a désormais un public. Sa renommée, aussi sordide soit-elle, provoque des extases mystiques et pourrait faire naître de nouvelles vocations.
Qui de Luka Magnotta ou de son spectateur commet l’acte le plus obscène ?
Ironie du sort, le vrai nom de Magnotta est Newman : l’homme nouveau. Doit-on y voir l’annonce prophétique d’une nouvelle espèce de psychopathe ?
*Photo : Marco/Zak.
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