Depuis qu’il a embrassé sur la bouche la capitaine de l’équipe qui venait de gagner la Coupe du monde du football féminin, Luis Rubiales s’est attiré les foudres de fédérations sportives, d’associations féministes et de commentateurs médiatiques. Il est indéniable que son geste était déplacé, mais peut-on vraiment le qualifier comme une « agression sexuelle »? Réflexions.
L’affaire du « baiser forcé » de Luis Rubiales, président de la Fédération Royale Espagnole de Football (RFEF), à la joueuse Jennifer Hermoso lors de la remise de la Coupe du monde féminine après la récente victoire de l’équipe espagnole, n’en finit pas de faire des vagues. Aussi, face à la polémique grandissante – un scandale qui fait unanimement aujourd’hui la une de la plupart des journaux internationaux – la FIFA a-t-elle décidé, samedi 26 août, de suspendre, pendant une période initiale de 90 jours en attendant l’enquête disciplinaire, ledit président de ses fonctions.
La juste condamnation d’un geste inapproprié
Le jour même, la prestigieuse Ligue du Droit International des Femmes (LDIF), association jadis créée par Simone de Beauvoir et présidée aujourd’hui par Annie Sugier, a publié un communiqué qui salue « la double victoire de l’équipe nationale féminine de football d’Espagne ». Double, car « championne du Monde, l’équipe nationale espagnole féminine est devenue championne d’un MeToo du football et sans doute du sport en général ». Certes, ces mots sont aussi bienvenus que sensés et en tous points légitimes. Comment ne pas dénoncer ce geste aussi inapproprié qu’inélégant, voire violent (puisque non consenti par Jennifer Hermoso) dans son affreuse symbolique machiste ? C’est sans la moindre ambigüité que nous condamnons donc ce geste, un « baiser forcé », éminemment répréhensible par-delà l’hypothétique spontanéité de l’euphorie ambiante.
La nécessaire échelle de valeurs dans la notion d’« agression sexuelle »
Mais, à y regarder de plus près, et sans rien minimiser de la gravité du comportement de Rubiales, une analyse à la fois plus rigoureuse et nuancée s’avère toutefois nécessaire à ce sujet hautement problématique.
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La première remarque consiste à critiquer, tant sur le plan juridique que moral, la notion d’ « agression sexuelle ». En termes nets et précis : peut-on véritablement mettre sur un même niveau d’échelle de valeurs, dans la hiérarchie des délits – et a fortiori des crimes commis -, un baiser forcé, pour condamnable qu’il soit, et l’extrême violence, tant psychique que physique, d’un viol ? En d’autres termes encore : n’y a-t-il pas là, dans cette sorte d’équivalence ainsi établie entre un baiser forcé et un viol, le risque, paradoxalement, de réduire par là, sinon de banaliser même, l’extrême gravité du viol ?
Un enjeu de société: le combat féministe contre la culture machiste
Ainsi, cette affaire, si on ne veut pas tout mélanger de manière irrationnelle ou partisane, se situe sur une ligne de crête entre, d’un côté, une culture séculairement machiste, phallocrate et patriarcale, autorisant indument l’affirmation du pouvoir masculin sur le corps des femmes, et, de l’autre, un néo-féminisme mal compris, agressif, militant jusqu’au fanatisme et, comme tel, susceptible de déboucher malencontreusement, et non moins illégitimement, sur un puritanisme aussi rétrograde que moralisateur, sinon culpabilisateur.
Davantage, ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement la réputation et l’honneur d’un homme voué aux gémonies, mais aussi un réel enjeu de société sur les plans juridique, sociologique, anthropologique, éthique et philosophique.
Un wokisme aux allures d’inquisition
La morale de l’histoire ? Il s’agit de faire attention aux dérives, pour le fragile équilibre de nos démocraties, d’un tel processus de culpabilisation, où la permanence du jugement moral fait de plus en plus office de prétendue loi universelle et qui, sous couvert de libération des consciences, ne fait, au contraire, que les aliéner.
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Qu’on se le dise : ce constant lynchage médiatique, pitoyable mais efficace métonymie des anciennes chasses aux sorcières, ressemble de plus en plus, comme aux heures les plus sombres de certains régimes dictatoriaux d’autrefois, aux lâches et hypocrites tribunaux populaires, où l’acharnement de l’accusation se mêlait à la complaisance de la délation. Aujourd’hui, pour blanchir sa conscience et se dédouaner de toute faute, il suffit de trouver une personnalité publique qui, par sa visibilité médiatique, son statut social ou son rôle professionnel, serve de bouc émissaire ou corps expiatoire. C’est à cela que servait naguère – et l’Espagne est bien placée, justement, pour le savoir, hélas – la « Sainte Inquisition » ! Sauf que cette nouvelle « inquisition » se pare, pseudo-modernité oblige, des fallacieux attributs du wokisme à l’américaine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’affaire du baiser forcé a été mise en exergue, en premier lieu, par un journal américain : le célébrissime et très influent New York Times.
L’innommable brutalité du viol: un crime particulièrement barbare
Conclusion ? S’il est en effet impératif de condamner sans ambages ce geste en tout point déplacé, il n’en demeure pas moins vrai, nuance oblige, qu’il faut également raison garder, sans pour autant le minorer ni le relativiser, dans l’établissement de la gravité des faits poursuivis ou incriminés. Il en va ici aussi, et avant tout, du respect nécessairement dû, sans les blesser davantage encore par quelque amalgame indigne, à toutes ces femmes ayant tragiquement et véritablement subi, quant à elles, l’innommable brutalité de ce crime particulièrement odieux, barbare en ce qui concerne son auteur et douloureux pour sa victime, qu’est le viol.
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