Entretien avec le député de Moselle Ludovic Mendes (LREM), en charge d’une mission ministérielle de lutte contre les actes antireligieux confiée par le Premier ministre.
Causeur. Notre société est de plus en plus violente. Vous avez remis mardi avec Isabelle Florennes (Modem) un important rapport interministériel à Jean Castex. Vous avez interrogé 128 personnes, notamment parmi les représentants des cultes. Votre rapport alerte sur l’augmentation des actes antireligieux et en recense 1659 en 2021. Pourtant, vous estimez que ce chiffre est très en deçà de la réalité, pourquoi ?
Ludovic Mendes. Déjà, si on dit que la société est de plus en plus violente, c’est parce que cela a été rappelé par plusieurs des personnes que nous avons auditionnées. La société française se parle moins, elle est moins souvent en communication, de moins en moins en communauté nationale et beaucoup plus dans l’affrontement.
Ensuite, les chiffres sont sous-estimés car ils correspondent soit à des plaintes effectives déposées, soit à des remontées d’informations au service central du renseignement territorial (SCRT). S’il n’y a pas de plainte, il n’y a pas de remontée, donc les actes antireligieux ne sont pas tous comptabilisés ici. Ces chiffres, s’ils ne reflètent pas totalement la réalité, restent utiles pour montrer une tendance. Et 1659 actes, c’est déjà beaucoup ! Si on prend certaines études équivalentes faites en Angleterre, il faudrait multiplier ces actes par dix, si on prend certaines autres études, il faudrait les multiplier par cinq ou six. Nous sommes confrontés aussi à des responsables religieux qui décident de ne pas déposer plainte pour ne pas créer plus de pagaille autour d’eux, qui ne souhaitent pas apparaître comme des martyrs ou qui ont aussi le sentiment que la plainte n’aura pas de suivi.
Vous dites que « les actes antireligieux ne sont pas des violences comme les autres ». Préconisez-vous une évolution de la législation ?
On ne demande pas de modifications du Code Pénal, car les cultes eux-mêmes n’en veulent pas. En France, nous luttons contre toutes formes de discriminations. Nous demandons simplement que la Justice puisse bien appliquer la circonstance aggravante. Les actes antireligieux sont spécifiques pour deux raisons. Il y a l’acte de violence gratuite qui vise le religieux en lui-même, et il y a l’acte qui est du vandalisme de droit commun. Mais ces actes touchent le fidèle en son sein, il atteint sa foi, son histoire, sa tradition ou sa culture. L’acte antireligieux est évidemment discriminatoire, et il attaque les valeurs républicaines, notre laïcité.
Vous parlez d’actes antimusulmans dans votre rapport. Pourquoi ne pas les qualifier d’« islamophobes », terme couramment employé dans la plupart des journaux – pas dans Causeur, notez bien ?
Le terme « islamophobie » serait une erreur, il n’y a pas d’actes islamophobes. L’UE ne reconnaît pas ce terme d’ailleurs. Ce que l’on peut rencontrer aujourd’hui sur l’antisémitisme n’existe pas pour la communauté musulmane. Certains militants tentent de créer une « islamophobie » pour pouvoir dire : « nous sommes traités comme les juifs ». A plusieurs reprises, je leur ai expliqué qu’au regard de l’histoire de l’humanité, ils n’ont jamais été traités de la même façon.
1% de la population subit 70% des agressions physiques à caractère discriminatoire
Il y a bien sûr des réactions épidermiques suite aux attentats, des méconnaissances et des propos discutables tenus par certaines personnes. Le conflit du Moyen-Orient n’arrange rien. Mais ceux qui essaient de faire croire que l’État entretient un système « islamophobe » sont des fossoyeurs, volontairement. Ils sont dans une démarche plutôt politique. Les Frères Musulmans parlent d’ « islamophobie », ils ont envie de créer une reconnaissance spécifique pour créer un sentiment communautaire. Nous luttons contre cela en disant que les musulmans veulent vivre leur foi simplement. Il faut qu’on puisse les accompagner avec des Corans bien traduits, en développant les capacités de compréhension de la langue arabe et l’éducation du fait religieux à l’École.
Vous semblez presque regretter que l’on parle trop de laïcité. Mais n’est-ce pas parce que les religions font de nouveau beaucoup parler d’elles ? Votre démarche n’entretient-elle pas la compétition victimaire ? Et que répondez-vous à nos concitoyens qui légitimement peuvent bien dire qu’ils n’ont pas envie de s’intéresser à l’islam ?
Non. Ça fait vingt-cinq ou trente ans que l’on parle davantage de laïcité, mais ce que je critique c’est que certains dévoient le concept. La laïcité ne consiste pas à reléguer les religions dans l’espace privé. Pour la loi, le religieux a le droit d’exister dans l’espace public tant qu’il ne représente pas l’État, et tant qu’il n’est pas prosélyte. La laïcité protège autant le croyant que le non-croyant. Elle signifie qu’il n’y a pas de religion d’État et qu’on reconnaît toutes les religions à égalité. On reconnaît les cultes et les rites de toutes les religions. Je regrette qu’il y ait beaucoup d’ignorance sur la religion aujourd’hui. Il faut mieux éduquer au fait religieux et réaffirmer ce qu’est le principe de laïcité. Les violences viennent en partie de l’ignorance ! L’extrême-gauche vise plutôt les catholiques, alors que l’extrême-droite vise l’islam et la communauté juive. On a évidemment, d’un autre côté, l’islamisme et son antisémitisme rampant.
Il faut exprimer aux musulmans qu’ils ont des droits et des devoirs, et que c’est à eux de faire un pas. Ils doivent faire l’effort de se structurer, d’aller vers l’État et ses représentants, s’ils ne le font pas, ils entretiennent le flou et laissent croire à certains fidèles que l’État ne les considère pas et ne les respecte pas. C’est important d’accompagner cette transition.
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Plutôt que de s’inquiéter de la susceptibilité de bigots, le parlementaire que vous êtes ne devrait-il pas plutôt se battre pour Mila, menacée parce qu’elle critique l’islam ? Ne seriez-vous pas plus utile à dénoncer les actes les plus inquiétants qui sont le fait de musulmans radicalisés (je pense à l’assassinat du Père Hamel à l’été 2016 près de Rouen par exemple, ou aux récentes prises à partie de processions à Nanterre aux cris de « sales kouffars » ou « sur le Coran, je vais t’égorger ») ?
À titre personnel je fais mes choix. En tant que parlementaire, je ne dois pas faire de différences. Je ne vais pas mettre en avant Mila davantage que d’autres victimes : toute personne victime de discrimination, d’agression ou de violence parce qu’il est de telle ou telle religion ou supposée, ou sexualité, genre, etc…me pose un problème. On a aussi l’ultra droite qui devient de plus en plus dangereuse. N’oubliez pas que c’est l’extrême-droite qui détruit les cimetières juifs et qui tague des mosquées.
Avec le père Hamel on a vu un responsable cultuel tué dans sa propre église, alors qu’un musulman doit respecter tous les croyants car toutes les personnes sont au même niveau, et qu’ainsi, en attaquant un représentant du culte, il attaque toute l’humanité.
Le problème du Printemps Républicain, c’est qu’il parle beaucoup trop des religions
À Lyon aujourd’hui, c’est compliqué d’être musulman dans certains quartiers parce qu’on subit des insultes, des crachats, des menaces physiques. C’est ce que vivent les Juifs, la plupart du temps, sur l’ensemble de notre territoire. La victimisation doit être prise en compte mais il faut déconstruire cela tout de suite après.
Il n’y a pas de portrait-robot de l’acte antireligieux. En France, on a une incapacité parfois à comprendre ce que peuvent ressentir les fidèles, on l’a vu avec la crise du Covid. On est aussi dans une période où beaucoup ont besoin de spiritualité, pas forcément religieuse.
On recense 589 actes antisémitismes contre 213 actes antimusulmans, cela signifie-t-il que les juifs subissent le plus la violence en raison de leur religion en France aujourd’hui ?
Si on prend ces chiffres, oui. Mais je vous ai dit précédemment que la remontée d’informations était lacunaire. Si on prend ce chiffre par rapport à l’effectif de la communauté juive dans notre pays, oui ce chiffre est extrêmement important : 1% de la population subit 70% des agressions physiques à caractère discriminatoire. À la différence avec les musulmans, la communauté juive est très bien structurée dans notre pays. Le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) référence très bien et depuis longtemps tous les actes antisémites. Le ministère de l’Intérieur et lui sont d’accord au chiffre près. Ce qui est nouveau et terrible pour les Juifs, ce sont les actes violents de voisinage, c’est-à-dire dans la sphère privée, on l’a vu avec l’affaire Halimi ou avec Mireille Knol. Chez les chrétiens, certains ne portent pas plainte parce qu’ils considèrent qu’il faut tendre l’autre joue et que Jésus a dû porter sa croix lui aussi… Si on prend les trois derniers mois de l’année 2021, les actes antimusulmans ont bondi, notamment avec des incendies de salles de prière.
Reste qu’en valeur, les actes antichrétiens sont les plus nombreux alors que ce sont les victimes dont on parle le moins. Que se passera-t-il le jour où les catholiques ne tendront plus l’autre joue ?
Globalement, les catholiques ont pris conscience de l’importante de se protéger. La conférence des évêques de France a pris en considération cela. A Nantes, un prêtre nous a expliqué ne plus faire d’office désormais la nuit tombée, car il y a un sentiment d’insécurité grandissant dans la ville. A Lyon, les évêques ont nommé un référent chargé de la sécurisation des lieux de culte. A Toulon, ils font la même chose. Une église est censée être ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : elle ne l’est plus aujourd’hui.
Pour en revenir au malheureux père Hamel ou à la procession prise à partie à Nanterre, on ne souvient pas qu’il y ait eu de tels drames quand le catholicisme avait un droit d’ainesse naturel dans notre pays. Le problème n’est-il pas le communautarisme contre lequel votre rapport ne semble pas franchement s’attaquer ?
Non ! Certains amis musulmans qui ne font pas étalement de leur foi vivent des regards, des mots, des doutes que je ne vivrais pas, moi, par exemple. Tant qu’on ne luttera pas contre le sentiment de persécution d’une partie de la communauté musulmane, on ne luttera pas contre ce terreau fertile de l’islamisme. Il y a différentes réalités. Ce qu’on a entendu à Strasbourg, on ne l’a pas entendu à Lyon par exemple. On veut lutter contre l’ignorance, et notamment au sein de la jeunesse musulmane, de la jeunesse catholique ou juive.
Je préconise dans le rapport une méthode CLE (Citoyenneté, Laïcité et Egalité), qui va au-delà des problèmes liés aux religions. Nos programmes scolaires n’ont pas de fil rouge aujourd’hui, alors qu’on peut faire des liens entre les arts, la philosophie, l’histoire etc. Il faut faire des citoyens éclairés lorsqu’ils sortent de l’école. Notre société perd beaucoup de temps à parler des minorités, qui peuvent essayer de nous imposer certains débats alors qu’il suffit de leur dire : c’est votre liberté tant que vous ne troublez pas l’ordre public. C’est cela un système CLE, comme le préconisait le rapport Debray notamment.
J’ai pourtant l’impression qu’on fait déjà cela à l’école depuis des années ! Et que fait-on pour lutter contre les 57% de jeunes musulmans de moins de 24 ans qui placent la charia avant les lois de la République ?
Tout croyant partira du principe que la règle religieuse est censée être supérieure. Rien n’est supérieur à la République ! Je ne parle pas trop de ce sondage, car il a été fait à un moment donné sur un échantillon donné, et non sur l’ensemble de la nation. Et je ne sais pas comment a vraiment été posée la question. Concernant cette partie de la jeunesse française musulmane, elle pense connaître des textes, ces jeunes ne les connaissent pas en réalité, et ils ne connaissent même pas la langue arabe.
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L’avocat Richard Malka nous disait dans un entretien récent : « la France c’est vieux, la République c’est jeune ». Vous êtes plutôt sur cette ligne-là ?
On ne peut pas dissocier l’histoire de France et la République, oui. On ne doit rien effacer de l’histoire. Si on n’apprend pas à la nouvelle génération que l’on peut faire des erreurs, alors on n’avance pas. Il faut rappeler sans cesse à nos jeunes qu’ils sont des citoyens français à part entière et qu’il y a peut-être aussi des choses à déconstruire dans leur roman familial pour éviter l’endoctrinement. La loi contre le séparatisme permet de lutter contre toutes les dérives, notamment en salles de prière. La dérive la plus importante aujourd’hui, c’est la haine en ligne.
Marine Le Pen et Éric Zemmour veulent interdire le voile pour limiter la progression de la visibilité de cet islam politique et prosélyte dans l’espace public. En outre, ils veulent arrêter l’immigration. Ces solutions ne sont-elles pas plus simples en pratique que le dialogue et la pédagogie que vous réclamez sans cesse ?
Non seulement, je n’ai pas particulièrement envie de commenter ce que font Zemmour et Le Pen et aussi, je veux vous rappeler que ce n’est pas en interdisant des choses dans l’espace public qu’on y arrivera forcément. Plus on interdit de choses dans l’espace public, plus elles se produisent dans l’espace privé, plus on communautarise la société. Il faut expliquer aussi pourquoi l’immigration est utile, je suis moi-même un immigré portugais.
Ce n’est pas la même chose, allons !
Plus l’ignorance gagne, plus il y a des risques de guerre civile dans notre pays. Si on veut que notre pays soit un ensemble de communautés qui ne se parlent plus, alors on ne sera plus la France. Aujourd’hui quand on va à Sarcelles, on observe des juifs, des musulmans, des catholiques ou des protestants qui vivent les uns à côté des autres mais pas ensemble.
Le Printemps Républicain et Zineb El Rhazoui ont apporté leur soutien à Emmanuel Macron. Est-ce que ce sont des cautions laïques et républicaines opportunistes et à visée électorale ? Ou dois-je y voir une inflexion de la majorité vers une laïcité plus ferme ?
Ce n’est pas En Marche qui a demandé au Printemps Républicain de nous rejoindre, mais ce dernier qui a décidé de soutenir le président Macron ! Le problème du Printemps Républicain, c’est qu’il parle beaucoup trop des religions. Ce n’est pas la bonne façon de faire, ils entretiennent ce qu’ils veulent combattre. Des personnes proches du Printemps Républicain ont déposé plusieurs amendements à l’Assemblée nationale, la majorité présidentielle ne les a jamais retenus. Il n’y a pas d’inflexion : tous ceux qui demandent à faire des différenciations, qu’il s’agisse des woke, de l’extrême-droite, des islamistes etc. se trompent. La République ne réussira pas dans la radicalité, mais dans le rassemblement des gens, dans l’union.
Est-ce qu’un tel compromis national est encore possible ? On nous annonce la réélection du président sortant que vous soutenez et une forte abstention au scrutin qui s’approche…
Quand je demande aux abstentionnistes pourquoi ils ne votent pas, je n’ai jamais la même réponse. Les citoyens ne croient parfois plus à la femme ou l’homme providentiel, à nos logiques politiques, et parfois ils se détachent d’un système politique car ils ne le comprennent plus.
Il faut qu’on puisse répondre à chacun d’entre eux. Sortons des raisonnements simplistes permanents ! Il faut qu’on revienne à des discours nuancés.
Allez-vous vous représenter aux législatives ?
Je ne sais pas encore.
Vous venez du quartier de Borny à Metz, réputé difficile. Selon les cartes de France Stratégie, il est composé à 31% de jeunes de 0-18 ans qui sont nés de parents extra-européens. Est-ce qu’avec de tels volumes d’immigrés la pédagogie que vous préconisez est toujours possible ? Continue-t-on à accueillir encore plus d’immigration ?
Le quartier de Borny a été un quartier difficile. Je me souviens des émeutes de 1993 ou de 1995, c’est un quartier de presque 25 000 habitants, donc un quart de la ville de Metz. Aujourd’hui, c’est un quartier qui vit mieux, l’État y a investi beaucoup d’argent. Il y a encore des évolutions à faire.
Aujourd’hui, cela se passe plutôt bien, mais je ne dis pas que tout est parfait. Il y a du trafic notamment. Ce quartier est aussi plein de solidarités, avec des personnes qui se battent au quotidien. Quand on parle d’extra européen, on parle de quoi ? Les Canadiens sont compris dedans ? À Borny, on a aussi des personnes qui viennent d’Asie du Sud, d’Amérique du Sud, et bien sûr des pays d’Afrique.
Les personnes qui ne veulent plus d’immigration ont à l’esprit Calais, les jungles autour de Paris, cette réalité-là. La vraie question c’est : pourquoi mettre toutes les mêmes personnes au même endroit et après râler parce qu’il n’y a pas d’intégration ?