Le duel tant attendu a bien eu lieu. Orchestré par La République en Marche et le Rassemblement national qui y trouvaient leur compte, l’opposition entre les deux partis présents au deuxième tour de la dernière présidentielle a donné le ton des européennes et condamné les autres formations à ramasser les miettes.
Sur tout le continent européen, hilarants progressistes et joyeux europhobes – dont la plupart avaient mis de l’eau dans leur vin – s’affrontaient hier. En France, bizarrement, l’hôte de l’Elysée a tout fait pour recentrer l’élection sur le clivage progressistes europhiles/souverainistes. Ces derniers étant bien décidés à « venir le chercher », la deuxième place était interdite à Mme Loiseau. L’objectif crucial de M. Macron était d’arriver une nouvelle fois premier, comme à l’élection présidentielle. Alors qu’il avait été élu sur un programme pro-européen en 2017, notre ex-vertical président souhaitait à tout prix garder un minimum de sa superbe sur le continent. Caramba, encore raté !
Depuis que le divertissant Benalla a commencé à se faire connaitre d’un large public au lendemain de la Coupe du Monde, le président de la République a la scoumoune. Emmenés par une jeune tête de liste qui a fait un quasi sans-faute, les nationalistes, eux, exultent. Dès 20 heures, sur France 2, Nathalie Saint-Cricq picorait les chiffres à droite et à gauche pour décortiquer les enseignements à tirer des résultats. En voici d’autres.
Traite-moi de « progressiste » si tu peux
Alors qu’Emmanuel Macron était bien incapable d’apporter quelque preuve des bienfaits de son « progressisme » pendant cette campagne, il a clairement désigné le Rassemblement national comme son principal adversaire. Le nouveau clivage entre mondialistes et nationalistes avait pourtant d’abord été pensé par des penseurs plutôt… à droite. Et en toute logique, fortement désiré par l’ex-FN devenu RN, qui y voyait une confirmation des thèses qu’il défendait depuis toujours. Progressistes europhiles contre protectionnistes europhobes, ce clivage a été magistralement illustré hier soir. Il est plus fort que jamais au lendemain des européennes. Les anciens partis de gouvernement, LR et PS, n’ont pas dépassé les 10%. L’actuelle majorité s’était vite inquiétée que le scrutin du 26 mai ne se transforme en référendum contre le président. Inquiétudes confirmées ! Même si la « claque » restera une caresse appuyée : d’une part, ce n’est pas la première fois que le RN est en tête, d’autre part l’écart entre les deux premières listes reste faible.
Pendant toute la campagne, le parti de Marine Le Pen était ravi de voir le « duel » tant désiré accepté par l’exécutif… En concentrant sa campagne contre la figure du président de la République, Jordan Bardella mobilisait facilement. Mais sinon, quid du Parlement européen ? Rappelons tout de même qu’il s’agissait initialement d’élire les députés européens, et non de plébisciter ou de censurer Macron ! Évoquant le « localisme » pour désigner l’alternative au mondialisme, Bardella ou Le Pen sont restés assez flous.
Ceux de partout contre ceux d’ici
Mme Le Pen résumait ainsi sa vision le 19 mai : « Le vote RN est la certitude de faire tomber le gouvernement et de stopper Emmanuel Macron ». A voir. Pour l’instant, Edouard Philippe a confirmé qu’il ne bougerait pas de Matignon. Et quand Bardella (ou Le Pen) évoquent leur « localisme », on devine un contenu conceptuel encore faiblichon.
Alors que les appels de Jordan Bardella à « voter contre Macron » profitait à sa liste, la campagne de LREM confirmait jour après jour que Nathalie Loiseau avait été une erreur de casting.
Emmanuel Macron, de son côté, affirmait dans Le Parisien et la presse régionale qu’il était un « patriote européen », magnifique contresens remettant un peu d’huile dans le moteur au vote RN. Et alors que toute la presse se faisait peur avec un soi-disant « jeu trouble » de Steve Bannon sur le scrutin, la majorité présidentielle n’invoquait la France que pour en faire le « moteur » de l’écologisme au sein de l’Europe… Ou pour rappeler a contrario combien elle serait petite et isolée, face aux géants américain ou chinois. Mauvais calcul : le pouvoir en place n’a pas traité les questions de tous les perdants de la mondialisation, notamment identitaires. Les inquiétudes de « ceux d’ici » ont été oubliées, LREM se contentant de mobiliser « ceux de partout » qui profitent d’une économie globalisée. LREM a ainsi laissé le RN parler aux Français qui veulent qu’on puisse sauvegarder un peu de ce qu’ils ont, « ici », toujours aimé…
Le vote utile qui rend vert
Plutôt que de parler de ce qu’elle pourrait faire au Parlement européen, chaque formation politique nationale s’est appliquée dans un premier temps à afficher le profil le plus « vert », et dans un second temps à invoquer le fameux « vote utile ». Même Marine Le Pen ! C’était assez tordant, alors que l’argument a sans cesse été utilisé contre son parti par le passé. Mais non, cette fois-ci, voter RN, c’était voter « utile » contre Macron !
Jean-Luc Mélenchon et les « Insoumis » (LFI) – qui sont ceux qui ont pris la réelle douche froide hier soir – avaient eux aussi affirmé être le seul vote « utile ». LFI était qualifiée de « seule force capable d’incarner une alternative au duel Macron-Le Pen » par son éruptif leader.
Voter LR ou PS ? Voilà le vrai vote « utile », affirmaient également les deux vieilles formations. Les européennes étant le seul vote à la proportionnelle réelle en France, il est véridique que voter PS ou LR permettait (quel que soit l’ordre d’arrivée) de renforcer le poids du groupe des sociaux-démocrates ou du Parti populaire européen (PPE) à l’Europe ! Efforts inutiles : les mouvements de gauche ont confirmé leur incapacité à parler à l’électorat populaire, et Bellamy chez les Républicains, malgré une très intéressante campagne, a été complètement annihilé par le « duel ». A moins qu’il ne paie le caractère décidément inopérant de la direction Wauquiez chez LR, lequel interroge de plus en plus à droite.
De clivages en clivages…
Ce scrutin aura été une étape de plus dans la normalisation des idées nationales portées par le RN, de plus en plus d’intervenants relayant ses idées dans les talk-shows grand public. Il faut enfin isoler deux vraies mauvaises nouvelles :
– Les gilets jaunes (un temps présentés par des médias complaisants et des politiques adeptes de récupération comme un formidable mouvement de renouveau) sont apparus divisés. Ils ont présenté plusieurs listes et sont in fine une vraie déception démocratique. Ils n’ont pas réussi à s’imposer au centre du processus électoral, même si la hausse de la participation au scrutin ne leur est peut-être pas étrangère.
– On a surtout voté pour ou contre des personnes, mais pas pour des idées. Et pour les choix politiques concrets, toujours autant de monde continue de réclamer le fumeux RIC au détriment de représentants talentueux, alors que la mise en application du RIC en France pourrait installer une instabilité chronique dans la vie politique.
Une fois tout ceci dit, demandons-nous si le duel progressistes/populistes (qui s’est substitué à l’inopérant et éculé clivage gauche/droite) ne nous apporte pas pour l’instant de tout aussi médiocres palabres. Vu le pugilat sur les principaux plateaux télévisés hier soir, parions que les Français pourraient vite s’en lasser aussi.
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