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La France des perdants qui se croient gagnants

Après les européennes, le paysage politique français est en décomposition


La France des perdants qui se croient gagnants
Nathalie Loiseau, Jordan Bardella, Yannick Jadot. ©ISA HARSIN/SIPA - Alain ROBERT/SIPA - CELINE BREGAND/SIPA (00901294_000026 / 00909431_000001/ 00908713_000048)

Personne n’en est sorti vivant. Malgré les apparences, aucun parti ne peut se targuer d’une quelconque victoire aux européennes. Le paysage politique français est un champ de ruines dont il est encore bien difficile d’envisager la reconstruction. 


Personne n’a vraiment de quoi se réjouir des élections européennes de dimanche.

Le RN reste un parti d’opposition

Avec 23,3 % des voix, le Rassemblement national (RN) sort premier de la compétition mais de peu et avec un résultat qui ne marque qu’un petit progrès par rapport au premier tour de la dernière présidentielle : encore a-t-il bénéficié du « vote utile » de tous ceux voulaient sanctionner Macron  coûte que coûte : ce ne sont pas forcément là des votes d’adhésion. En faisant élire trois personnalités extérieures dont  l’ancien député républicain Jean-Paul Garraud, le RN a entrebâillé la porte de la citadelle, juste ce qu’il fallait pour ne pas avoir l’air d’une secte mais pas assez pour se crédibiliser pleinement. Marine Le Pen  demande des législatives, ce qui est normal, avec plus de proportionnelle, ce qui l’est moins : une telle revendication montre que le RN n’est pas encore dans sa tête un parti de  gouvernement ; il veut plus de places, il ne veut pas se donner les moyens de réformer la France en profondeur, ce qui ne lui serait possible  qu’avec le maintien du mode de scrutin actuel.

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Emmanuel Macron, représenté par Nathalie Loiseau, n’a pas réalisé son pari d’être en tête malgré les efforts considérables qu’il a prodigués dans la dernière ligne droite et la valeur de test qu’il a conférée à ces élections : 22,4 % des voix pour le parti du président, c’est bien peu, même si ses partisans chantent victoire. Ce matelas apparemment incompressible est surtout composé de personnes âgées légitimistes, issues, pour une part, de l’électorat de Fillon. Tout au plus peut-il se consoler en voyant que les partis européistes qu’il appelle « progressistes », sont au total majoritaires.

La gauche est verte

Ce serait en revanche une illusion que d’imaginer que la remontée du taux de participation par rapport à 2014, de 42,4 à 50,1 % marquerait un progrès de l’idée européenne. L’enjeu très fort de politique intérieure que représentaient ces élections en est la principale raison.

Le Parti socialiste ne sombre pas mais confirme son déclin. En ajoutant les 6,2 % de Glucksmann, dont les maladresses ont montré la légèreté,  et les 3,3 % de Hamon, les socialistes arrivent péniblement à 9,5 %.

Le vote Mélenchon aurait pu être l’exutoire des gens de gauche déçus de Macron – ils  sont nombreux : la perquisition opérée chez lui en début de campagne, contraire à tous les usages républicains, visait à l’affaiblir pour empêcher ce scénario ; avec 6,3 %, elle n’y a que trop bien réussi.

Mais il fallait quand même un exutoire : ce fut le parti des Verts. Troisième parti avec 13,5 % : quel succès ! Mais il n’est que d’apparence : loin de signifier comme on le croit le retour en force de la préoccupation environnementale, ce résultat montre que le vote écologiste était le seul qui restait possible aux déçus du macronisme  qui ne voulaient pas voter à droite ou aller aux extrêmes. Un choix vague qui n’engage à rien et qui a l’air gentil (faussement gentil : rien de plus sectaire que cette mouvance). Vote de défiance envers Macron, surtout chez les jeunes, le vote vert débouche sur un renforcement des orientations essentielles du macronisme : européisme, mondialisme.

La droite s’est « modémisée »

Des petits partis patriotes ou identitaires (Dupont-Aignan, Asselineau, Philippot, Camus), aucun n’a réussi à se poser comme une force significative entre le RN et LR. Ils ont été eux aussi victimes du vote utile et peut-être tout autant de leur grisaille.

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Reste le grand perdant de ces élections : les Républicains à 8,5 %. On ne saurait imputer cet échec retentissant (au moins par rapport aux sondages), au seul François-Xavier Bellamy qui a fait une bonne campagne sans toutefois percer l’écran. Il est trop facile de l’imputer aux divisions des chefs (ainsi la rivalité sournoise Sarkozy-Wauquiez) qui ne sont jamais que des causes secondes. Bien plutôt à un mauvais positionnement ; sur les sujets essentiels (euro, sociétal, politique étrangère) ce parti est divisé, moins entre ses dirigeants qu’entre les chefs et la base ; cette division aurait pu être une force, l’occasion de faire des Républicains un lieu d’ouverture et de débat, limitant la déperdition à droite, comme a réussi à le faire le parti conservateur  britannique, mais la hantise du politiquement correct ne l‘a pas permis : la différence « catho » de sa tête de liste y était tout juste tolérée.  L’autre erreur : sans doute pour suivre une partie de leur électorat, les Républicains ont été conduits à faire une opposition « constructive » à Macron là où il aurait fallu se montrer, en bonne logique bipartisane, opposant intraitable. Pour être reconnu comme le chef de file de l’opposition, il faut s’opposer. A qui ? Au pouvoir en place et à lui seul.  Attaquant inutilement le Rassemblement national, ce qui déplait à tous les électeurs de droite et d’une certaine manière le met en valeur, LR s’est complu dans le rôle du tiers parti entre les deux grands ; il s’est en quelque sorte « modemisé ».

Le petit parti centriste de Lagarde, à 2,5 %, n’a l’air de rien. Mais que se serait-il passé sans lui ? Les Républicains auraient pu passer la barre des 10 % et ainsi sauver la face. Ou alors Macron, venant en tête, aurait remporté une nette victoire. Petites causes, grands effets.

L’avenir est un long passé

Reste un champ politique en ruines : les deux partis qui émergent, les mêmes qu’à la présidentielle, le RN (ex-FN) et LREM (ex-EM) sont tous deux pauvres en cadres, mal structurés, alors que les partis classiques (PS et LR), bien que menacés de disparaître, ont encore des réseaux et des compétences (au moins aux niveaux – 1 et au-dessous) : situation bien singulière. Les partis classiques prendront-ils leur revanche aux municipales où ils gardent des atouts ? Peut-être. En émergera-t-il de vrais chefs, plus convaincants que ceux qui aujourd’hui s’en disputent la tête ; c’est à voir.

Il est difficile de prévoir ce qui sortira de cette décomposition du paysage politique. Macron, qui pratique la stratégie du chaos et qu’en bon idéologue rien n’arrête, semble s’en accommoder. Tout reste à faire si l’on veut éviter que la présidentielle de 2022 ne soit la réédition de celle, calamiteuse, de 2017.

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est essayiste.

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