La classe politique en mots: chacun a ses raisons…
La fin de la semaine dernière a été tellement riche et même surabondante en matière d’entretiens politiques qu’il est impossible de ne pas attirer l’attention sur eux. Qu’on songe aux quatre pages dont le président a bénéficié dans la Tribune Dimanche, à Éric Ciotti, à Gérald Darmanin, à Éric Zemmour dialoguant avec Marion Maréchal dans le Journal du Dimanche et au débat au Grand Jury entre les têtes de listes pour les élections européennes… Au risque de choquer, j’ai eu l’impression qu’une lecture et une écoute superficielles offraient des dénonciations faciles, des vœux pieux inévitables, des volontarismes martelés, des argumentations qui, pour chacune, avaient leurs raisons, des évidences qui, s’ajoutant les unes aux autres, donnaient de notre classe politique, du président aux ministres, des responsables de partis aux candidats en lice pour le 9 juin, une image apparemment homogène, un paysage sans ruptures ni extravagances. Comme un immense territoire qui rapidement survolé estompait ses frontières et ses clivages. C’était la classe politique en mots, avec ses abstractions généreuses, son volontarisme affiché, sa morale exhibée, ses promesses qui seraient tenues, ici son rêve de révolution, là son envie de réformer.
Macron pense pouvoir relancer Hayer
Véritablement, il n’est personne qui n’avait pas ses raisons, qui n’accrochait pas au moins des fragments de vérité. Le sentiment que cette pluralité inspirait était d’abord l’absurdité des empoignades féroces, des confrontations violentes, des détestations personnelles se substituant à un dialogue démocratique civilisé qu’il aurait été simple de mettre en œuvre si les idées avaient été suffisamment acceptables pour autoriser des échanges tranquilles.
Mais, derrière le langage, sous la commodité des questions permettant de libérer des réponses trop peu précises, une fois dépassées les apparences présumant la bonne foi, l’intelligence, la sincérité et l’intérêt national, que de différences tenant autant à la faiblesse des convictions qu’aux psychologies les énonçant !
Un président de la République qui, sans être bousculé, était un peu court sur les raisons du probable succès du RN le 9 juin. Il s’enorgueillissait de tout ce qu’il aurait paraît-il accompli sur les plans de la santé, de l’industrie et du régalien quand les retards ont été considérables et sa prise de conscience trop longtemps différée. Content de lui et de son bilan. Évoquant le futur comme si on n’avait encore rien vu ! Il ne s’expliquait pas sur le médiocre impact de sa propre parole sur la campagne de Valérie Hayer.
Anti-Bardella primaires
Les candidats pour le 9 juin : tous contre Jordan Bardella qui est forcément l’homme à abattre puisqu’il a creusé l’écart. Il a des faiblesses sur lesquelles ses adversaires ne l’attaquent pas assez, de sorte qu’il s’appuie sur ses forces, d’abord l’immigration et l’insécurité s’accroissant. Valérie Hayer estimable, compétente à Bruxelles mais dépassée. Marion Maréchal coincée entre l’obligation de s’en prendre au RN et l’envie de le ménager. Manon Aubry tentant de redorer un peu l’image de LFI en focalisant sur l’éthique européenne : elle a raison. François-Xavier Bellamy et Raphaël Gluksmann, si éloignés mais au fond si proches. Deux rationalités, deux esprits, deux honnêtetés contraintes de s’opposer mais presque à l’unisson sur l’essentiel qui est de rendre l’Europe forte et sans complaisance pour les puissances violant les droits de l’homme.
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Gérald Darmanin a engagé un combat contre les Frères Musulmans. Leur idéologie est d’autant plus dangereuse qu’elle use d’une emprise subtile et redoutable dans beaucoup de secteurs de notre vie nationale. Avec habileté et compétence – un ministre qui fait tout ce qu’on lui permet d’accomplir ! -, Gérald Darmanin use des chemins professionnels pour qu’on sache que ses ambitions politiques ne sont pas en sommeil.
LR à bout de souffle
Éric Ciotti qui ne brille pas à la tête de LR, même s’il a su résister au jeunisme à tout prix pour la composition de la liste conduite par François-Xavier Bellamy, continue à creuser le sillon de la faiblesse régalienne du président et à dénoncer la faillite de l’autorité de l’État. Pour être pertinente, sa charge ne devrait pas lui interdire de donner un souffle épique et inventif à un parti qui mérite infiniment mieux que les jeux-je d’appareil, à répudier d’autant plus qu’une forme de minorité politique et parlementaire impose une unité de résistance.
Entre Éric Zemmour et Marion Maréchal, le jeu de rôles serait drôle si nous n’étions pas, avec « Reconquête! », dans un registre sérieux, quasiment de survie. L’un et l’autre font semblant de n’être pas en désaccord sur l’essentiel alors que tout fait apparaître – la structuration de leur pensée, leur conception du futur politique, le ressentiment ou la tentation à l’égard du RN, leur personnalité et leur psychologie – des antagonismes d’autant plus perceptibles que par tactique ils cherchent à les gommer. Sans convaincre à mon sens.
Si la politique n’était qu’une affaire de mots, un vaste aréopage, un forum urbain, nous ne serions pas en France si mal lotis. Aucune des personnalités que j’ai citée n’est méprisable même si certaines ne sont pas à la hauteur de l’excellente opinion qu’elles ont d’elles-mêmes. Mais la politique, c’est de l’action, du courage, de la morale se colletant avec le feu du réel, de la constance, le refus de la démagogie. De la grandeur et à la fois de la simplicité. Ce n’est plus se réfugier derrière l’édredon doux et ouaté du « chacun a ses raisons » mais plonger dans la vraie vie de la France et du monde.