Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Tout fait comme on nous dit. Cinémas, théâtres, auditoriums fermés à triple-tour. Depuis le 14 mars, nos ami.e.s les artistes sont les épous.es.x modèles des soldat.es en blouses blanches. Dociles, tristes et patient.e.s.
Plus fragiles, mais réinventifs. Pendant le couvre-feu, Fabrice Luchini récitait La Fontaine sur Instagram. Renaud Capuçon violonait en direct sur Facebook. Le Philharmonique de Rotterdam jouait l’Ode à la joie de Beethoven en vidéoconférence, imité par quelques musiciens de notre Orchestre national dont le timbalier transposait en mode Covid le Boléro de Ravel (3 millions de clics).
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Les grandes machines mondiales, encore plus simple ! Pressez le bouton pour activer la pompe à archives. La Comédie-Française envoie Molière et Feydeau se faire revoir sur France 5. L’Odéon pareil : Piccoli au paradis, la maison ranime son Roi Lear intersidéral de 2006 mis en scène par André Engel. L’opéra, n’en parlons pas, ça tire dans tous les coins. Rome dégaine en ligne son Nabucco, Berlin son Onéguine, Toulouse sa Norma, le Théâtre des Champs-Élysées ses Mozart, l’Opéra de Paris son Lac des cygnes. Il pleut du stock. Pensez, des spectacles all star sans débourser un centime. Parce qu’y faudrait pas croire qu’en plus on va le payer, le saltimbanque 2.0. Merveilleuse diva confinée ! Tolérante et bon marché – la Sacem n’ayant aucune intention de lui verser sa « rémunération pour les artistes et DJs ayant produit des live streams durant le confinement », fonds de secours au show bizness, pas aux musiciens.
De toute manière, le virus a été fabriqué pour en finir avec nous. Avec nous autres, sauriens du monde d’hier. Qui a gagné ? Disney, Amazon, Netflix, Zoom (inconnu avant le 15 mars, 200 millions de zoomeurs aujourd’hui). Qui a perdu ? Théâtreux, violoneux, sopranos, acrobates, métiers dont les gestes archaïques sont des brise-barrière inadmissibles par Notre Futur et Notre Gouvernement. Samedi 25 avril, le Met de New York – rideau sans sommation jusqu’à 2021 ! – organisait un « at home gala » rempli de stars psalmodiant chacune dans son salon. Bof. Une semaine plus tard, au tour du Mai Musical florentin. Pitoyable. Ce qui nous sauve in vivo nous tue in vitro.
Oui, pièces, concerts et opéras peuvent crever l’écran. Quelquefois. Mais à nous, petit peuple du spectacle vivant il faut du vivant. Toucher, être touché : comme disent les journalistes de BFM, c’est notre ADN. Le 21, « Grand Échiquier » en prime sur France 2. Courageux, bravo. Tout crispé, hydro-alcoolisé, sans public, sans goût. Audience à l’image du programme. Morose.
Non, non. Au lieu de crier au loup, bénissons le Puy-du-Fou, porte où nous cognerons tout l’été jusqu’à ce que la fourmi de Matignon nous laisse chanter. En attendant rendons internet aux internés. Acclamons le huitième art, l’art sans masque, sans contact, sans nous. L’art confiné. En note, je vous indique deux bonnes adresses. 1) Le jeune baryton espagnol Víctor Cruz qui chante seul dans son F2 le Lamento des contrats annulés, mariage d’amour entre Monteverdi et Star Wars[tooltips content= »Sur YouTube, entrez « lamento wookiee ». »](1)[/tooltips]. 2) La monumentale Claude-Inga Barbey, comique suisse grimée en technicienne de surface qui tient chaque dimanche le journal du « corona del virus »[tooltips content= »Sur le site 24heures.ch, entrez « olé barbey » »](2)[/tooltips]. Pas l’art vivant au rabais. L’art mort dans sa cruelle splendeur. Le nouveau monde de l’ancien. Hilare et abattu comme vous et moi.
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