Pour faire des économies, l’Etat a tenté d’unifier le calcul des rémunérations dans l’armée. Mais l’éphémère logiciel Louvois s’est révélé être une très coûteuse catastrophe.
Le logiciel unique à vocation interarmées de la solde – nommé « Louvois » en hommage à l’homme qui a instauré l’armée moderne et centralisé la rémunération des militaires – est un projet informatique lancé en 1996 par le ministre de la Défense. Ses promoteurs avaient une excellente idée : unifier le calcul de la rémunération des militaires des trois armées, des services communs (comme la santé), ainsi que de la direction générale de l’Armement et de la gendarmerie. Un tel système unifié devait générer des économies (pas besoin de plusieurs services de paie) et conduire à l’harmonisation des salaires des militaires des différentes armées.
Mis en oeuvre en 2011, remplacé en 2016
La principale raison de la catastrophe est probablement un manque de sincérité générale. Les armées n’ont pas apprécié l’initiative centralisatrice du ministère et de l’état-major. Elles auraient préféré garder la main sur la paie et le secret sur des arrangements internes qui ménageaient quelques petites marges de manœuvre dans un contexte budgétaire difficile. À la mauvaise volonté et à la mauvaise foi de certains représentants des armées, il faut ajouter la logique implacable des projets informatiques : le prestataire promet n’importe quoi pour emporter l’appel d’offres et une fois qu’il s’est rendu incontournable, il essaie d’augmenter la facture (« ce n’est pas prévu par le cahier des charges, c’est un extra ») ou bien de diminuer les coûts en faisant moins bien que promis. Cette dynamique malsaine explique les nombreux échecs, relances et réorientations, dont le premier résultat a été un grand retard : Louvois est mis en œuvre en 2011 seulement… Pour aggraver les choses, le système a été à peine testé et les services de paie, qui auraient dû servir de plan B et permettre un retour en arrière en cas de gros problème, ont été démantelés trop vite.
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Dès sa mise en œuvre, c’est le massacre, les bugs en série. Des dizaines de milliers de militaires reçoivent des bulletins de paie invraisemblables (solde mal calculée, remboursements forcés et incompréhensibles, prélèvements bizarres, mutuelles non payées). Certains sont trop payés, pendant que des milliers de familles se retrouvent sans ressources, parfois sans couverture santé, souvent endettées et empêtrées dans des procédures liées au non-remboursement des prêts immobiliers ! En novembre 2013, après trois ans d’enfer, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, annonce l’abandon du système. En janvier 2016, il déclare que Louvois doit être remplacé par « Source Solde », développé par la direction générale de l’Armement.
La note est salée
En termes d’argent public, si en 2004 le coût de la chaîne des soldes traditionnelle est de 46 millions d’euros, le coût du projet informatique lui-même est estimé par la Cour des comptes à 80 millions d’euros et le montant des erreurs de calcul s’élève pour l’année 2012 à… 465 millions. Les audits menés depuis ont conclu à une responsabilité collective dans les défaillances.
Au tribunal de Tarbes, le 3 décembre, un militaire passait en comparution immédiate avec sept autres prévenus pour violence en réunion pendant une manifestation de « gilets jaunes ». Lorsque la présidente lui a demandé comment il s’était retrouvé là, il a fait cette réponse : « C’est une cause juste. »