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Fallait-il débaptiser la promotion Loustaunau-Lacau de Saint-Cyr?

Héros de guerre, le général est accusé d'anticommunisme et d'antisémitisme


Fallait-il débaptiser la promotion Loustaunau-Lacau de Saint-Cyr?
Georges Loustaunau-Lacau pendant le procès du maréchal Pétain (Paris, France, 1945). / Auteur inconnu, domaine public

La tendance est à la révision. Outre-Atlantique on déboulonne des statues, ici on débaptise des promotions. La cuvée 2016-2019 de Saint-Cyr n’a plus de nom. Accusé d’anti-communisme et d’antisémitisme, le général Georges Loustaunau-Lacau a été effacé de son fronton. François Bert, un ancien saint-cyrien, exprime ici son désaccord. 


La nouvelle est tombée comme un couperet : la ministre des Armées a décidé, le 17 novembre, de débaptiser, après plus de dix-huit mois de vie collective, une promotion de Saint-Cyr qui portait le nom d’un soldat hors du commun, le général Georges Loustaunau-Lacau.

Pourquoi une telle décision, alors que ce nom a été donné après une procédure conforme, validée par le service historique de la Défense et la ministre des Armées, présente au baptême de la promotion ? C’est lors d’un colloque historique des 13 et 14 juin derniers, consacré notamment aux « vichysto-résistants », que le sujet est venu sur la table, pour aussitôt percoler vers le politique, sous l’action militante de certains historiens.

Que reproche-t-on au général ? D’avoir eu une activité politique intense dans les années 30, notamment par les réseaux Corvignolles, service de renseignement anti-communiste (150 à 200 groupes infiltrés dans l’Armée ont ainsi été dissous), et une maison d’édition, La Spirale, connue pour ses prises de position anti-communistes, anti-allemandes et antisémites. Le général a été l’auteur d’un certain nombre d’articles mettant en doute la loyauté des juifs de France, les désignant comme un danger, voire « un cancer » – selon le terme fréquemment utilisé à l’époque – et recommandant la révision de leur naturalisation. Il leur empêche – comme aux communistes – l’accès aux institutions qu’il crée.

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Replaçons-nous dans le contexte de l’époque. Avec la crise de 1929 et l’affaire Stavisky, l’antisémitisme s’accroit. Ni religieux, ni racial dans l’esprit du général (« il est inhumain et d’ailleurs contraire à la charité publique de mépriser (les Juifs), de les haïr, de les parquer, de les persécuter », écrit-il en novembre 1938), il est d’ordre politique, voire géopolitique. Les anciens combattants n’admettent pas notamment que la finance new-yorkaise, où les juifs sont fortement représentés – d’où la tentation d’amalgame, aient pu « faire du business » avec la guerre, au risque de la prolonger ou de retarder son issue. Une phrase du général résume assez bien sa position : « Les israélites sont exclus des spirales. Cette mesure, qui a le grave inconvénient d’éliminer des éléments utiles, est rendue nécessaire par la difficulté où l’on se trouve en ce moment de distinguer, parmi les israélites, ceux qui sont animés de sentiments nationaux sans incidence particulière. »

Le général combat en somme les juifs et les communistes de la même façon, sur la suspicion d’une allégeance supranationale, qui à la judaïté, qui au Komintern. La guerre nous montrera combien il avait raison pour les seconds, de 1939 à 1941 du moins, mais terriblement tort pour les premiers.

Si aujourd’hui cette lourde erreur d’appréciation choque, avec la lecture a posteriori d’une époque inconsciente des drames à venir, une chose demeure : au soir de sa vie, on ne juge pas un soldat sur ce qu’il a dit mais sur ce qu’il a fait. Georges Loustaunau-Lacau avait l’obsession de servir son pays et il a traversé ce siècle chaotique avec un courage rare et une édifiante capacité à se repositionner, malgré ses écarts, au cœur de l’action, contexte après contexte.

Jugeons un peu du bonhomme : engagé dans la « Grande guerre » à sa sortie de Saint-Cyr en 1914, il est cité cinq fois et décoré de la légion d’honneur à 23 ans pour « bravoure remarquable » ; se battant en juin 1940, tout juste après avoir été libéré d’un emprisonnement politique sur ordre de Daladier, il est à nouveau cité (il détruit 22 chars ennemis avec son unité, est grièvement blessé et fait prisonnier). Libéré sur un coup de bluff, il rejoint Vichy où il est nommé délégué général de la Légion française des combattants. Il s’en sert de couverture et de vivier pour le réseau de résistance qu’il crée, le réseau Navarre, qui deviendra le réseau Alliance, un des plus efficaces de France. Il part en Afrique du Nord, se fait arrêter par Weygand pour dissidence, s’évade, rejoint le maquis, se fait arrêter et livrer par Vichy aux Allemands. Il subit, six mois durant, 54 interrogatoires par le capitaine de la SS Geissler. Condamné à mort, il est déporté à Mauthausen, où il survit non seulement aux mois d’internement et de travail mais aussi à la « marche de la mort » qu’il effectue pendant 12 jours à l’arrivée des alliés. Il se présente néanmoins comme témoin au procès du maréchal Pétain, en pleine épuration, et déclare : « Je ne dois rien au maréchal Pétain, mais je suis écœuré par le spectacle des hommes qui, dans cette enceinte, essaient de refiler à un vieillard presque centenaire l’ardoise de toutes leurs erreurs. »

Croise-t-on beaucoup de personnalités de cette trempe aujourd’hui ? A voir la stabilité de ses convictions et ses fidélités d’appartenance, une très grande partie de notre classe politique actuelle serait collabo en moins de deux heures de guerre.

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Passons d’ailleurs, la guerre faite, sur l’accusation d’antisémitisme qui pèse sur le général : les nombreux juifs du réseau Navarre, les plus nombreux encore que le réseau a sauvés, les frères, enfin, de déportation laveront, au moins au prix de la sueur et du sang, ce que sa vie héroïque a ajouté à ses propos.

Ecoutons, au milieu des terribles phrases qu’il a écrites dans un livre personnel sur la déportation, Chiens maudits, Souvenirs d’un rescapé des bagnes hitlériens (Editions la Spirale, 1946), l’hommage qu’il leur rend :

« — On tue les Juifs demain au bloc 12. C’est la première phrase que je surprends en allemand.

Heureusement les trois Israélites qui sont parmi nous n’ont pas compris. On les emmène aussitôt. Ils croient simplement que leurs coreligionnaires sont rassemblés ailleurs. Ils sont tous les trois sympathiques et d’une intelligence vive. Je ne peux pas dire leurs noms. Envoyés au kommando 3 où nul n’a vécu plus d’une journée, les deux plus jeunes seront sauvagement tués dans la carrière, dès les premières heures de la matinée. Le troisième plus dur, un homme de quarante ans, au moral extraordinaire, se débattra toute la journée chargé de pierres et ne sera achevé que le soir, d’une rafale de mitraillette, par un S.S. Il y avait, parmi ces trois Français, un garçon d’une telle valeur intellectuelle qu’il manquera maintenant à la science pure. »

Cette justice étant rendue, allons plus loin encore autour de quatre idées.

Un soldat vaut par son courage. Débaptiser le courage, c’est renier le fondement même d’une civilisation. C’est la Grèce sans Alexandre, Rome sans César, la France sans Du Guesclin ou l’Angleterre sans Nelson. Déshonorer un héros et humilier ses héritiers, c’est une faute impardonnable pour un Etat qui se respecte.

Un chef vaut par son discernement. Et le discernement c’est une science d’étapes successives, c’est un art de la trajectoire et non pas du point d’image. C’est le fossé définitif entre un Churchill et un Chamberlain, entre les pas souvent chancelants mais finalement victorieux de l’homme au cigare et la pose tendre et pathétiquement criminelle du chancelier soumis à Munich. Combien de Chamberlain avons-nous dans nos élites face au terrorisme aujourd’hui ?

Une promotion de Saint-Cyr, comme les autres corps d’élite de la nation, puise dans le comportement de son parrain – élu – les ferments d’une force collective et individuelle. Interrompre brutalement ce processus par une vision tatillonne de l’histoire (combien de parrains de l’ENA pourraient être débaptisés pour leurs propos ?), c’est faire une faute grossière de discernement et pousser cent cinquante jeunes chefs à être dès le départ, soit soumis, soit révoltés.

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Notre besoin politique criant, après des années de faux-semblants idéologiques et de lâcheté dans la conduite des priorités, c’est celui d’un comportement inspirant. Un Loustaunau-Lacau nous embarquerait aussitôt, et ce pour deux raisons : son inspiration vient de ce qu’il se met, sans hésiter, au lieu du danger pour y concentrer ses efforts et que, d’autre part, il porte en lui cette capacité de remise en cause et de clairvoyance qui le fait tenir dans la durée sur les vrais sujets.

Il a ses mots magnifiques à propos des heures ultimes de sa captivité :

« —Les Français marchent bien, dit le S.S.

Ils marchent bien parce qu’ils se tiennent comme des frères, que toutes les petites querelles qui les divisaient au camp ont disparu, que vieux et jeunes, radicaux, conservateurs, socialistes, communistes, ne forment plus qu’un bloc d’espoir. »

Ce n’est pas surprenant, à bien y réfléchir, que ce gouvernement ait écarté de son panthéon à durée limitée ce qui est son exact opposé. Gageons que les faits le ramènent bientôt à la réalité, c’est-à-dire la lucidité de se faire remplacer.

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