Pour l’éleveur bio Grégoire Laugier, l’aménagement de nos campagnes offre un environnement idéal à certains petits animaux. Mais la réintroduction de l’ours et du loup pourrait perturber cet écosystème façonné par des siècles d’agriculture.
Causeur. Vous élevez un cheptel d’une quarantaine de vaches selon la méthode bio extensive. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Grégoire Laugier. Il y a trois ans, avec mes frères et ma sœur, j’ai pris la suite de mon père qui élevait des vaches écossaises Highland Cattle en adoptant le contre-pied de la philosophie productiviste actuelle. Mes vaches vivent en plein air, mangent ce qu’elles trouvent dans les prairies et accouchent de leurs veaux toutes seules sans vétérinaire. En dehors du travail de prophylaxie et de vaccin, une fois les clôtures installées, je n’ai pratiquement rien à faire.
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Dans votre région, subsiste-t-il des îlots de nature complètement préservés de l’activité humaine ?
Il reste quelques petits espaces vierges, un demi hectare par-ci par-là, parfois inaccessible au milieu d’une rivière ou entre deux bretelles d’autoroute. En revanche, il n’existe pas de surfaces de plusieurs kilomètres carrés vierges de toute présence humaine, sinon la forêt conservatoire de Chizé dans laquelle le CNRS a installé une réserve intégrale couplée à une espèce de zoo baptisé « Zoodyssée ». C’est un cas d’école : sur ces 3 400 hectares engrillagés, les sangliers se sont tellement reproduits que, faute de prédateurs, les gérants sont obligés d’organiser des battues administratives pour en réguler le nombre.
Le jour – inévitable – où un loup tuera un enfant, une peur pluriséculaire resurgira !
Où les animaux s’épanouissent-ils davantage : dans cette réserve à l’état sauvage ou sur les terres investies par l’homme ?
Tout dépend de quels animaux on parle. Pour les oiseaux ou les micromammifères, l’environnement idéal est un bocage à l’ancienne, avec des prairies sans pesticides et des haies. Ils y trouvent des zones de refuge, des zones pour se nourrir et des zones de clairière où ils interagissent avec des animaux domestiques. Par exemple, les hirondelles ont besoin de bouses de vache ainsi que d’étables ou de constructions humaines où se réfugier pour survivre. Mais les grands mammifères carnivores, en particulier l’ours, le loup ou le lynx, ont besoin de grands espaces.
Autrement dit, un espace aménagé par l’homme, avec des terres cultivées séparées par des haies est bon pour les animaux, à l’exception des grands prédateurs…
Le bocage est en effet un très bon compromis pour les micromammifères et de nombreuses espèces menacées comme les grands rhinolophes (chauve-souris). Mais deux facteurs jouent un rôle très important : l’habitat (haies, arbres morts pour les oiseaux et les chouettes, zones humides) et l’alimentation. Hélas, cette dernière est souvent infestée de produits chimiques à cause de l’agriculture intensive. Cela perturbe l’ensemble de l’écosystème en empoisonnant les insectes, qui sont la base de la chaîne alimentaire terrestre. On a perdu 80 % des insectes en France ! Ce n’est pas étonnant que les populations d’oiseaux, de chauve-souris, de micromammifères et de prédateurs reculent.
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Faudrait-il en ce cas créer un grand parc français type Yellowstone ?
Pourquoi pas, pour des randonnées ou de la pêche à la mouche… si cela se fait sans dommages collatéraux. Mais cela me paraît utopique : Yellowstone a pratiquement la taille d’un département français ! La France ayant mille ans d’histoire de pastoralisme, à moins de la dépeupler par la force, un tel projet me semble difficile à réaliser à grande échelle. D’une manière générale, le débat entre espaces sauvages et cultivés est caricatural : on est dans le tout ou rien. Soit un open field américain sans une haie, soit une réserve intégrale où le pastoralisme n’aurait plus de raison d’être. Or, ce qui fait la richesse de nos paysages et de notre culture, c’est le compromis : préserver l’agriculture respectueuse de l’environnement avec des haies… Sans avoir recours à de grands parcs nationaux, si chaque exploitant mettait 10 % de sa surface agricole en réserve intégrale et s’interdisait d’avoir des parcelles de plus de quatre hectares, cela ferait le plus grand bien à la biodiversité en France.
Reste à savoir quelle biodiversité vous souhaitez préserver. Soutenez-vous le retour des ours et des loups qui menacent les troupeaux ?
Le loup, on est toujours pour sa réintroduction quand ce n’est pas chez soi ! (rires) Contrairement à l’ours, sa population explose, car les loups se reproduisent rapidement et étendent aujourd’hui leurs colonies jusqu’en Bretagne. Tout le monde le sait, mais personne n’ose le dire – les écologistes pour éviter de provoquer les chasseurs ; les chasseurs pour éviter que les écologistes surprotègent les loups. Les attaques de loups sont ultra violentes, avec des animaux qui finissent les tripes à l’air. Le jour – inévitable – où un loup tuera un enfant, une peur pluriséculaire resurgira : il a fallu mille ans de chasse intensive pour faire disparaître l’espèce du territoire, c’est un animal ultra résistant et parfaitement adapté à notre environnement. J’espère que la France aura l’intelligence d’organiser un système à l’américaine pour en réguler le nombre.
C’est-à-dire ?
Aux États-Unis, pour obtenir le droit de tuer un loup, vous payez 20 000 dollars le bracelet de chasse. Cela rapporte de l’argent pour la protection de la nature et encourage une forme de tourisme qui permet de survivre avec le loup. Un tel système serait préférable au système actuel où nos impôts servent à payer des agents de l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) pour faire des battues et dédommager les éleveurs des dégâts. Puisqu’un loup parcourt 30 kilomètres par jour, soit on crée des réserves intégrales sous cloche de la taille d’un demi-département, soit l’homme devra assumer le rôle de superprédateur à la tête de la chaîne alimentaire. La première solution étant très compliquée, acceptons d’avoir le dernier mot dans l’échelle trophique.
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Alors que les vidéos de l’association antispéciste L214 connaissent un retentissement croissant et que le Parti animaliste a dépassé les 2 % aux européennes, pourquoi l’abattage des animaux semble-t-il aujourd’hui moralement inacceptable ?
On a perdu l’habitude de voir la mort en face. Il y a encore un siècle, les paysans abattaient leurs veaux, vaches, cochons à la ferme sans choquer personne, car cela faisait partie de la nature et du rythme de la vie. Aujourd’hui, on a pris l’habitude d’acheter du jambon dans un emballage et on ne se demande pas d’où vient l’animal et comment il a été élevé. Il y a une décorrélation totale de l’humain vis-à-vis de son milieu naturel et de ses instincts primaires, comme l’instinct de prédation, désormais inacceptable. Si on se concentre uniquement sur les images de la mort d’une bête, l’empathie est inévitable. Mais, bien pratiqué, l’abattage ne me choque pas : une vache souffre trente secondes dans un abattoir alors qu’un homme mourant d’une leucémie à l’hôpital agonise pendant six mois.
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La viande de Grégoire Laugier est disponible à la vente sur le site fermedelamillanchere.fr
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