L’histoire se répète. A Los Angeles, hier comme aujourd’hui, l’acteur français avance en terrain miné. Jadis, beau gosse au regard langoureux, désormais mauvais garçon aux intentions satanistes. Un chemin balisé où le comédien étranger ne peut travailler que s’il répond à des codes ethniques et esthétiques bien particuliers. Ce grand pays des Libertés fonctionne sur des stéréotypes physiques et des scénarii trop souvent écrits à l’avance. Les producteurs détestent le hasard des rencontres.
Itinéraire d’un Français gâté
L’industrie du cinéma n’a pas vocation à dépasser les identités mais à générer du cash, quitte à manquer parfois de subtilité. Pour décrocher son étoile sur Hollywood Boulevard, après-guerre, mieux valait incarner les belles manières, jouer au tennis comme René Lacoste, chanter comme Maurice Chevalier et charmer les demoiselles comme Louis Jourdan (1921-2015). Seuls les cinéphiles se souviennent de ce produit d’exportation et de son étrange parcours dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Âge d’Or des studios.
Le grand public a, depuis longtemps, oublié la carrière de ce Marseillais parti conquérir l’Amérique avec pour seul arme, une gueule d’amour. A destin iconoclaste, il fallait un acteur qui brouille les images, qui n’a pas peur de se réinventer à chaque saison et qui intrigue le téléspectateur par sa polyvalence. Olivier Minne, journaliste, producteur, acteur, animateur, bodybuilder à ses heures perdues, ne répond à aucune fiche-type. C’est le casse-tête des directeurs des programmes qui imaginent leurs grilles comme l’on résoudrait une équation. Logique et simpliste. Minne est hors-norme dans le PAF où les égos suintent l’ennui et la suffisance. Curieux, cultivé, avenant, il peut jouer les costauds dans Fort-Boyard et écrire une biographie finaude : « Louis Jourdan, le dernier french lover d’Hollywood » qui vient de paraître aux éditions Séguier.
James Bond, Hitchcock et Sinatra
Le service public devrait penser à utiliser ce talent polymorphe à sa juste valeur et s’en servir en dehors des périodes estivales. De 2010 à 2014, Olivier Minne a partagé l’intimité de Louis Jourdan et de son épouse Berthe Frédérique dite Quique, en se rendant régulièrement dans leur villa de Beverly Hills. Il a réussi à amadouer ce solitaire, un brin misanthrope, lecteur compulsif et, non sans mal, à rembobiner le film de sa vie. Le biographe joue franc-jeu avec ses lecteurs dès l’amorce du livre, il n’a jamais considéré Jourdan comme un grand acteur, ce qui l’intéresse, c’est analyser le destin d’un frenchy dans les rouages de la Factory. Le système de prédation des studios qui enfermait alors les acteurs dans un rôle défini. Juste avant l’explosion de la télévision, les studios font et défont les carrières, s’échangent les contrats, façonnent les caractères, imposent les relations, régentent l’existence même de leurs « poulains » et finissent par détruire chez eux la moindre étincelle d’humanité. Les acteurs deviennent des « machines à sous ».
De son vrai nom Louis Gendre, fils d’un hôtelier de luxe sur la Riviera, Jourdan aura fait de sa beauté son gagne-pain en scellant un pacte avec le diable. René Simon lui prédisait déjà dans son cours, un chemin chaotique. « J’allais être confronté pour un long moment à un gros problème, celui d’être pris au sérieux », disait-il. Protégé du réalisateur Marc Allégret, Loulou comme l’appelle sa femme entre dans le métier avec l’innocence du jeune premier. Les affres de la guerre lui passent au-dessus de la tête. Sous la férule de Selznick, le producteur oscarisé d’Autant en emporte le vent, Loulou fait son apprentissage dans cette très sévère école du cinéma. Sans illusions, avec cependant quelques rancunes tenaces, notamment contre James Dean « le prototype du faux génie du cinéma », le Français fait une honnête carrière. Il tournera pour Hitchcock, Ophüls, Vidor, Wilder et accrochera même un Bond au revers de sa veste, « Octopussy » en 1983. Parfois, il revient en France pour servir la caméra de Claude Autant-Lara, Jean Delannoy ou Edouard Molinaro. Son climax sera atteint en 1958 avec Gigi, une comédie musicale de Vincente Minnelli, en compagnie de Leslie Caron, Maurice Chevalier et Eva Gabor. Loulou devient un visage familier du public américain grâce à sa participation à de nombreuses émissions télé. Et son amitié avec Kirk Douglas, Gregory Peck ou Frank Sinatra lui assurera le respect de la profession.
Dans ce portrait sur-mesure, on ne s’ennuie pas un instant, Minne n’a convoqué que du beau monde au balcon : Pagnol, Cocteau, Rita Hayworth, Grace Kelly ou encore Elizabeth Taylor. Un très instructif document sur l’envers du décor et une météorite française dans le ciel de L.A.
Louis Jourdan, le dernier french lover d’Hollywood de Olivier Minne – Editions Séguier
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