
L’information est passée presque inaperçue : le 23 février 2016, la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem inaugurait à Villeurbanne, sur le territoire de sa future circonscription, un collège Louis-Ferdinand Céline, presque quatre-vingts ans après la tragique disparition de l’auteur. Elle saluait la mémoire du grand écrivain, mort dans un accident de la circulation, le 20 mai 1936 à Londres, quelques jours après la parution de son second et dernier roman, Mort à crédit.
Najat Vallaud-Belkacem célébrait dans son discours, en la personne de Louis-Ferdinand Céline, un écrivain qui, par son pacifisme intégral, son anticolonialisme virulent, sa dénonciation de la misère sociale et de l’enfance malheureuse, son sacerdoce de médecin des pauvres, demeurait une des grandes consciences littéraires de son temps à l’image d’un Victor Hugo ou d’un Émile Zola, dont la ministre rappelait que Céline avait prononcé l’éloge à Médan le 1er octobre 1933. Najat Vallaud-Belkacem citait d’ailleurs un extrait de cet hommage célinien qu’elle estimait capital : « L’œuvre de Zola ressemble pour nous, par certains côtés, à l’œuvre de Pasteur si solide, si vivante encore, en deux ou trois points essentiels. Chez ces deux hommes, transposés, nous retrouvons la même technique méticuleuse de création, le même souci de probité expérimentale et surtout le même formidable pouvoir de démonstration, chez Zola devenu épique. » La ministre concluait alors sur la chance qu’auraient les futurs élèves de ce nouveau collège Louis-Ferdinand Céline de s’émanciper grâce à l’école de la République sous le patronage de cette figure incontestée de l’humanisme, du progressisme et de l’antiracisme.
Faut-il brûler Voyage au bout de la nuit à cause de L’Ecole des cadavres ?
Les paragraphes qui précèdent sont évidemment une fiction, ou plus précisément une uchronie. Céline n’est pas mort écrasé par une voiture à Londres le 20 mai 1936 mais à Meudon le 1er juillet 1961 à l’âge de 67 ans. Il n’est pas simplement l’auteur de Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit mais aussi de huit autres romans et de quatre pamphlets dont trois sont ouvertement antisémites et toujours interdits de publication, notamment sous la pression de la veuve de Céline, Lucette Destouches[1. Voir Lucette Destouches, épouse Céline, Véronique Robert-Chovin, éditions Grasset, 2017.] qui, à l’heure où nous écrivons, est toujours vivante et a atteint l’âge de… 104 ans ! Il s’agit de Bagatelles pour un massacre (1937), L’École des cadavres (1938) et Les Beaux Draps (1941).
Céline, toujours dans la réalité, a fait partie des collabos sans complexe pendant l’Occupation, totalement obsédé par les juifs, et n’a dû son salut qu’à une fuite précipitée en juin 1944 en Allemagne. Il arrive à Sigmaringen où s’est réfugié un gouvernement fantoche avec Pétain et Laval. Céline y reste cinq mois et donne un tableau atroce et hilarant de cette période dans Rigodon, son dernier roman. Il s’enfuit au Danemark en mars
