La Cinémathèque consacre une exposition à l’acteur des comédies populaires françaises qui nous manquent tant
Cinémathèque et De Funès sont des mots qui ne vont pas bien ensemble. Cependant, le temple de la cinéphilie lui consacre jusqu’au 31 mai 2021 une belle exposition imaginée par Alain Kruger.
De l’héritier du burlesque en passant par la star des Trente Glorieuses qui fut sublimée et mythifiée par Gérard Oury, l’exposition fait figure de machine à remonter le temps et fait du bien à l’âme. Nous déambulons avec bonheur (surtout pour les boomers dont je fais presque partie) entre une reproduction grandeur nature du gendarme de Saint-Tropez, la deudeuche qui va marcher beaucoup moins bien et le costume de Rabbi Jacob.
Succès populaires
Mais nous sommes bien sur les terres de André Bazin, car y est exposée une lettre de François Truffaut à Gérard Oury, lui déclarant qu’il avait beaucoup aimé « Le Corniaud » et surtout il y fait une analyse très juste des rapports entre la critique et le succès des films « grand public », faisant preuve d’humilité et de clairvoyance :
« L’énorme succès de votre film en rend l’appréciation malaisée, vous comprenez sûrement ce que je veux dire, il y a dans tout succès absolu un anéantissement de la notion de critique (…) Il devient idiot (presque dérisoire) d’en dire du mal, mais le bien que l’on en dit peut ne pas paraître sincère. »
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Merveilleux Truffaut qui ne fut jamais contaminé par l’idéologie de la Nouvelle Vague. Car le rire est le contraire de l’idéologie. Le rire c’est la pulsion de vie. Et bien sûr les Grecs le savaient car l’étymologie de comédie (cômè odè) est le chant dionysiaque, la catharsis. De Funès est effectivement ce génie qui abritait dans son petit corps sec, et les personnages de la Comedia dell’ Arte et Molière, et Buster Keaton, et Laurel et Hardy qu’il révérait. Autant dire tous les éclats de rire du monde. C’est sûrement pour cela que son corps était si bondissant, son visage si élastique, il se devait de se démultiplier pour abriter tant de monde !
Un jeu surnaturel
Mais ce que certains critiques imbéciles prenaient pour de la gesticulation était une science exacte. Pianiste de jazz avant de devenir acteur et de connaître véritablement le succès à cinquante ans, il avait à la fois le rythme et un métronome dans la peau. « Il ne joue pas la même musique que les acteurs de l’époque, il ne prend pas son temps, il l’accélère, lui donne le tournis, le contre et le tord (de rire). Son jeu est surnaturel, son diapason, toujours au bord de la syncope emballe sa machine et son public. Il est pile électrique et face atomique », écrit Alain Kruger dans le catalogue de l’exposition. Et comme le disait Orson Welles, la musique dans un film est plus importante que la dramaturgie.
Si De Funès, on le sait peu, eut tant de succès dans tous les régimes totalitaires de l’époque, du bloc communiste à l’Espagne de Franco en passant par la Grèce des colonels, c’est précisément parce qu’en incarnant et en ridiculisant l’autorité, il faisait office de catharsis. Et la censure n’y voyait que du feu. Et en cela il rejoint Molière qui fut, lui aussi méprisé par l’intelligentsia du Grand Siècle.
Swinging De Funès
En France, il a incarné à merveille les Trente Glorieuses et surtout les 60’s. Swinging London et swinging De Funès. En témoigne tous les épisodes des Gendarmes du douyoudouyou St Tropez à New-York. Il fut bien sûr sublimé par Gérard Oury qui en fit son youcouncoun. Et Rabbi Jacob fait partie à tout jamais de notre patrimoine national, « Salomon vous êtes juif mais je vous garde quand même » résume à merveille à mon sens le rapport de la France à sa communauté juive.
Seul Valère Novarina comprit son génie lorsqu’il était honni. Cet auteur de théâtre « intello » lui consacra un superbe texte qui est aussi un manifeste. Il se disait complètement « funésifié », et ce fut aussi une sorte de provocation de sa part : « Je voulais énerver tout le monde parce qu’il était méprisé ». L’élite intellectuelle et artistique française a un balai dans le derrière, mais le public, le peuple, finit toujours par avoir raison.
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Le théâtre, parlons-en. Le but de sa vie d’acteur était d’incarner l’Avare de Molière, il travailla le personnage dans « La folie des grandeurs” de Gérard Oury et le réalisa au cinéma avec Jean Girault en 1980. Il était temps. Car il mourut à l’âge de soixante-huit ans en 1983.
En parcourant l’exposition, je me suis demandée comment aurait réagi Pivert, le personnage d’Hibernatus, s’il avait été décongelé en 2020. Il eût été probablement effrayé.
Exposition Louis de Funès, 10 €, La cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris.
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