Le roi Felipe VI a signé la Loi de mémoire démocratique. Souhaitée par la coalition de gauche au pouvoir, elle met brutalement fin à l’utilisation des trente-trois titres octroyés par le général Franco durant sa dictature. Parmi lesquels se trouve celui du duché du même nom détenu par sa petite-fille, Carmen Martínez-Bordiu, mère du prince Louis-Alphonse de Bourbon. Un héritage que ce descendant de Louis XIV, prétendant au trône de France, assume sans complexe.
La loi sur la mémoire démocratique est entrée en vigueur le 21 octobre 2022. Adoptée de justesse par le Sénat et après des débats houleux, elle permet désormais de rechercher ceux qui ont disparu pendant la guerre civile (1936-1939) et la dictature franquiste (1939-1975), d’étudier les éventuelles violations des droits de l’homme perpétrées sous la monarchie entre 1978 et 1983. Largement combattue par les partis de la droite espagnole (Parti Populaire, Ciudadanos et Vox), elle a été initiée par la coalition de gauche (Podemos, Parti socialiste et divers mouvements indépendantistes) au pouvoir depuis 2015 et qui est régulièrement accusée de mener un combat anachronique. Un volet de cette loi abolit également les 33 titres de noblesse octroyés par le régime franquiste entre 1948 et 1978. Parmi lesquels le duché de Franco, obsession du Premier ministre Pedro Sanchez, détenu par Carmen Martínez-Bordiu, Grande d’Espagne, mère du prince Louis-Alphonse de Bourbon, prétendant au trône de France.
Un descendant de Louis XIV contesté
Depuis le décès tragique et marquant de son père en 1989, le charismatique Alphonse de Bourbon, le prince Louis-Alphonse de Bourbon, est un des prétendants au trône de France sous le nom de Louis XX. C’est un visage peu connu des Français. Il est soutenu par les Légitimistes, une frange ultra-catholique du royalisme français, qui s’ingénient à gommer toute trace d’hispanité de leur poulain et lui donne du « SMTC » (Sa Majesté très chrétienne) à tout va sur les réseaux sociaux, rejetant les idéaux de 1789. Ils se rassemblent autour de lui, tous les 21 janvier, à la chapelle expiatoire afin de commémorer la mort de Louis XVI. Quelques voyages par an en France (binational, il réside à Madrid), quelques communiqués politiques sur ses réseaux sociaux et messages de Nouvel An, souvent ponctués de passages aux accents christiques, quelques inaugurations et autres parrainages, ce descendant du Roi-Soleil a pris position contre le Mariage pour tous et l’homoparentalité en 2013, appelant les Français à défendre la famille traditionnelle. Il a fait le buzz en 2018 en annonçant son soutien aux Gilets Jaunes, « condamnant les violences des extrêmes et exprimant sa profonde compassion à ceux qui souffrent ». Publiant des éditoriaux dans le magazine Valeurs Actuelles, ce père de 4 enfants (qu’il surprotège médiatiquement) n’a pas hésité à participer à une marche contre la PMA et la GPA (janvier 2020), dénonçant une volonté de « marchandisation du corps humain » voulue par le gouvernement. Titré (par courtoisie) duc d’Anjou, il se dit disponible si les Français le souhaitent et défend (malgré ses soutiens) le principe d’une monarchie constitutionnelle avec à sa tête « un roi qui ferait office d’autorité morale, d’ambassadeur de son pays à l’étranger, garant de l’unité du pays, rappel de l’Histoire » ainsi qu’il l’avait lui-même expliqué en 2010 dans un entretien accordé au magazine Paris Match. Il est toutefois sévèrement contesté dans ses droits au trône par le comte de Paris, Jean d’Orléans, descendant de Louis-Philippe Ier, dernier roi des Français de 1830 à 1848. Ce dernier jouit d’ailleurs du soutien de la majorité des royalistes, dont les deux camps en présence se livrent une guerre numérique acharnée sur les réseaux sociaux.
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Le prince bleu des franquistes
Cousin du roi Felipe VI, Louis-Alphonse de Bourbon fait régulièrement les manchettes des quotidiens espagnols. En 2018, lorsque le gouvernement espagnol décide anachroniquement d’exhumer les restes du général Franco qui reposent dans la basilique de la Vallée de Los Caïdos, il monte au créneau, devenant très rapidement le porte-drapeau des nostalgiques de la période franquiste et de l’extrême-droite phalangiste. Président d’honneur de la Fondation nationale Francisco Franco (FnFF), il préside chaque année le congrès annuel de cette association, gardienne intransigeante de la mémoire du Caudillo. Un legs parfaitement assumé par Louis-Alphonse de Bourbon, surnommé le « Bisnieto » ou « El Rey de los Francos » par ses détracteurs. « Le gouvernement espagnol actuel fait tout pour effacer son héritage. On abat des statues, on rebaptise des rues, et c’est regrettable. Franco a créé la classe moyenne en Espagne, il a créé des forêts, des lacs et des routes, il a empêché que le pays n’entre dans la guerre et que le communisme s’installe. Évidemment il y a eu la guerre civile, mais il ne l’a pas voulue. Il ne faut pas gommer l’Histoire » n’avait pas hésité à rappeler le prince lors d’un entretien dans le même Paris Match. Contraint d’exhumer le Caudillo, après un long combat juridique chargés de rebondissements, mis en avant par sa famille et marqué par une série de vendettas avérées de la part de la coalition de gauche, Louis-Alphonse déclare en 2019, lors de la ré-inhumation du général Franco, qu’il restera « fidèle à la mémoire si injustement attaquée de son arrière-grand-père ». « Il fut un grand Soldat et un grand homme d’État, animé avant tout par sa Foi chrétienne profonde et son amour de l’Espagne. Il est à l’origine de l’Espagne pacifiée, prospère et reconnue parmi les grandes puissances mondiales. Défendre sa mémoire, c’est une part intégrante de l’idée que je me fais de l’Honneur et de la Fidélité » affirme le prince bleu. Un combat devenu vain (avec la nouvelle loi, il perd désormais le seul titre auquel il avait droit par sa naissance et dont il ne faisait pas mystère de récupérer au décès de sa mère, qui, elle, de son côté, en faisait peu de cas) pour lequel il a pu compter sur le soutien indéfectible du leader de Vox. Le député Santiago Abascal, est un ami personnel. Louis-Alphonse de Bourbon a d’ailleurs partagé très régulièrement, sur ses réseaux sociaux, des tweets provenant du parti d’extrême-droite. Il a fondé et préside l’association catholique « Cura Infirmorum et Natura-Seminare », dont le siège social est le même que celui de la société « Leadership Systems SL », enregistrée au nom de Víctor González Coello de Portugal, premier vice-président de Vox. Dans son livre La familia Franco SA, Mariano Sánchez Soler évoque ces relations étroites entre le descendant Bourbon et le parti Vox qui a phagocyté la fondation Franco, plaçant ses cadres au sein de l’organisme. L’écrivain confirme la relation étroite entre Abascal et Louis-Alphonse, à la fois personnelle et politique. Selon l’écrivain: « Il représente le grand rêve des Franco, celui d’accéder au trône [d’Espagne] en premier lieu. C’est lui qui est devenu le dépositaire de l’héritage politique ».
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Un successeur au roi Felipe VI ?
Si c’est indubitablement l’aînée de la maison de Bourbon, la branche de « Don » Louis-Alphonse de Bourbon a été exclue du trône espagnol en 1933. Une décision du roi Alphonse XIII qui ne pouvait pas supporter que son héritier, Don Jaime, soit sourd et muet. Le roi d’Espagne, renversé par une révolution en 1931, a désigné son cadet pour lui succéder, père de Juan Carlos, monté sur le trône d’Espagne en 1975 par la grâce de Dieu et de Franco. Lors d’une messe en hommage à son arrière-grand-père, il a descendu le parvis de la basilique de la Vallée de Los Caïdos sous les bras tendus des franquistes et la présence de carlistes traditionalistes. Quelques-uns n’ont d’ailleurs pas hésité à crier : « Tu es notre roi ! ». Ils le considéraient comme le véritable souverain d’Espagne sous le nom de Luis II, tant la perspective de voir l’infante Léonor, une femme, occuper le trône ne plait guère aux plus monarchistes des Espagnols qui craignent un règne désastreux (celui d’Isabelle II n’a pas laissé un très bon souvenir dans la mémoire collective des sujets de Felipe VI). Ou une mainmise de la couronne par une autre famille. Ses rapports avec la maison royale ont toujours été tendus. Le roi Juan Carlos a multiplié les humiliations envers le père de Louis-Alphonse, s’agaçant de sa popularité en Espagne et de ses prétentions en France. En 1987, le monarque a d’ailleurs retiré prédicats royaux et titres à Alphonse de Bourbon et à son fils Louis-Alphonse. Il a fallu attendre 2016 pour qu’un rapprochement s’opère véritablement entre les deux branches, bien que le roi Felipe VI n’ait guère apprécié les attaques régulières de son cousin contre le gouvernement lors de «l’affaire Franco». Pour autant, ce soutien reste minoritaire et le concerné n’a jamais fait acte de prétention au trône d’Espagne, s’affichant au contraire comme un fidèle de la monarchie espagnole.
Un défenseur de l’amitié franco-russe
Le prétendant au trône de France a participé deux fois au Congrès mondial des Familles (2018 & 2019) où il a pris la parole. Vaste messe internationale concentrant toutes les figures de la droite conservatrice et traditionaliste, ce rassemblement est financé par l’oligarque monarchiste Konstantin Malofeev, un proche du Kremlin. La proximité de Louis-Alphonse de Bourbon avec la Russie est connue. En 2017, il a fait un séjour remarqué dans le pays du président Vladimir Poutine où il a été reçu dans les locaux de Tsargrad, la télévision privée de Malofeev, afin de répondre aux questions de Strapol, entre deux photos devant le trône des Romanov ou aux côtés du sulfureux Fabrice Sorlin, bien connu des milieux d’extrême-droites catholiques et nationaux. Interrogé sur la place de la Russie au sein de l’Europe, le prince a montré un certain enthousiasme à défendre cette idée. En octobre 2021, il s’est de nouveau rendu en Russie où, face à une statue de Jeanne d’Arc offerte par l’Association Universelle des Amis de Jeanne d’Arc à la ville de Saint-Pétersbourg, il a rendu hommage à ce «symbole de l’amitié franco-russe» qui lui tient à cœur.
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Un banquier face à la justice
A 48 ans, doté d’une conséquente fortune, Louis-Alphonse de Bourbon occupe un poste stratégique au sein de la Banco Occidental de Descuento (BOD). Dirigée par le banquier du gouvernement vénézuélien, Victor Vargas, le duc d’Anjou a épousé la fille de ce dernier, María Margarita Vargas Santaella, cavalière émérite, en novembre 2004. Loin des yeux de ses partisans, puisque la cérémonie civile a été célébrée à Caracas et la religieuse en République Dominicaine. Ils ont emménagé à dans la capitale espagnole où il peut exercer ses activités de banquier et d’entrepreneur. C’est aussi ici que sont scolarisés ses enfants au sein de l’Everest Monteclaro, une école catholique, privée et bilingue qui prend soin de séparer filles et garçons. Titulaire d’une maîtrise en administration des affaires à l’Institut d’études supérieures de commerce de Madrid et d’un Master en finance, ce passionné de tauromachie a été élu entrepreneur de l’année en 2017, même si certaines de ses opérations financières ont attiré des critiques dans les médias. Sportif accompli, il a créé Reto18, une salle de sport qui affirme pouvoir remettre en forme une personne en 48 jours selon un programme diététique strict. Depuis peu, il consacre à la diffusion de divers jeux de cartes historiques dont le but est éducatif, mais qui n’a pas échappé une nouvelle fois aux controverses, accusé de manipuler l’Histoire et les traditions à ses propres fins.
A ce jour, Louis-Alphonse de Bourbon, le prince Louis de Bourbon, Don Luis Alfonso de Borbón y Martínez-Bordiú, SMTC Louis XX, quel que soit le nom qu’on souhaite lui donner, n’a pas réagi officiellement à la suppression de son titre héréditaire de duc de Franco.
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