Lou Reed était le cauchemar des journalistes, comme la vérité. Lou Reed était le chanteur, le leader et le principal compositeur du Velvet Underground, groupe sauvé du marc de Cafés Bizarres new-yorkais par Andy Warhol en 1965. Il était aussi l’auteur du tube « Walk On The Wild Side », son seul vrai hit, qui réussit l’exploit d’atteindre le Top 10 britannique en 1973. À part ça, Lou Reed a publié une somme poétique des mœurs transgressives et marginales en milieu urbain : son œuvre discographique en vingt volumes studio, sa comédie humaine à lui. La dope, la violence conjugale, le sadomasochisme, les partouzes dans les backrooms, le suicide et l’inceste – entre autres – ont nourri les trames pittoresques (et souvent autobiographiques) de ses chansons pendant les années 70. « J’ai donné là-dedans pendant un bon bout de temps parce que ça me faisait marrer […] je me disais : eh merde, si vous trouvez ça choquant, je vais en rajouter encore un peu plus dans le genre « petit théâtre de rue » », expliquait-il la décennie suivante, en phase de sevrage. Mais Lou Reed ne s’est pas vraiment assagi par la suite, son esprit plaisantin l’a toujours rattrapé, comme en témoignent la présence du très explicite « Sex With Your Parents (Motherfucker part.II) » sur l’album Set The Twilight Reeling en 1996 et la tournée d’improvisation Metal Machine Trio en 2010, revisitant sur scène le bruitiste, infernal et inécoutable Metal Machine Music (sorti en 1975 pour se venger de la pression commerciale exercée par sa maison de disques). Le bruit primal en ultime bras d’honneur aux convenances, à soixante-dix balais. On n’apprend pas au vieux Lou à faire des grimaces.
Il faut dire que le parcours chaotique de l’animal – issu pourtant d’un milieu aisé – a de quoi en remontrer aux plus coriaces, entre séjours en hôpital psychiatrique et séances d’électrochocs administrées sur la demande de ses parents (il n’est encore qu’un adolescent) pour le guérir de sa bisexualité : autant de réjouissances pour faire de lui le parfait asocial, incapable de tenir plus d’une journée dans les petits boulots qu’il obtient. Fort d’une licence en lettres, son premier vrai job consiste à écrire des titres sur commande pour une compagnie de disques bon marché qui finissent rapidement dans les bacs à soldes. Son premier fait d’armes musical, le single « The Ostrich » enregistré avec le faux groupe The Primitives, lui offre l’occasion en 1964 de rencontrer son alter ego John Cale. Tout l’esprit du Lou Reed pré-punk et pré-glam rocker se découvre dans cette danse de l’autruche : « Posez la tête par terre et laissez quelqu’un marcher dessus ». Les deux musiciens deviennent inséparables et montent le Velvet Underground, dont le son brut et cru séduit Andy Warhol. Le pape du pop art prend le groupe sous son aile pour servir sa cause : celle des performances mêlant musique, art et cinéma à des fins plus ou moins glamour : la Factory est née.
« Je suis un produit de la Factory » dira Lou Reed en 1978. La Factory était une usine d’un genre nouveau, à fabriquer de la mythologie, de l’avant-garde, de la poésie, de la déviance, de la décadence, pour la beauté du geste. Une usine rock’n’roll.
Warhol entreprend de souffler à Lou Reed la direction à prendre : la pop music ! Le Velvet Underground se substitue rapidement à la poudre de yagé de la « beat generation » mais Lou Reed lâche ses camarades (ou ce qu’il en reste) en 1970. Le chanteur quitte le Velvet, garde l’underground, poursuit sa mue en solo et pose les jalons d’une œuvre où la narration désinvolte prend une place centrale dans ces tranches de vies servies en vapeurs délétères à l’auditeur. De ses disques de blues blanc de griot urbain, la patine du temps retiendra surtout la beauté effusive.
Si « Walk On The Wild Side », sa chanson la plus célèbre (avec « Perfect Day », extraites toutes les deux de son mythique album Transformer) occulte malheureusement le reste d’une œuvre magistrale mais méconnue (à l’instar du sempiternel « Le Sud » pour Nino Ferrer, désespéré par l’inanité de sa production discographique dense mais ignorée), il est temps aujourd’hui de se pencher sur les autres joyaux studio et live de Lou (dont Animal Serenade, double album testamentaire enregistré en public en 2003, à la religiosité chamanique). En France, comme partout ailleurs, Lou Reed a suscité de très nombreuses vocations. Parmi les plus remarquables, citons Kat Onoma et CharlElie Couture.
Comme Bob Dylan, qu’il admirait tout en lui reprochant de ne pas être assez rock’n’roll, Lou Reed poursuivait son Never Ending Tour vaille que vaille ces dernières années. Une greffe du foie a interrompu le cycle des concerts au printemps dernier mais le chanteur promettait sur son site internet de revenir avec de nouvelles chansons prochainement.
Et trente-huit ans après Metal Machine Music, illustration métallique du fracas d’une vie cabossée, Lou Reed nous a encore surpris ce 27 octobre avec son cru 2013, tout aussi radical : le bruit blanc d’un silence de mort.
*Photo : SANNIER/SIPA.00668278_000001.
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