Avec son premier roman d’espionnage, qui suit un militaire français parti sur le front de l’Est avec la LVF, Pierre Olivier nous rappelle que ce n’est pas avec des beaux sentiments qu’on fait de la littérature.
Jacques Doriot est revenu sur le devant de la scène. La députée LFI, Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon, a récemment comparé le patron du PCF, Fabien Roussel, à Doriot[1], ancien communiste passé à la collaboration en 1940, fondateur du PPF (Parti Populaire Français), favorable à la victoire de l’Allemagne nazie, comme le maquignon Pierre Laval qui a débuté sa carrière politique sous les couleurs de la SFIO.
Pendant la guerre, le tribun Doriot, ancien ouvrier métallurgiste devenu député-maire de Saint-Denis, avant d’être exclu du PCF pour indiscipline, se range parmi les plus ardents zélateurs des nazis. Il crée la L.V.F. (Légion des volontaires français contre le bolchévisme), combat sur le front russe sous l’uniforme de la Wehrmacht. Certains collabos, planqués à Paris, n’hésitent pas à l’appeler « le Führer français ». L’écrivain Pierre Drieu la Rochelle, membre du PPF dès sa création en 1936, publie aux Éditions Gallimard Avec Doriot (1937), où il vante les qualités intellectuelles du « Grand Jacques ». L’ennemi déclaré est alors la bourgeoisie, cette « classe abâtardie », pour reprendre l’expression de Charles de Gaulle. On comprend que Fabien Roussel et l’ensemble des communistes aient vu rouge après la sortie de Sophia Chikirou.
La mort de Jacques Doriot est controversée. Réfugié autour de Sigmaringen, en Allemagne, comme la majorité des pétochards collabos, Pétain en tête, Doriot est tué lors du mitraillage de sa voiture par un avion non identifié. Le corps sera reconnu par Marcel Déat, patron du parti collaborationniste RNP (Rassemblement national populaire), et lui aussi ancien membre de la SFIO – la gauche était au rendez-vous de Vichy.
A lire aussi, du même auteur: À l’Ouest, du nouveau!
C’est le point de départ de l’excellent premier roman de Pierre Olivier, Lorsque tous trahiront, qui est également le premier lauréat du Prix du roman d’espionnage. Pierre Olivier a pris des risques. Déjà en exhumant la personnalité du soldat Doriot, infatigable pourfendeur du capitalisme mondial, passé sans sourciller du communisme au fascisme, fils de forgeron farouchement antimilitariste. Puis en confiant l’enquête à un jeune lieutenant, ancien du front de l’Est, qui a enfilé son uniforme allemand en 1941, et qui déclare au début du récit : « Et puis, on s’y était fait à cet uniforme boche, un peu grâce à l’écusson tricolore cousu sur la manche de nos vareuses pour rappeler qui nous étions et au message d’encouragement du Maréchal. » On comprend que le roman s’ouvre sur l’avertissement suivant : « Le personnage principal de ce livre est un ultra de la collaboration, un fasciste. Les opinions exprimées par celui-ci dans ce roman sont les siennes, et non pas celles de l’auteur »… Comme dit André Gide : « C’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature. »
Le narrateur pense très vite que Doriot a été victime d’un complot. Peut-être a-t-il été liquidé par ses plus proches « amis ». Son doute est renforcé par la présence d’un homme des services secrets allemands. Il va enquêter, alors que les troupes alliées viennent de passer le Rhin. L’ambiance est un peu lunaire. Plusieurs pistes sont possibles. Pierre Olivier les rend toutes plausibles, notamment celle des Américains. Doriot était apparemment devenu gênant… Il ne faut oublier qu’au début de la guerre, les Américains soutenaient Pétain et qu’ils détestaient le général de Gaulle, leur « poulain » étant Henri Giraud. Roosevelt avait même offert une Cadillac à Pétain, lequel était fier de l’utiliser pour saluer les foules exaltées. On voit les responsables allemands jouer double voire triple jeu. Les palinodies, d’un côté comme de l’autre, sont légion. Il faut se sortir, à tout prix, d’une situation où la mort est pourtant la seule issue respectable.
Précisons que cette enquête, à la fois policière et historique, est fort bien documentée. Un exemple : L’auteur rappelle que dans la Waffen-SS, « on admettait des Français, des Slaves et même des musulmans bosniaques (…) ». Cela rejoint l’excellent article de Clément de Dadelsen, « L’ombre du nazisme et du Grand Mufti de Jérusalem plane sur les massacres du Hamas », mis en ligne sur le site de Causeur, le 13 novembre 2023[2].
Pierre Olivier, Lorsque tous trahiront, coédition de La Manufacture de livres et des éditions Konfident.
[1] https://www.causeur.fr/melenchon-chikirou-roussel-et-jacques-doriot-266761
[2] https://www.causeur.fr/lombre-du-nazisme-et-du-grand-mufti-de-jerusalem-plane-sur-les-massacres-du-hamas-269619