Outre la polémique sur la non-exécution d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui vise la suspecte Dhabia B. dans le meurtre atroce de la petite Lola, un autre abcès de fixation est susceptible de soulever une puissante vague d’indignation parmi la population : celle de l’irresponsabilité pénale de la meurtrière.
En effet, comme l’annonçait Europe 1 mercredi 19 octobre, à la veille du «Rassemblement pour les victimes» organisé par l’Institut Pour la Justice (IPJ) à Paris, la question centrale dans cette affaire est bien celle de l’irresponsabilité pénale de la meurtrière présumée. La dénommée Dhabia B., qui a avoué le meurtre avant de se rétracter, est actuellement incarcérée et fera l’objet d’expertises psychiatriques ordonnées dans le cadre de l’information judiciaire. « Reste à savoir, annonce Europe 1, si les experts considéreront la jeune femme de 24 ans comme responsable de ses actes. Dans le cas de cette hypothèse, elle sera renvoyée devant une cour d’assises. Dans le cas contraire, si les expertises concluent au contraire à l’abolition de son discernement, aucun procès ne pourra se tenir »[1].
Un mal récurrent
Comme le rappelle une note de synthèse du Sénat sur l’irresponsabilité des malades mentaux, en France, l’article 122-1 du code pénal énonce : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » Selon le Dalloz, « n’ayant pas eu conscience de mal faire cette personne n’a pas pu commettre de faute : a fortiori, elle n’a pu vouloir le crime, le délit ou la contravention »[2]. C’est ainsi que « les personnes déclarées irresponsables en raison de troubles mentaux font l’objet, selon le stade auquel l’irresponsabilité est constatée, soit d’un non-lieu de la part du juge d’instruction, soit d’une décision d’acquittement ou de relaxe prononcée par la juridiction pénale »[3]. Les co-auteurs ou les complices d’une personne irresponsable pénalement restent quant à eux responsables pénalement.
En décembre 2019, le fait que le meurtrier de Sarah Halimi ait été déclaré pénalement irresponsable et « sujet à une bouffée délirante » lors de son passage à l’acte, avait profondément choqué l’opinion publique. On pressent donc que l’excuse éculée de la folie pourrait une fois de plus conduire à l’impunité des perpétrateurs d’atrocités sur le sol français.
Les dernières années ont en effet été ponctuées par la multiplication d’affaires judiciaires sordides particulièrement choquantes qui ont eu pour effet de faire enfler le sentiment d’indignation de la population face à l’impunité manifeste d’assassins excusés pour leur déchaînement de folie meurtrière. 58 cas d’irresponsabilité pénale ont été recensées en France en 2019 ; 80 en 2018 et 68 en 2017, selon la Chancellerie[4].
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Les diaboliques
Pour ne citer que quelques exemples marquants, souvenons-nous du cas de Michelle Missègue à Saint-Laurent-de-la-Prée (Charente-Maritime), qui après avoir sauvagement assassiné son riche mari de 75 ans avec un couteau de cuisine, fut déclarée pénalement irresponsable en juin 2017 en raison d’une schizophrénie décelée par les psychiatres qui l’examinèrent après cette sanglante tragédie. Ne rentrant pas le cadre judiciaire de la procédure d’ingratitude qui concerne les légataires, elle hérita sans entraves d’une bonne partie de la vaste fortune de la victime au détriment d’Alexis Leveillé, le fils du défunt[5].
L’égorgement du médecin militaire Alban Gervaise, 41 ans, en présence de ses enfants, le 7 mai 2022, devant une école catholique de Marseille, a non seulement été largement ignoré par les médias, mais le Parquet national antiterroriste n’a pas été saisi. L’assassin, Mohamed L., 23 ans, de nationalité française, a été placé en hôpital psychiatrique dans une Unité pour Malades Difficiles (UMD). Il dit avoir agi au nom de Dieu et il a évoqué le diable, propos jugés non constitutifs d’une revendication religieuse par la procureure de Marseille, Dominique Laurens. Comme l’évoque Marianne, « c’est la Sûreté départementale, et non la police judiciaire (qualifiée en matière d’attentats) ou la Sous-direction antiterroriste », qui a donc hérité du dossier [6].
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Pour rappel également, l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice, dont le procès devrait se tenir en 2023. Le 29 octobre 2020, deux semaines seulement après l’assassinat de Samuel Paty – le professeur de collège décapité par un réfugié d’origine tchétchène – Brahim Aissaoui, un terroriste de 22 ans, a égorgé, au sein même de la basilique niçoise, le sacristain, âgé d’une cinquantaine d’années, père de deux enfants. Il a ensuite décapité une femme de 70 ans et poignardé à mort une autre femme, après avoir crié « Allah Akbar »[7]. L’assassin a d’ores et déjà déclaré souffrir d’amnésie et de troubles psychologiques, qui ne lui permettraient pas de se reconnaître sur les images de vidéo-surveillance[8]. Il n’est donc pas exclu qu’il soit lui aussi déclaré pénalement irresponsable. Ce sera aux experts de le dire puis aux juges d’entériner ces expertises.
De molles tentatives de retouche du régime d’irresponsabilité pénale
A la suite de l’affaire Halimi, sous l’impulsion d’organisations telles que l’Institut pour la justice et en raison de la grogne citoyenne, en 2021, les parlementaires ont adopté une loi visant notamment à limiter l’irresponsabilité pénale « en cas de trouble mental résultant d’une intoxication volontaire aux substances psychoactives » (loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure)[9]. Le meurtrier de Sarah Halimi avait en effet perpétré son acte de barbarie sous l’effet de narcotiques.
Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne Dhabia B., la femme-bourreau qui est soupçonnée d’avoir supplicié et assassiné la petite Lola, elle aurait déclaré avoir été persécutée… par un fantôme, avant son passage à l’acte. Son entourage insiste sur des troubles psychiatriques qui auraient prétendument influencé son comportement et l’on peut donc s’attendre à voir une nouvelle fois ressurgir le spectre de l’irresponsabilité pénale sur fond d’immense chagrin national.
Le problème est que les personnes déclarées irresponsables pénalement peuvent, une fois considérées comme guéries, être remises en liberté et constituer à nouveau une menace pour la société. En effet, tous les espoirs de libération sont permis pour ces personnes, attendu que, comme l’indique le Sénat, « la sortie des délinquants qui ont été internés s’effectue selon une procédure spécifique : elle ne peut avoir lieu que sur les décisions conformes de deux psychiatres n’appartenant pas à l’établissement où l’intéressé a été placé, alors que la sortie des autres personnes internées d’office requiert l’avis motivé d’un seul psychiatre »[10].
[1] Meurtre de Lola : pourquoi la suspecte doit passer des tests psychiatriques et psychologiques, Europe 1.
[2] Droit pénal général, Dalloz, 18ème édition, page 351.
[3] L’irresponsabilité pénale des malades mentaux, site Sénat.
[4] Les quatre derniers exemples d’irresponsabilité pénale en France, Le bien public.
[5] Michelle Missegue, tueuse irresponsable, mais héritière, Le Parisien.
[6] Meurtre d’Alban Gervaise à Marseille : la thèse du « déséquilibré » ne passe pas, Marianne.
[7] Victime décapitée dans l’église, assaillant arrêté… ce que l’on sait de l’attentat de Nice, Midi libre.
[8] Le procès de l’attentat de la basilique de Nice « devrait avoir lieu en 2023 », France Bleu.
[9] Loi responsabilité pénale et sécurité intérieure : tu ne t’intoxiqueras point, site Dalloz.
[10] L’irresponsabilité pénale des malades mentaux, site Sénat.
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