L’inflation législative et administrative en vigueur dans notre pays est désolante. Philippe Bilger en appelle à davantage de pragmatisme, à l’application des lois existantes plutôt qu’à la promulgation de nouvelles et à un retour du courage politique pour mettre un terme à notre étouffante bureaucratie.
En considérant l’ensemble des programmes des candidats à l’élection présidentielle, on a le droit de se demander si cette échéance capitale n’est pas un prétexte démocratique pour satisfaire ce prurit français : la multiplication des lois, l’illusion que la loi serait une action. Pourquoi la France est-elle, plus que d’autres pays, créatrice et à la fois victime de cette dérive caractérisée pour le quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment par « l’inflation des peines » ?
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D’abord parce qu’elle n’est pas sensible au pragmatisme qui infléchit, amende, nuance, rectifie à la marge mais préfère l’airain apparent de la généralité et de la prescription. Ensuite, elle ne voit pas d’autre moyen efficace que le recours à la loi pour agir sur le réel et éventuellement le transformer. La loi offre cette facilité d’apparaître immédiatement comme une audace ou une espérance, mais hélas, tardivement, pour un leurre. « Les lois se succédant sur un même sujet compliquent terriblement l’action de la Justice et multiplient les risques d’erreur ». Rien n’est plus révélateur de cette fuite en avant que l’obsession d’augmenter les sanctions pour certains délits ou crimes alors que dans la réalité, les peines sont très rarement édictées dans leur plénitude. On aboutit ainsi à cette aberration du changement avant même la preuve de l’impuissance de ce qui existait déjà ! Je rejoins la Commission des lois du Sénat présidée par le sénateur du Rhône François-Noël Buffet (LR) qui souligne que « l’arsenal disponible est déjà considérable » et que « beaucoup de situations pourraient se gérer à droit constant ».
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Pourquoi ces évidences ne sont-elles pas admises alors que les citoyens se plaignent de l’abus des lois ? Et les pouvoirs continuent à les multiplier tout en (schizophrénie !) rêvant de les réduire…
Pour comprendre cette absurdité qui ne serait que risible si elle n’affectait pas gravement la démocratie et ne rendait pas impossible le « nul n’est censé ignorer la loi », il convient de s’arrêter une nouvelle fois sur la disparition du courage politique. L’expérience démontre qu’il est beaucoup moins fatigant de proposer de nouvelles lois que de faire respecter celles qui existent. En effet, à l’usage on relève que dans le meilleur des cas, une courte phase de rigueur est inéluctablement suivie par un laxisme, un relâchement. Les autorités, toutes tendances confondues, ne sont pas prêtes à assumer la dure et honorable tâche de maintenir leur niveau d’exigence au plus haut.
La loi devient ainsi un simulacre, un havre de tranquillité publique. Une fuite. Comme on ne se sent plus l’envie ni l’énergie d’un authentique changement avec ce qu’il impliquerait de concertation, de technique et de nécessité, on s’abandonne à la pente républicaine la plus commode : on donne le change, on favorise la surabondance. Qu’importe que la France étouffe sous les réglementations et les lois et ait trop peu d’espace pour sa liberté ! L’essentiel n’est pas là mais que la bureaucratie du pouvoir et le pouvoir de la bureaucratie tournent à plein régime. J’attends vraiment qu’on nous mette à la diète.