Par sa voix la plus autorisée, celle du président François Hollande, le gouvernement a donc protesté contre la manifestation organisée le 8 juin devant le domicile de Myriam El Khomri, ministre du Travail. Cette protestation — François Hollande a qualifié « d’inadmissible » cette manifestation — vient après les protestations d’Emmanuel Macron, ci-devant ministre de l’Economie, contre le mouvement au cours duquel il fut pris à partie et un œuf a atterri sur sa noble chevelure. Cet incident fut quasiment qualifié d’attentat contre la démocratie. Et pourquoi pas de crime de lèse-majesté ? Il faut donc réfléchir à ce que révèle ce discours.
La politique de l’exaspération
Le discours employé, que ce soit par le ministre ou par le président, soulève un immense problème. Non que ce genre de démonstrations soit normal. Dans un pays démocratique, en temps normal, elles ne devraient pas avoir lieu. Mais nous ne sommes ni dans des temps « normaux », à moins que l’on ne considère 3,5 millions de chômeurs comme une « norme », ni non plus dans un pays démocratique si l’on en juge à l’aune des violences policières qui ont marqué les dernières manifestations contre la loi El Khomri. Et c’est bien le problème.
Le gouvernement a pris la responsabilité de créer des relations hautement conflictuelles avec une large partie de la population. La loi El Khomri n’est que l’un des aspects de cette situation, mais un aspect essentiel. Au-delà du problème de fond, le problème de la méthode saute aux yeux. Les divers sondages confirment qu’une majorité absolue des Français est opposée à cette loi en l’état. Mais, le gouvernement n’en a cure. Il passe en force sur ce sujet, et l’emploi de l’article 49-3 est ici hautement symbolique. La menace d’une réquisition des grévistes, menace agitée par des membres du gouvernement, et semble-t-il par le président en privé, s’inscrit dans cette logique d’un usage brutal de tous les moyens dont un gouvernement dispose.
Les mots utilisés par le ministre des Transports sont d’ailleurs significatifs et effrayants. Quand ce ministre ose dire « Il n’y aura aucune tolérance par rapport à des agissements qui remettraient en cause la grande fête dans laquelle la France s’engage », se rend-il compte qu’il décrit un politique se réduisant aux « pain et jeux » (Panem et Circenses) de l’Empire romain décadent ?
L’exaspération d’une partie de la population, exaspération qui se nourrit aussi d’autres problèmes, est donc compréhensible. Elle est même palpable et, qu’ils ne s’en rendent même pas compte, est l’une des preuves de la nature hors-sol de ce gouvernement, confit dans les ors de la République.
Il ne comprend donc pas tout ce qu’implique cette exaspération, qui naît du sentiment qu’un mouvement largement majoritaire parmi les Français se heurte à l’autisme, mais aussi à la violence d’un pouvoir minoritaire, ce dont les derniers sondages témoignent. Il ne comprend pas que cette exaspération se renforce à chaque fois que le gouvernement fait, au nom du maintien de l’ordre, un usage clairement disproportionné de la force.
Indignation sélective
Le discours qui nous est tenu par les divers membres du gouvernement est donc celui de l’indignation. Mais, cette indignation est bien trop sélective pour être honnête. Que l’on se souvienne des manifestations suscitées par la réforme Allègre, du nom de ce déplorable et calamiteux ministre de l’Education nationale du gouvernement socialiste de Lionel Jospin. Lors des manifestations contre cette dite réforme, des militants syndicaux étaient allés sous les fenêtres, y avaient installé des haut-parleurs, et avaient régalé ses oreilles de barrissements d’éléphants, pardon de mammouths… Personne n’a le souvenir que Monsieur Claude Allègre ait crié à une intolérable atteinte anti-démocratique, même si on peut penser qu’il avait peu apprécié le procédé.
Au-delà, les militants socialistes ne se sont pas privés, dans l’histoire de ces quarante dernières années, soit de soutenir des manifestations interpellant directement des ministres de droite, soit d’apporter, dans la presse, leur soutien à de telles manifestations. Car, ces dernières font partie – aussi – de la démocratie. Assurément, cette démocratie n’est point apaisée. Mais il faut comprendre que cette notion d’apaisement recouvre soit l’existence d’un consensus — mais rien dans la politique menée par ce gouvernement n’y conduit —, soit, en réalité, le silence de la répression du mouvement social. Et ce silence est bien souvent un silence de mort. Voilà pourquoi cette « indignation » des membres du gouvernement porte à faux.
Le mépris et l’indignité
Cette « indignation » est donc révélatrice en réalité de deux attitudes. Elle peut nous révéler le mépris profond dans lequel le président comme ses ministres tiennent le peuple dit des « sans dents ». C’est le syndrome Marie-Antoinette. Le nom de la femme de Louis XVI est devenu, à tort ou à raison, le symbole d’une élite complètement coupée des réalités que vit la majorité de la population. Et l’on connaît le mot, sans doute apocryphe, qu’elle prononça en pleine famine : « S’ils n’ont plus de pain, qu’ils mangent de la brioche ». Cette indignation peut donc traduire un profond mépris, mépris de caste et mépris de classe. Mais, elle peut aussi, et ce n’est pas incompatible, révéler l’incurable bonne conscience qui entoure toute la politique du gouvernement actuel. Comment pourrait-on se révolter contre un gouvernement qui est « bon » par nature ? La « gauche » représente le peuple, c’est entendu depuis toute éternité. Quels sont donc ces énergumènes qui osent nous contester ? Ainsi, confits dans leur bonne conscience, le ministre comme le président ne peuvent tout simplement pas se représenter les effets réels, et profondément réactionnaires, des mesures qu’ils font passer avec, d’ailleurs, une rare brutalité. Comment donc des syndicats peuvent-ils s’en prendre à ce gouvernement de « gauche » ? Ainsi va la vie en ce cas, et ce gouvernement se pense dans le monde des bisounours, mais agit en réalité avec une dureté, un mépris des biens et des personnes et une instrumentalisation de l’ordre public dont on a eu rarement exemple.
Quelle que soit l’explication, et quelle que soit l’attitude qui explique ce comportement, l’effet sur la population en est à tout plein désastreux. Il est aujourd’hui évident pour une large majorité de nos concitoyens que le gouvernement ne proteste pas : il chouine. Telle est donc l’image terrible que ce gouvernement renvoie : dur avec les faibles et soumis aux puissants tant qu’il s’agit de politique, chouinant et pleurnichant dès qu’il est confronté à la moindre opposition. Cette combinaison de brutalité envers les autres et d’auto-apitoiement envers soi-même est dévastatrice en matière d’opinion publique. L’une des conséquences du mouvement social contre la loi El Khomri aura donc été de révéler la véritable nature de ce gouvernement, et de montrer à tous, et au-delà des opinions politiques particulières que l’on peut avoir sur tel ou tel point, sa profonde indignité.
Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.
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