La politique de la peur


La politique de la peur

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Dimanche, dans le robinet d’eau tiède des propos présidentiels continuant sans faillir sur une ligne sociale-libérale aimablement suicidaire, outre une petite infamie sur le FN  dont le programme ressemblerait à un tract du PCF des années 70[1. Prouvant encore une fois si besoin était l’art hollandien de surfer sur le confusionnisme et l’amalgame idéologique pour discréditer toute politique alternative crédible sur sa gauche.], on aura noté que le chef de l’Etat a l’intention de saisir le Conseil constitutionnel sur la conformité de la loi sur le renseignement, loi qui sera évidemment votée à une large majorité le 5 mai.

Faire plonger la France dans la surveillance de masse demande évidemment quelques précautions juridiques. On ne sait jamais,  certains juges suprêmes pourrait se souvenir de ce qu’est une république et censurer ce Patriot act à la française. Pourtant, le Président ne devrait pas tellement s’inquiéter. La population est avec lui sur ce coup-là, et largement si on en juge par les sondages  qui donne deux tiers des Français favorables à une restriction de leurs libertés individuelles pour lutter contre le terrorisme. Les sympathisants socialistes sont mêmes, à 68%, encore plus enthousiastes, ce qui prouve bien qu’ils sont désormais des électeurs de droite comme les autres.

Il est évident que l’esprit Charlie n’aura pas duré longtemps. J’avais cru comprendre qu’il s’était agi le 11 janvier d’une grande protestation démocratique indiquant d’une part que nous n’avions pas peur et d’autre part qu’il n’y avait aucune raison que le massacre perpétré par les terroristes change en quoi que ce soit notre mode de vie puisque précisément, cela aurait signifié pour eux une forme de victoire. Je m’étais trompé. La bonne vieille trouille a repris le dessus. La Boétie et Hobbes avaient raison. Un peuple travaillé au corps préfèrera toujours la servitude volontaire et l’Etat-Léviathan à la démocratie s’il en va de sa sécurité. Même nos amis libéraux de droite s’apprêtent  à voter en force cette ingérence sans précédent des services de police dans nos vies alors qu’ils poussent de haut cris si la puissance publique continue à verser des prestations sociales ou augmente, comme ce fut le cas récemment, sa participation chez Renault. Bref, la liberté libérale n’est jamais que la liberté d’entreprendre. Pour le reste, les Big Brother de Matignon et de Beauvau peuvent bien régenter la vie de leurs clients, tant que ces derniers osent sortir de chez eux pour continuer à consommer, on sera toujours dans le meilleur des mondes. Sur les boites noires chez les fournisseurs d’accès internet, les antennes pour capter les communications sur les portables, tous les portables, dans un rayon de 500 mètres à un kilomètre, les mouchards dans les claviers d’ordinateur, ils sont bien peu à oser émettre quelques objections. Finalement, on retrouve communément partagé cet argument légèrement poujadiste qui ne date pas d’hier : « Moi je n’ai pas grand-chose à me reprocher, je ne crains pas la police. »

Ne pas avoir grand-chose à se reprocher, c’est une question de point de vue. Des syndicalistes engagés dans un conflit social dur ou des zadistes qui ne veulent pas lâcher le morceau eux non plus n’ont pas grand chose à se reprocher… sauf aux yeux (et aux oreilles) d’une police qui peut très bien estimer que les jolis outils dont elle va pouvoir disposer avec une absence presque totale de contrôle juridique, il n’y a pas de raison qu’elle ne s’en serve pas aussi pour tous ceux qui ne se résignent pas à vivre dans ce monde tel qu’il ne va pas.

Cette loi sur le renseignement ratisse en effet très large avec des formulations très floues puisqu’il s’agit de « prévenir des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ». On passe insensiblement de la présomption d’innocence à la présomption de dangerosité. Mais la palme de l’extension infinie de la surveillance revient sans doute au ministre de l’Intérieur qui estime pour sa part, face aux députés et sans que cela semble l’émouvoir plus que de raison, que la vie privée n’est pas une liberté . Heureusement, il semble que quelques anticorps à cette politique de la peur existent encore dans la société française: nous ne parlons pas seulement du Syndicat de la magistrature mais d’organismes et de personnes qu’on ne peut pas soupçonner d’être dangereusement subversifs, qu’il s’agisse de la CNIL ou même du très centriste Hervé Morin.

Mais que pèseront-ils face au renoncement général face à ce qui est (ou faut-il déjà dire « était ») notre société et ses droits fondamentaux? Pas grand chose. La Boétie avait décidément raison: « Il n’est pas croyable comme le peuple, dès lors qu’il est assujetti, tombe si soudain en un si prochain oubli de la liberté qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir… »



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