Le rapport Sauvé sur la pédophilie dans l’Église relance le débat sur le « secret de la confession ». Quel sacerdoce !
Après les terribles conclusions du rapport Sauvé, il serait profondément injuste de reprocher au clergé catholique, ou d’ailleurs à tous nos concitoyens catholiques, d’être à la fois choqués, bouleversés, et soulagés qu’enfin le travail de vérité se fasse pleinement. On serait secoué pour beaucoup moins que ça, et il serait malvenu et mesquin, dans de telles circonstances, de traquer le moindre écart de langage pour s’acharner sur une institution dont la démarche présente est louable, d’autant plus louable que d’autres, probablement tout aussi coupables, ne se donnent pas la même peine. J’ai déjà écrit à ce sujet, mes convictions là-dessus n’ont pas changé.
Reste que tout n’est pas acceptable pour autant, et l’indulgence doit avoir ses limites.
Une maladresse ?
A l’antenne de France Info, Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a déclaré : « le secret de la confession s’impose à nous, et il s’imposera, et en ce sens-là il est plus fort que les lois de la République. » On aimerait y voir une simple maladresse de langage, et peut-être qu’il ne s’agit de rien d’autre. Mais même dans ce cas, et malgré les circonstances, ces propos ne sont pas tolérables.
Evacuons rapidement la fausse question qui consisterait à débattre de la hiérarchisation entre loi divine et lois humaines. Un législateur mortel qui voudrait imposer sa volonté aux Dieux pourrait tout aussi bien proclamer un décret interdisant le mouvement des étoiles, le second principe de la thermodynamique ou la gravitation universelle, il ne serait pas plus ridicule. Seulement voilà : la loi religieuse, de quelque religion que ce soit, n’est pas la loi divine. Elle n’est, au mieux, que l’idée que certains hommes se font de la loi divine, et confondre les deux serait succomber au péché d’orgueil, à l’hubris.
La question qui se pose ici est donc uniquement celle de la hiérarchisation entre la loi religieuse et la loi de l’Etat, toutes deux humaines.
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On peut entendre l’argument de Mgr de Moulins-Beaufort, qui considère que le secret de la confession rend possible des confidences qui, sans ce secret, n’auraient jamais lieu, et ouvre ainsi la porte à un dialogue débouchant in fine sur une action permettant d’arrêter des exactions, quelles qu’elles soient. Deux objections, cependant.
Quand les pédophiles peuvent dormir tranquilles
D’une part, l’expérience récente semble contredire ce raisonnement : le rapport Sauvé semble plutôt indiquer que le secret de la confession a conduit à protéger des criminels, et à leur permettre de poursuivre leurs crimes, bien plus qu’il n’aurait conduit à convaincre des criminels de s’amender, ou des victimes de signaler les faits aux autorités civiles.
On parle tout de même ici d’avoir protégé des violeurs pédophiles en refusant de les dénoncer aux autorités alors que l’on avait connaissance de leurs crimes, et en sachant pertinemment qu’il y avait un risque extrêmement élevé de récidive. Mgr de Moulins-Beaufort ferait bien de méditer l’Evangile de Marc (2 : 23-28) : « le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat. » Imagine-t-il que le Christ aurait placé le secret de la confession au-dessus du secours urgent que l’on doit à tout enfant victime d’un prédateur sexuel ?
D’autre part, ce n’est absolument pas là le cœur du sujet ! Il ne s’agit pas de débattre du bien-fondé de la reconnaissance par la loi du secret de la confession, ou du secret médical, ou de je ne sais quel autre secret professionnel, mais de savoir si oui ou non une règle religieuse peut être au-dessus des lois de l’état. Et à cette question la réponse doit être, sans aucune ambiguité : non.
Mais, dira-t-on, qu’en est-il lorsque la loi de l’Etat est défaillante ? On pense évidemment à l’Occupation, et à tous ces prêtres, moines et religieuses qui, inspirés par leur foi et par l’enseignement de l’Eglise, ont agi contre la loi de l’Etat pour sauver des Juifs, des résistants, des agents alliés traqués par Vichy pour le compte de l’abomination nazie. Eh bien dans ce cas la légitimité de leur action n’est pas d’avoir suivi la loi religieuse, mais d’avoir suivi la loi morale, celle du Bien et du Juste en soi, celle qui confronte chacun d’entre nous à sa conscience, et qui est supérieure aussi bien à la loi de l’Etat qu’à la loi religieuse.
Ce n’était donc pas que la loi religieuse était au-dessus de la loi de l’Etat, mais qu’elle était plus conforme à la loi morale, loi suprême qui s’impose à tous – et qui est d’ailleurs la seule boussole pouvant permettre d’arbitrer entre les multiples lois religieuses des multiples religions, concurrentes et contradictoires.
Loi morale > lois de la République > lois religieuses
Hélas, Mgr de Moulins-Beaufort n’a pas affirmé que la loi morale est plus forte que les lois de la République, en quoi il aurait eu raison. Il a dit qu’une loi religieuse, celle du secret de la confession, serait plus forte que les lois de la République, et c’est radicalement différent.
Bien sûr, le secret de la confession n’est en rien une menace pour l’autorité de l’Etat, ni pour la République, ni pour la France – il est d’ailleurs actuellement protégé par la loi séculière. Reste que c’est uniquement parce qu’il est accepté par les lois de la Cité et dans la limite où il l’est, qu’il peut avoir droit de cité, et non en tant que tel, au nom d’une autorité normative qui serait extérieure à la loi de la Cité et s’imposerait à elle.
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Il serait tentant de hausser les épaules, de redire que le secret de la confession ne menace ni l’Etat, ni la République, ni la France, et d’en rester là. Mais non. Car dans ce cas, qu’en serait-il d’autres enseignements de l’Eglise ? Faudrait-il accepter les préconisations suicidaires du Pape actuel au sujet de l’accueil des migrants ? Voilà qui serait un danger mortel pour l’Etat, la République et la France ! Et pourquoi se limiter à l’Eglise ? Faudrait-il accepter sans sourciller la décision inique du tribunal de Toulouse qui a relaxé cet imam appelant à la haine des Juifs sous prétexte que d’après ce tribunal le magistrat « n’a pas à apprécier le bien-fondé d’un texte religieux » ? Ou faudrait-il, demain, accepter sans réagir que des sectes appellent au suicide collectif de leurs adeptes, comme en son temps l’Ordre du Temple Solaire ?
Parce qu’il est à la fois prêtre et citoyen français, le président de la Conférence des évêques de France devrait aussi songer à ses obligations de citoyen. Notre pays, on le sait, est aujourd’hui menacé par un fanatisme religieux conquérant et totalitaire, cet islamisme qui bénéficie d’étranges complaisances de la part du Pape François, mais que Benoît XVI avait su dénoncer et à qui un prêtre martyr, le Père Jacques Hamel, a fait face en lui donnant son vrai nom : Satan. Qu’un archevêque prenne le risque de créer un dangereux précédent et de fragiliser l’autorité de l’Etat en affirmant qu’une règle religieuse serait plus forte que les lois de la République est irresponsable, alors que l’Eglise devrait au contraire se tenir humblement mais fermement aux côtés de la République pour défendre la France, et tout ce qu’il y a de bon et de beau dans ce qui fait ce pays.
La République, on le sait bien, a trop souvent le tort d’oublier tout ce que la France doit à l’Eglise catholique. Mais cela ne donne pas le droit à l’Eglise d’oublier ses devoirs envers sa « fille aînée ».
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