Nous pouvons recouvrer notre souveraineté migratoire sans dénoncer les traités européens. C’est ce que pensent les Républicains qui proposent deux lois pour instaurer des quotas d’immigrés et durcir la lutte contre les clandestins. Pour l’élu des Yvelines, ce qui risque de faire défaut, c’est le courage politique au sommet de l’État.
Causeur. Les propositions de LR en matière d’immigration relèvent-elles de la seule com’ ou sont-elles utiles ?
Patrick Stefanini. Ces propositions ne sont pas récentes. La prise de conscience de la nécessité d’agir est bien plus ancienne que cette annonce. D’ailleurs, quasiment toutes les mesures annoncées étaient déjà présentes dans le programme de Valérie Pécresse. Elles sont très concrètes, car elles s’appuient sur une analyse précise des raisons de notre impuissance en matière de maîtrise de l’immigration et proposent des réponses juridiques efficaces pour y remédier.
On observe par exemple que des traités européens, soit de manière directe, soit par l’interprétation qui en est faite par les cours de justice (Cour de justice de l’Union européenne ou Cour européenne des droits de l’homme) peuvent faire échec à l’application de la législation française. C’est le cas notamment au sujet du regroupement familial. Au niveau français comme européen, les juridictions confrontées à la question de l’immigration ont le plus souvent interprété des dispositions très générales dans un sens unilatéral, favorable à la primauté des intérêts particuliers des étrangers sur l’intérêt collectif de la Nation. Ces interprétations se fondent notamment sur le paragraphe 10 du préambule de la Constitution de 1946 – « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » – et sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». La justice a souvent fait échec à des expulsions en s’appuyant sur ces textes. Ces formules, vagues et générales, n’ont pas été rédigées au sujet de l’immigration, mais elles sont aujourd’hui interprétées comme une sorte de droit au regroupement familial.
Quand le législateur fait voter des lois plus strictes pour limiter la possibilité pour une personne étrangère d’invoquer ses liens familiaux (pour obtenir un titre de séjour ou échapper à une reconduite à la frontière, par exemple), l’intéressé saisit le juge administratif en invoquant l’article 8 de la Convention et le juge administratif lui donne raison. C’est donc à juste titre que la proposition des LR a dans le collimateur l’interprétation très généreuse que les jurisprudences françaises et européennes ont donnée de cet article 8. C’est une tentative de déverrouillage.
Et comment peut-on retrouver des marges de manœuvre ?
Une fois qu’une directive européenne a été adoptée, il est quasiment impossible de la remettre en cause. Cela demande un travail titanesque, nécessite de trouver des alliés et, le plus souvent, les modifications n’interviennent qu’à la marge. Emmanuel Macron a réussi grâce à un solide travail diplomatique à faire évoluer, par exemple, la directive dite « Bolkestein » sur les travailleurs détachés mais depuis, il n’a pas réédité cette performance.
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Dans la mesure où la hiérarchie des normes prévoit la primauté du droit européen sur le droit national, il paraît difficile de retrouver des marges de manœuvre en matière d’immigration. Il y a néanmoins un chemin pour protéger les intérêts fondamentaux d’une nation. Il se trouve dans le traité sur l’Union européenne. En effet, au paragraphe 2 de l’article 4, il est écrit : « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale inhérente à leurs structures fondamentales, politiques et constitutionnelles […]. » Cela signifie qu’un État peut adhérer au corpus juridique européen commun, tout en ayant dans sa Constitution des dispositions qui lui sont propres et qui font partie de son identité constitutionnelle. L’Allemagne et l’Italie ont été les premières à revendiquer cette possibilité. En France, le Conseil constitutionnel a forgé le concept d’« identité constitutionnelle de la France ». C’est à ce concept que s’adosse la proposition des LR pour recouvrer des marges de manœuvre face à l’Europe.
L’exemple du Danemark et du durcissement de sa politique en matière d’immigration ont-ils inspiré LR ?
Les Danois ne sont pas dans la même situation que nous. Après avoir refusé une première fois de ratifier le traité de Maastricht, ils ne l’ont finalement ratifié par référendum en 1993 qu’après avoir obtenu une série de dérogations, au droit européen de l’immigration notamment. C’est la procédure de l’« opt-out ». Mais elle ne peut s’appliquer qu’avant la ratification d’un traité. C’est ce que nous aurions dû faire après le succès du non au référendum de 2005. Au lieu de cela, nous avons ratifié le traité de Lisbonne par voie parlementaire en y laissant introduire une déclaration annexe, la déclaration numéro 17, qui proclame la supériorité absolue du droit européen sur le droit national.
Il n’y a pas seulement les traités européens, mais aussi la Convention européenne des droits de l’homme, qui lie les États membres du Conseil de l’Europe.
François Fillon avait envisagé que la France puisse dénoncer la CEDH, puis y réadhérer en formulant des réserves. Juridiquement, c’est possible, politiquement, c’est plus que délicat. Cela serait vu comme une façon de sortir de l’Europe. La proposition des LR est plus subtile. Pour retrouver des marges de manœuvre sans fragiliser la construction européenne et tout en respectant la hiérarchie des normes, elle s’appuie sur la notion d’intérêts fondamentaux de la Nation et le concept d’identité constitutionnelle de la France. Parler de Frexit à propos de la proposition LR est donc politiquement stupide et juridiquement erroné. Le Danemark n’a pas quitté l’Union européenne.
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Le chemin de crête envisagé par les LR est évidemment étroit. Il implique de modifier la Constitution pour y inscrire un principe – celui des quotas, par exemple – qui serait ensuite reconnu comme faisant partie de l’identité constitutionnelle de la France. Une telle révision constitutionnelle aurait d’autant plus de poids par rapport à Bruxelles qu’elle aurait été approuvée par référendum. Cela reste néanmoins une arme de dernier recours, car la Constitution ne se modifie pas à la légère. De toute façon, cette bataille constitutionnelle ne remplace pas le courage politique. Par exemple, on peut modifier le droit du sol par une simple loi, cela ne dépend pas de l’UE. De même, nous pouvons souverainement décider de conditionner l’obtention de droits sociaux à une durée de séjour. On n’a donc pas besoin d’invoquer ici le bouclier imaginé par Messieurs Ciotti, Marleix et Retailleau.
Que faudrait-il inscrire dans la Constitution pour nous donner les moyens de réguler les flux ?
Je ne suis pas sûr que la seule question du regroupement familial puisse être considérée comme relevant des intérêts fondamentaux de la Nation. En revanche, l’instauration de quotas, qui exprimerait la volonté du peuple français de limiter la proportion d’étrangers à un seuil défini, participe à l’évidence des intérêts fondamentaux du pays.
Ce travail de LR sur la maîtrise des flux migratoires peut-il annoncer la fin de l’impuissance politique ?
La fin de l’impuissance de l’État en matière de régulation des flux migratoires est une attente forte des Français. Si LR ne s’empare pas des outils juridiques que je viens de décrire et ne donne pas un contenu concret aux intérêts fondamentaux de la Nation (et donc à l’identité constitutionnelle de la France), susceptible de nous protéger des dérives du droit européen, le parti sera balayé et l’extrême droite continuera à progresser inexorablement. Ce qui est intéressant dans la démarche des LR, c’est qu’elle inscrit la protection de l’identité constitutionnelle de la France dans le respect de nos engagements européens comme de la hiérarchie des normes. Elle exploite les marges de manœuvre prévues par les textes européens pour formuler des propositions applicables, utiles et efficaces. La proposition ne relève pas de la communication, mais bien de l’action. C’est ce qui explique son impact dans le débat public. Pour refuser la révision constitutionnelle proposée par LR et le recours au référendum, il va falloir que les députés Renaissance nous expliquent quelle portée ils donnent au paragraphe 2 de l’article 4 du traité sur l’Union européenne. Refuser la proposition LR serait une double dérobade, juridique et politique. On ne doit jamais avoir peur, comme nous l’a appris le général de Gaulle, de consulter le peuple français.