Alors qu’il n’est pas interdit, toute la démocratie française feint de faire comme si le parti de Jordan Bardella l’était. Un sondage Elabe pour BFMTV indique par ailleurs que 70% des Français interrogés sont satisfaits de la loi immigration votée mardi, alors que l’exécutif invite le conseil constitutionnel à la revoir.
Mon titre est directement inspiré par la « pantalonnade » présidentielle, gouvernementale, parlementaire et démocratique que le vote de la loi sur l’immigration a suscitée pour la plus grande joie de ceux pour lesquels la cause de la politique traditionnelle a été engloutie dans le naufrage de ces derniers mois. Cette insupportable invisibilité concerne le tour de passe-passe qu’Emmanuel Macron a tenté et qui a consisté à tenir pour rien le vote des députés RN à l’Assemblée nationale, comme s’ils n’avaient pas été élus légitimement et que les millions d’électeurs les ayant soutenus étaient indignes, pestiférés.
Absurde stigmatisation éthique
Alors que le 19 décembre, à l’Assemblée nationale, la loi sur l’immigration n’aurait pas été approuvée sans l’aval unanime du groupe RN. Le pouvoir prétendant décompter ces votes qui ne vaudraient pas ceux des autres députés commet, selon Eric Ciotti qui a raison, « un déni de démocratie insupportable ». Mon souci n’est pas de m’indigner face à ce constat et de stigmatiser une loi parce qu’elle aurait été gangrenée par un coup tactique, voire cynique de Marine Le Pen ayant demandé in fine à ses troupes un assentiment parlementaire alors que tout au long, et notamment devant la Commission mixte parlementaire (CMP), le député RN n’avait rien proposé ni validé. Rien de vraiment nouveau du côté de la gauche et de l’extrême gauche qui ont culminé, face à une loi qu’il convenait de démoniser, dans l’opprobre exalté et l’enflure verbale, continuant ce triste processus qui, en dépit de la forte demande des Français, les voyait préférer l’absurde stigmatisation éthique au détriment de la discussion politique critique. Les dispositions qui les plaçaient en apôtres de la morale avaient déjà été adoptées par plusieurs pays européens, d’authentiques démocraties. La priorité nationale qui serait une honte n’était évidemment pas inconnue dans la législation française, qu’on se rapporte au RMI de Michel Rocard ou à notre fonction publique. Les inégalités que la loi décrétait pour les mesures non contributives renvoyaient à des différences de situation et de résidence dont la France avait le droit de tirer des conséquences.
Depuis le vote de cette loi par l’Assemblée nationale (avec une défection substantielle du camp macroniste), des incongruités survenaient qui auraient pu faire rire si le sujet ne concernait le futur de notre pays.
Cacophonie macronienne
Avec d’abord cette volupté frénétique avec laquelle le président de la République, la Première ministre et des ministres, notamment Gérald Darmanin, jouissaient à l’idée des censures tellement désirées du Conseil constitutionnel. On n’avait jamais connu un tel enthousiasme pour le possible détricotage d’articles pourtant advenus à la suite d’un processus parlementaire légitime. Puis cette menace de plusieurs ministres faisant part de leur trouble, voire de leur opposition au texte voté grâce au RN, mais en définitive réduite à la cohérence courageuse d’un seul, le ministre de la santé Aurélien Rousseau. Sans négliger l’incroyable cacophonie gouvernementale passant de la communication pathétique d’un Olivier Véran cherchant à trouver « de la gauche » dans la loi et rendant un hommage démagogique et dégoulinant aux étrangers, à la fermeté claire et nette d’un Bruno Le Maire approuvant totalement le texte. Il est évident qu’avec la fragilité extrême du président qui ne pourra plus se représenter en 2027, toutes les déclarations des principaux ministres, partie prenante de la future joute présidentielle, et des candidats probables hors gouvernement, doivent s’analyser dans le cadre d’un rapport de force destiné à pousser ou à freiner les uns ou les autres. Enfin le président a dialogué durant deux heures dans la soirée du 20 décembre à C à vous (France 5). Ce choix surprenant lui a permis de déployer son talent singulier qui est de savoir être le meilleur dans les exercices médiatiques où on lui offre la possibilité d’argumenter longuement, sans véritable contradiction, sur une multitude de thèmes à l’importance inégale. Cinglant et juste sur Gérard Depardieu, fustigeant une ministre de la Culture trop partisane et précipitée pour susciter le respect, il a tenté de tenir un équilibre délicat entre une démonstration de l’excellence de la loi – et pour une fois il s’est appuyé sur le sentiment largement majoritaire des Français ! – et les minuscules réserves qu’elle suscitait chez lui. Avec une focalisation obsessionnelle sur le RN qui fait un étrange contrepoint par rapport à l’invisibilité parlementaire artificiellement instaurée sur ce même parti. Au point d’ailleurs qu’Emmanuel Macron, ne reculant devant aucun paradoxe, a osé soutenir que la loi qui venait d’être votée était « une défaite du RN » alors qu’à l’évidence sa tonalité générale, bien au-delà du coup tactique de Marine Le Pen, n’aurait pas été validée par elle et son groupe si d’une certaine manière elle n’impliquait pas « une victoire idéologique ». En effet, « le grand déni », comme analyse Libération.
Et cette contradiction fondamentale. La France aurait tous les moyens de se défendre et le pouvoir ne serait pas « dépassé ». Alors pourquoi juger « nécessaire » cette loi ? Le compte n’y était donc pas !
Pour conclure, il me semble que l’une des explications essentielles de ce climat républicain si dégradé depuis la réélection du président est la difficulté qu’éprouvent ce dernier, son gouvernement, les Républicains, la gauche et l’extrême gauche à traiter le RN, aussi critique qu’on veuille être à son encontre, comme il devrait l’être dans le champ de la politique française. Alors qu’il n’est pas interdit, feindre de faire comme s’il l’était. Alors que des millions d’électeurs lui ont apporté leurs suffrages, les prendre de haut, voire les mépriser. Qu’on continue comme cela, et chaque jour fera monter le RN qui est devenu le réceptacle des colères et des désespoirs populaires.