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Euthanasie: la France de Macron en passe d’être le pays le plus permissif du monde?

Même à gauche et dans la majorité, l’évolution du texte choque certains députés


Euthanasie: la France de Macron en passe d’être le pays le plus permissif du monde?
Gabriel Attal et Catherine Vautrin, 13 janvier 2024 © JC Tardivon/SIPA

L’examen du texte sur la fin de vie se déroule en ce moment à l’Assemblée nationale. Mais le militantisme de députés de gauche et de la majorité, très engagés sur cette question, a conduit à faire sauter nombre de garde-fous du texte. Analyse.


Le projet de loi sur la « fin de vie », en discussion jusqu’au 7 juin, est devenu une des lois les plus permissives au monde, alors même que des dérives importantes de ce droit à l’euthanasie sont dénoncées et que les problèmes rencontrés sont réels : l’exemple canadien a montré que l’euthanasie avait tendance à se substituer aux soins palliatifs. Plus le recours à celle-ci se développe, plus la qualité des soins de fin de vie se dégrade. Mais ces réalités-là sont niées au nom du libre choix de sa fin. Les députés ont ainsi supprimé le fait que le pronostic vital soit engagé à court ou moyen terme, ont fait sauter le verrou du discernement du patient, ont créé un délit d’entrave au suicide assisté.

La protection du patient, de ses proches ou du soignant, a été écartée d’un revers de main, comme si pouvoir tuer ou se tuer était devenu la dernière liberté à conquérir. Alors l’euthanasie, dernière frontière à conquérir ou vrai recul humaniste à dérive eugéniste ? Dernier acte de volonté ou dérive liée au fait que les sociétés pensent que la vie d’un handicapé ou d’un malade ne vaut rien et pèse sur les ressources de la collectivité ? Un chiffre à méditer : au Canada, ils sont désormais 27% à penser que les gens devraient avoir accès à l’euthanasie pour des raisons de pauvreté et 50% pour le handicap. Et les chiffres sont encore plus élevés chez les jeunes. Bienvenue dans le monde réel.

Ce devait être la loi consensuelle de ce quinquennat. Celle qui devait illustrer le fait que le « et de droite et de gauche » qui fit le succès d’Emmanuel Macron en 2017 n’était pas qu’une arnaque fumeuse bien vendue mais correspondait à quelque chose de concret. Elle devait montrer que la nation s’exprime au-delà des clivages politiques quand on touche à l’essentiel. La loi sur la fin de vie était vue comme l’occasion de trier le bon grain progressiste de l’ivraie identitaire et traditionnaliste. Hélas ce n’est pas ce qui est en train de se passer. Et c’était prévisible.

Une question trop sensible pour être traitée avec dogmatisme

La question de la fin de vie, donc de la mort, du fait de la donner ou de la recevoir, est une question bien trop sensible, intime et délicate pour être traitée avec dogmatisme et idéologie. Tout critiquable qu’il ait pu être, l’ancien monde politique connaissait l’existence de limites anthropologiques et ne les approchait que la main tremblante. Mais les amateurs du camp présidentiel et les exaltés irresponsables d’une certaine gauche, faute d’avoir encore de grandes utopies et même de petites, se sont rués sur « l’aide à mourir » comme si c’était la dernière frontière du progrès. Ils en ont fait l’occasion d’exhiber leur vertu et leur absence de tabous et ont refusé d’entendre toutes les sonnettes d’alarme tirées par le corps médical, le comité d’éthique, les représentants des cultes ou tout simplement les avertissements des humanistes.

Comme si, incapables d’envisager une possibilité d’amélioration individuelle et collective de la condition humaine, une partie des politiques avait décidé de faire du suicide assisté la dernière frontière de démonstration de leur puissance. D’où l’étonnante passion de nombre de députés de la majorité et de la gauche pour que tuer un patient ou l’aider à se suicider soit vu comme la liberté ultime. Ils ignorent ainsi délibérément ce que les acteurs des soins palliatifs savent : rares sont les malades qui veulent vraiment mourir ; ce qu’ils souhaitent c’est ne pas mourir dans la souffrance, la détresse, l’abandon. Ils ne désirent pas qu’on les tue, mais qu’on ne les abandonne pas et qu’on soulage la douleur. Les situations nécessitant un suicide assisté, comme la maladie de Charcot, sont rares. La restrictivité des critères était donc la solution parfaitement adaptée pour que le modèle de fin de vie reste humaniste, donc fondé sur l’accompagnement et non l’élimination.

Soins palliatifs coûteux versus euthanasie économique

Souvent, les soins palliatifs apportent une réponse adaptée et la prise en charge des patients élimine en grande partie les demandes d’aide à mourir. Mais ceux-ci sont coûteux, réclament beaucoup de personnels et n’existent pas dans nombre de départements. Ils sont mêmes attaqués au sein de l’hôpital, où l’on se sert souvent dans leur personnel pour combler les manques et boucher les trous. Au quotidien, le modèle commence à être détricoté au nom des nécessités des autres services et à moins de chefs de service puissants, l’idéal d’accompagnement qu’il incarne est mis à mal par les obsessions budgétaires. L’euthanasie, elle, est très économique et épargne l’investissement dans des soins et des médicaments très lourds financièrement. Comme ce qui coûte le plus cher à la Sécurité sociale, ce sont les dernières années de la vie, ouvrir largement l’aide à mourir est une source d’économie. Surtout si l’aide à mourir fait de l’euthanasie un droit, alors que l’accès garanti aux soins palliatifs n’en est pas un. La loi sur la fin de vie mettrait ainsi symboliquement le fait de donner la mort au-dessus des soins indispensables pour prolonger la vie et accompagner la fin. Les soins palliatifs ne sont pas en effet un droit et même pas une possibilité ouverte à tous.

L’aide à mourir, une démarche purement humaniste ?

« Comment osez-vous parler ainsi ! », voilà ce que me répondraient les défenseurs de la loi sur l’aide à mourir, choqués de voir caricaturer en démarche cynique ce qu’ils voient comme une frontière humaniste et le respect de la volonté de la personne. Je les renvoie à la statistique canadienne qui montre à quel point cette façon purement utilitariste de considérer l’existence amène à porter un jugement violent sur certaines vies qui ne vaudraient pas la peine d’être vécues. Autre point très gênant, le flou concernant les conditions de l’expression de la volonté du patient ou la référence à des directives anticipées. Ici on peut craindre les abus de faiblesse, la famille n’étant pas toujours exempte de violence et de toxicité, des troubles cognitifs peuvent par ailleurs amener à des décisions non éclairées… Et surtout, pour qui a accompagné des personnes en fin de vie, c’est fou la différence entre le discours tenu vis-à-vis de la mort et de la maladie par une personne valide et par la même personne quand elle y est confrontée. Enfin c’est aussi oublier l’épuisement et les perturbations que provoque cet accompagnement pour l’aidant, les réactions ambivalentes que cela implique, la déstabilisation que cela provoque. Il faut pouvoir dire cette envie de fuir que l’on a parfois quand il faut pousser la porte de celui ou celle qui part à petit feu. Il faut pouvoir dire cet investissement dans le matériel et le soin parce que parler devient compliqué, plein de non-dits ou trop plein d’attentes. Bref ne pas prévoir de contrôle et de garde-fous préalables alors que l’on parle de donner la mort à quelqu’un est profondément choquant et irresponsable.

Pourtant je suis sensible à l’idée que quelqu’un dont le pronostic vital est engagé à court et moyen terme et dont les souffrances sont intolérables puisse choisir d’en finir. Mais ces situations doivent être très encadrées. La priorité est avant tout le développement des soins palliatifs et le respect de leur modèle d’accompagnement. Est-on vraiment un humaniste quand on refuse de regarder en face ce que le fait de supprimer certains garde-fous a produit au Canada ou en Belgique ? Pays où la loi est malgré tout plus restrictive que le texte proposé au vote du Parlement français.  

Des députés de la majorité et de la gauche choqués par l’évolution du texte de loi

C’est en ce sens que se sont exprimés des députés qu’on ne peut soupçonner d’être d’abominables réactionnaires ou des adorateurs de soutanes. C’est le cas d’Astrid Panosyan, députée Renaissance qui explique dans un entretien au Figaro qu’ «il est rare que des malades disent « je veux mourir ». La plupart d’entre eux envoient le message : « je ne veux pas vivre ainsi » ». La députée sait de quoi elle parle car elle a été confrontée à cette situation en accompagnant son mari, Laurent Bouvet, intellectuel atteint par la maladie de Charcot. Dans ce cas particulier la sédation profonde et continue jusqu’au décès, prévue par la loi Leonetti n’était pas possible. Mais celle-ci ne fait pas de son ressenti ni de son expérience, un dogme inattaquable. Outre le fait qu’elle rappelle qu’ « une expérience personnelle ne vaut pas vérité universelle », elle explique aussi qu’il y a une tension entre le respect de la liberté de vouloir mettre fin à ses douleurs et celui de la fraternité qui consiste à ne jamais laisser une personne se sentir de trop. Dans le cas de la maladie de Charcot, où le malade se retrouve enfermé dans son propre corps, fauteuils adaptés et ordinateurs à commande oculaire sont extrêmement chers par exemple. Or ils sont déterminants pour permettre le lien, la communication et donc une vie qui ait du sens, qui permet la communication avec l’autre. Cela explique pourquoi les difficultés financières sont invoquées pour justifier la demande d’aide à mourir, l’Oregon est sur ce point un exemple parlant1.

Pierre Dharréville, député communiste, est lui aussi très inquiet des changements que la commission a apportés au texte d’origine. Dans son intervention à l’Assemblée nationale, cet homme de gauche explique le vertige qui l’a saisi alors que selon lui une barrière éthique a été renversée, celle qui consiste à confondre « soulager les souffrances » et « abréger la vie ». Il rappelle aussi que souvent la demande de mort est un appel à l’aide. Pour lui cette loi pose insidieusement la question « ne crois-tu pas qu’il est temps de partir ? » et il met le doigt sur un problème que nient ou minimisent les promoteurs de la loi fin de vie remaniée : « Demain, pour combien d’entre nous sera-t-il plus rapide, nettement plus rapide, d’avoir accès à un produit létal qu’à un centre antidouleurs ? Les soins palliatifs et l’assistance au suicide ne sont pas complémentaires mais contradictoires. » Et il évoque la nouvelle norme sociale que porte le texte, celle qui consiste à estimer que certaines vies n’en valent pas la peine.

On devrait plus écouter ces avertissements. Nous allons vers un monde où nos protections sociales vont diminuer. D’ores et déjà, nous sommes confrontés à des pénuries de médicaments, à des déserts médicaux, à la grande misère des hôpitaux, à une baisse des chances pour les patients, à des baisses de remboursements, à l’absence de soins palliatifs dans 21 départements… Avec l’aide à mourir, on crée une réponse économique à la question de la fin de vie que l’on peut emballer dans un discours de compassion, de respect de la liberté du patient et de reconnaissance de la volonté individuelle. L’irresponsabilité et le cynisme érigés en respect de l’autre. Il est probable que bien des partisans de la nouvelle mouture du projet de loi, telle qu’elle est sortie de la commission et de l’examen à l’Assemblée nationale, ne sont pas conscients des implications de leur vote. Mais est-ce une excuse ? Il se trouve que ceux qui occupent ce type de poste ne sont jamais comptables de leurs erreurs, ne les reconnaissent jamais et ne songent jamais à les réparer.

Comment les excuser, alors qu’ils ont sous leurs yeux le résultat des dérives constatées en Belgique comme au Canada et qu’ils n’en tirent aucune conséquence. Quant à cette gauche, qui ne se bat plus pour améliorer les conditions de vie et de travail des Français, la voir présenter la mort comme un droit à conquérir est surréaliste et navrant.

Catherine Vautrin, ministre de la Santé a d’ailleurs déclaré, suite à la Commission spéciale chargée de l’examen de la loi fin de vie : « En moins de cinq jours, ils ont davantage élargi l’accès à la mort provoquée que ne l’ont fait les deux pays les plus permissifs sur l’aide à mourir, la Belgique en 22 ans et le Canada en huit ans ». L’examen en séance n’a pas arrangé les choses. Or, on ne touche pas impunément à certaines frontières sans que cela n’atteigne notre rapport à l’humanité et à notre propre humanité. La loi sur la fin de vie, telle qu’elle a été retouchée par les députés, est en l’état très inquiétante et prépare une société dans laquelle toutes les dérives sont possibles. Si le Sénat peut y apporter un peu de sagesse, l’effort sera reconnu, mais c’est l’Assemblée qui a le dernier mot en la matière et dans l’ambiance de monôme permanent que sont devenues les séances, on ne peut guère attendre de miracle.

Le choix fait par nos députés sur un sujet aussi complexe et intime est d’autant plus inquiétant qu’une loi bien plus stricte et encadrée, portant sur des situations précises et mettant en place des conditions restreintes, aurait été massivement soutenue. Hélas trop de nos députés n’ont pas peur d’être des amateurs, au point d’en devenir des démolisseurs.

  1. https://www.fondapol.org/etude/suicide-assiste-euthanasie-le-choix-de-la-rupture-et-lillusion-dun-progres/
    https://www.lopinion.fr/politique/a-letranger-les-euthanasies-legales-sont-en-hausse-constante ↩︎




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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