Restaurer la nature ne devrait pas signer l’arrêt de mort de toute production économique et rendre le vieux continent dépendant des autres parties du globe, avance cette analyse.
Le 12 juillet, le Parlement européen a adopté la loi de restauration de la nature (336 voix pour et 300 contre). Le texte donne des objectifs contraignants de restauration de terres et d’espaces marins abîmés par la pollution ou l’exploitation intensive. L’opposition du PPE, le parti populaire européen, n’a rien pu y faire.
Sans y prendre garde, les Européens, alors qu’ils se plaignent déjà du fait que l’Europe mesure la taille des concombres, vont se retrouver avec un nouveau texte coercitif qui se présente au nom de la sauvegarde de la biodiversité. Une fois de plus, la science se retrouve entre les mains d’apprentis sorciers qui veulent nous imposer une biodiversitocratie.
Le millefeuille législatif de la biodiversité
Présentée pour la première fois en juin 2022, la loi sur la restauration de la nature s’inscrit dans le cadre du Pacte vert (Green deal) voulu par Ursula von Der Leyen. Son objectif est de restaurer la terre et les espaces marins détruits par l’activité de l’homme. Les auteurs estiment que près de 80% de l’habitat naturel européen est en mauvais état. Le texte voté vise à geler 20% des zones terrestres et maritimes d’ici 2030 (le texte initial réclamait 30%) et que tous les écosystèmes soient restaurés d’ici 2050. Un point a été fortement débattu : la diminution des surfaces agricoles, ce d’autant plus qu’il est déjà prévu une mise en jachère de 4% des terres dans le cadre du plan de la Ferme à la fourchette (F2F).
Ce nouveau texte apparaît comme une couche supplémentaire sur le mille-feuille de la biodiversité qui était déjà bien garni au sein de l’UE puisque le Conseil de l’Europe dispose de la Convention de Berne, de la Directive Oiseaux et de la Directive Habitats-Faune-Flore déclinées au travers du réseau Natura 2000 qui rassemble les sites naturels ou semi-naturels de l’UE ayant une grande valeur patrimoniale par la faune et la flore exceptionnelles qu’ils contiennent. Au niveau national, enfin, on trouve deux instances qui sont l’Office français de la biodiversité et la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et deux lois : celle relative à la protection de la nature de 1976 qui garantit les aires protégées et celle pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016.
Au regard de cet empilement législatif on s’interroge sur l’utilité de la nouvelle loi et sur sa finalité : s’agit-il de protéger la nature ou de freiner le développement de la civilisation européenne ?
La biodiversité : une science politique
Comme je le montre dans Greta a ressuscité Einstein, la politique récupère la science afin de l’instrumentaliser pour accéder au pouvoir. C’est le cas pour le climat, par exemple, où l’on voit progressivement une climatocratie se mettre en place ; mais c’est également le cas pour la biodiversité… où comme on le voit des politiques invoquent des réalités scientifiques pour justifier de l’adoption de nouvelles lois contraignantes. Qu’en est-il de la scientificité de ce concept – une contraction entre « diversité » et « biologique » – qui est familier à tous aujourd’hui ? Tandis que certains biologistes essayent de rattacher la biodiversité à la théorie darwinienne de l’évolution, les pères fondateurs ne font aucun mystère du fait qu’il s’agit d’une science engagée. Ainsi pour Robert Barbault, un biologiste célèbre, on a inventé ce mot « pour l’utiliser comme un drapeau, pour défendre une cause, sauvegarder la biodiversité c’était de la science engagée ». Aussi il n’est pas difficile de trouver cinq sophismes qui démontrent qu’il s’agit davantage de politique : le premier réside dans l’affirmation d’un consensus sur le fait que l’humanité soit à l’origine de la sixième extinction et qu’aucune remise en cause de cette thèse ne soit tolérée (alors que toute hypothèse scientifique est falsifiable)… Un écologue tel que Christian Lévêque pose de nombreuses questions méthodologiques sur le comptage des espèces et dénonce le catastrophisme de cette notion de sixième extinction inventée par la journaliste Elizabeth Kolbert… Ce qui lui vaut d’être traité de « biodiversité-sceptique ». Un deuxième sophisme repose sur la moralisation du débat : ainsi l’explication qui est systématiquement évoquée par les biodiversitocrates est celle du « profit »… On trouve aussi souvent que l’homme détruit la nature parce qu’il est mauvais ; le troisième argument relève de la démesure (la science cherche à mesurer son objet) : les militants de la biodiversité empilent les chiffres catastrophistes qui d’ailleurs parfois se contredisent, pour dire qu’on n’en fait jamais assez pour la biodiversité et qu’il faut en faire plus (sans jamais vraiment dire ce qu’il faut faire) ; le quatrième consiste à biaiser l’expérience en nous faisant croire systématiquement que la nature est bonne, alors qu’une partie des espèces éliminées peuvent être des espèces nuisibles (par exemple les crickets pèlerins qui vont dévaster les cultures en Afrique) ; enfin un dernier type de sophisme est le réductionnisme qui consiste à vouloir absolument que seule l’humanité soit responsable de l’érosion de la biodiversité alors que d’autres causes naturelles peuvent intervenir comme l’ont montré les cinq premières extinctions passées.
S’il ne fait absolument aucun doute que des espèces disparaissent (un phénomène davantage observable sur les milieux insulaires) et que l’homme joue un rôle dans cette extinction, voire, dans son accélération – comme on peut l’observer, par exemple, dans le phénomène de la surpêche – doit-on pour autant, prendre des mesures pour limiter, voire, empêcher toute activité humaine ? Doit-on abandonner les solutions qui relèvent de l’ingéniosité humaine ?
La science des législateurs contre la science des ingénieurs
Au travers du millefeuille législatif que certains ont voulu ériger pour protéger la biodiversité, on a bien vu que c’était une science engagée qui était à l’œuvre, au travers de la récupération politique des sciences de l’environnement. Il s’agit de s’appuyer sur les évaluations des ONG et des instances qui comptent les espèces et étudient leurs relations avec l’environnement pour légiférer et empêcher toute activité humaine qui pourrait contrevenir à un équilibre supposé. Or dans cette démarche on se doit de s’interroger sur les limites de la loi : d’un point de vue théorique, on ne voit aucune limite à ce que les biodiversitocrates de l’UE empêchent un jour totalement les agriculteurs européens de cultiver leurs terres, puisque, selon eux, la moindre culture se trouve à l’origine d’un chamboulement d’un équilibre (supposé)… et où s’arrêter dans ce travail de « restauration » sachant que l’anthropisation de l’environnement a commencé avec les premiers agriculteurs, via la domestication ou la sélection, par exemple ? Quel équilibre perdu, le biodiversitocrate bruxellois nous promet-il de retrouver avec cette nouvelle loi ?
Ensuite, pourquoi faire confiance systématiquement aux législateurs, alors qu’on pourrait faire confiance aux agriculteurs qui sont bien conscients des problèmes liés à l’impact que peut avoir leur activité et adoptent spontanément des solutions pour ménager la biodiversité et bien gérer leurs cultures. À cet égard, il est intéressant de se plonger dans un débat dont l’issue va à l’encontre de l’opinion reçue et de ce que défend la commission : ce n’est pas le bio qui est le plus favorable à la biodiversité comme l’a montré Philippe Stoop dans le débat Land sharing vs Land sparing que l’on peut résumer brièvement de la sorte : une culture intensive permet de réserver davantage d’espaces pour la biodiversité en concentrant la production sur une moindre étendue de terrain.
Enfin, si l’objectif assumé de la loi pour la restauration de la nature est la décroissance et la désagricolisation de nos campagnes (ainsi que la désindustrialisation), nos biodiversitocrates doivent être conscients qu’ils ne feront qu’exporter l’érosion de la biodiversité qu’ils dénoncent vers d’autres régions du globe (dont nous deviendrons dépendants) qui produiront des aliments que nous importerons… Tout du moins si nous sommes encore suffisamment riches pour les importer ; car si ces mesures pour initier une décroissance sont efficaces, rien ne dit que nous aurons les moyens de faire venir notre alimentation de l’autre bout du monde (sans parler de l’empreinte carbone).
Reste une dernière option, sans doute celle souhaitée par ceux qui ont voté cette loi : que notre société redevienne frugale. Mais alors comment fera-t-elle pour payer les salaires des biodiversitocrates chargés de surveiller l’application des lois qu’ils ont fait voter et empêcher les Européens qui meurent de faim de braconner pour sustenter leurs besoins ?
Greta a ressuscité Einstein: La science entre les mains d'apprentis dictateurs
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