Accueil Politique Le projet de loi “confortant les principes républicains” ne tourne-t-il pas autour du pot?

Le projet de loi “confortant les principes républicains” ne tourne-t-il pas autour du pot?


Le projet de loi “confortant les principes républicains” ne tourne-t-il pas autour du pot?
Gérald Darmanin et Emmanuel Macron à Bobigny en Seine-Saint-Denis, le 20 octobre 2020. Au lendemain du meurtre de Samuel Paty, une cinquantaine d'associations liées à l'islamisme sont dans le viseur des autorités © Ludovic Marin/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22504545_000015.

 


Le texte définitif va être présenté le 9 décembre. Les mesures destinées à contrer le «séparatisme» décrit par Emmanuel Macron sont connues. Mais les autorités françaises devraient plutôt exiger des musulmans une grande réforme de leur religion. Analyse


Fragilisé par des ambiguïtés dangereuses et une mauvaise compréhension des enjeux. Dans la bonne direction… mais pas assez loin ! Tel est le « projet de loi confortant les principes républicains » que le gouvernement présentera au Parlement le 9 décembre.

Ce texte va incontestablement dans le bon sens, le lecteur peut en prendre connaissance ici, Dalloz ayant le mérite d’en proposer également une synthèse de qualité. Nombre de ses dispositions sont plus que bienvenues, et s’il est inquiétant de voir qu’il a fallu si longtemps pour se décider à les mettre en place, il serait injuste de le reprocher uniquement au gouvernement actuel.

Des imprécisions et des ambiguïtés

Ainsi de l’article 17 visant à obliger les officiers d’état civil à saisir la justice en cas de doute sur le consentement réel des futurs mariés mérite d’être salué et soutenu sans réserve. On pourrait multiplier les exemples, comme le chapitre 1er qui notamment étend aux organismes chargés de l’exécution de missions de services public certaines règles du service public, ou l’article 8 qui permet sous certaines conditions (d’ailleurs pertinentes) de rendre les associations responsables des agissements de leurs membres. Pour autant, et malheureusement, ce projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux, et il est grevé d’imprécisions et d’ambiguïtés.

Prenons d’abord le « contrat d’engagement républicain » par lequel devra s’engager toute association demandant des subventions (article 6). Son contenu sera déterminé par décret en Conseil d’État, impossible donc de savoir aujourd’hui ce qu’il contiendra, en particulier concernant les sujets ô combien sensibles de la liberté de conscience – autrement dit du droit à l’apostasie – et de la liberté d’expression – donc du droit au “blasphème” et à la critique des religions, l’un n’allant pas sans l’autre vu la susceptibilité exacerbée de certains.

Quand on sait qu’Emmanuel Macron semble se tourner vers le CFCM pour proposer une « charte des imams », il y a de quoi craindre le pire : le CFCM, c’est cette institution dont le délégué général Abdallah Zekri trouve que Mila l’a « bien cherché », et qui à sa création a explicitement refusé de reconnaître le droit à l’apostasie, sous l’influence notamment de ce qui s’appelait alors l’UOIF, c’est-à-dire les Frères Musulmans. Alors certes, là comme dans d’autres passages du texte on parle d’adhésion au « principe de fraternité » et de « rejet de la haine », mais la définition concrète de ces notions est des plus floues – que l’on se souvienne des débats autour de la loi Avia – et la laisser à l’appréciation des tribunaux est pour le moins imprudent, vu leur manque criant de détermination à protéger les Français.

Théorie et pratique

Le code de la sécurité intérieure doit se voir ajouter entre autres un article L212-1-1 permettant d’imputer à « une association ou à un groupement de fait » les agissements commis « par un ou plusieurs membres et directement liés aux activités » dès lors que leurs dirigeants « bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient. » Sachant que tout prédicateur musulman a le moyen de prendre publiquement ses distances vis-à-vis des versets coraniques et des hadiths qui inspirent l’islamisme et le jihadisme, peut-on considérer que ne pas le faire est justement « s’abstenir de prendre les mesures nécessaires » pour faire cesser la pression politique islamiste et les crimes terroristes ? La loi va-t-elle donc permettre de suspendre les activités de toute association musulmane n’encourageant pas la critique implacable des textes sacrés inspirant l’islamisme et le jihadisme ? En théorie, ce serait possible. En pratique, j’en doute fort.

C’est pourtant le cœur du sujet : étant donné que le Coran contient des versets incontestablement haineux et appelant à l’instauration d’un totalitarisme théocratique, toute apologie du Coran qui ne s’accompagne pas d’un rejet très clair de ces versets devient, de fait, une apologie du texte dans son ensemble et donc une apologie de ces incitations à la haine et à la théocratie. Or, l’islam n’est-il pas par nature et « par défaut » (c’est-à-dire sans une ferme volonté de réforme) une apologie du Coran ? « L’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes du mal sont dans le texte » disait Abdelwahab Meddeb, et on connaît la Lettre ouverte au monde musulman d’Abdennour Bidar, trop peu entendue par ses coreligionnaires. Il faut lire et pendre en compte l’excellente analyse de l’islamologue Razika Adnani, de la Fondation de l’Islam de France, qui pose avec lucidité la question de la crédibilité des imams « républicains » aux yeux des fidèles, surtout des plus jeunes.

Car la situation de la jeunesse est un sujet majeur. Le projet de loi consacre son chapitre 4 à l’éducation, ce qui est en soi une excellente chose. Malheureusement, il semble totalement sous-estimer l’ampleur des maux qui rongent à la fois la jeunesse musulmane de France et l’Éducation Nationale – alors que le rapport Obin date tout de même de 2004 !

L’islamisme n’est pas un phénomène marginal en France

Les circonstances entourant la mort de Samuel Paty en ont offert une tragique illustration : entre « pas de vagues », lâchetés, compromissions sous couvert de « tolérance », et complaisance idéologique envers l’islamisme (notamment dans le cadre universitaire), l’Éducation Nationale en tant qu’institution et le corps enseignant en général sont au moins autant une partie du problème que de la solution. Ce n’est pas seulement à des professeurs admirables de la trempe de Fatiha Boudjahlat que l’État confie nos enfants, hélas, mais aussi à ceux qui ont abandonné Samuel Paty à son sort, voire lui ont reproché avant sa mort de « stigmatiser ». Voilà un problème bien plus grave que la scolarisation à domicile, quoi que l’on pense de cette dernière.

N’oublions pas que l’islamisme est désormais un phénomène de masse, constat terrible mais nécessaire. Ainsi, ce sont 74% des français musulmans de moins de 25 ans qui placent leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République – ce qui ne serait pas forcément un problème si ces convictions religieuses n’étaient pas très souvent une forme d’islam dont 45 % des français musulmans de moins de 25 ans affirment eux-mêmes qu’elle est « incompatible avec les valeurs de la société française ». La précision des chiffres se discute naturellement, mais tous les sondages vont dans le même sens, tout comme les témoignages des acteurs de terrain, sans oublier un fait révélateur entre tous : que Mila ait reçu plus de 50 000 menaces de viol et de mort suffirait à prouver que l’islamisme n’a rien de marginal.


Reste un point, bien au-delà de toute analyse juridique ou technique du projet de loi : son nom même illustre le fait que ses rédacteurs méconnaissent les enjeux réels – tout comme le terme initial de « séparatisme » méconnaissait le fait que l’ambition islamiste n’est pas de se créer des enclaves isolées, mais de s’appuyer sur ces enclaves pour étendre partout sa domination impérialiste. « Projet de loi confortant les principes républicains » : si noble, si précieux que soit l’idéal républicain, ce qui se joue est beaucoup plus important, beaucoup plus profond.

C’est la France, ce qui fait que la France est la France. Infiniment plus qu’un territoire et un mode de gouvernement, chose que ne parviennent pas à comprendre ceux pour qui un pays moderne ne devrait être qu’une hybridation de start-up et de hub aéroportuaire.

Plus même que la France : c’est toute notre civilisation. Quand une antenne du planning familial en arrive à tolérer l’excision, quand un député de la République en arrive à banaliser la polygamie, ce n’est pas seulement un problème politique, c’est un problème de civilisation. Aurélien Taché est ridicule aux yeux de son propre camp, mais il est révélateur de la vraie nature du gauchisme « woke ». Incapable de voir la différence entre libertinage et polygamie, entre avoir des maîtresses (ou des amants) et avoir un harem, il ouvre la porte à une régression de plusieurs millénaires, remise en cause de fondamentaux anthropologiques au regard desquels la révolution de 1789 et les hésitations entre la république et d’autres modes de gouvernement ne sont que des épiphénomènes.

Conforter les principes républicains est une excellente chose, mais ne saurait suffire. Réaffirmons la France et son histoire, réaffirmons le triple héritage de l’Antiquité, de la chrétienté et des Lumières, réaffirmons que ceux qui refusent de s’y enraciner n’ont pas de place à nos côtés, et n’ayons pas peur d’en tirer toutes les conséquences.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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