Accueil Politique Contre les « casseurs », la fin justifie-t-elle les moyens?

Contre les « casseurs », la fin justifie-t-elle les moyens?

Interdiction de manifester et fichages abusifs sont à craindre


Contre les « casseurs », la fin justifie-t-elle les moyens?
La sainte trinité (de gauche à droite): Nicole Belloubet, Emmanuel Macron, Christophe Castaner. ©VILLARD/SIPA / 00822667_000025

L’interdiction de manifester envisagée par la proposition de loi anti-casseurs et l’information du Canard enchaîné sur de potentiels fichages abusifs de manifestants ordonnés par le parquet, interrogent sur les libertés que s’octroie la Macronie.


Pour tenter de rester au pouvoir, le haut-fonctionnaire Emmanuel Macron et la Macronie disposent désormais de deux outils.

Tout d’abord, considérant comme incontournable l’exécution de la feuille de route qui leur a été fixée, c’est à dire la destruction la plus rapide possible de l’État-providence français et l’arrimage définitif à l’ordo-libéralisme allemand, les macronistes considèrent que la fin justifie les moyens. La violence, sans précédent depuis la guerre d’Algérie, des répressions policières et judiciaires contre le mouvement des gilets jaunes en est la traduction. Le bilan des violences physiques est catastrophique, celui des violences judiciaires, même si on en parle peu, ne l’est pas moins.

Le deuxième outil est la servilité apparente de la justice. Depuis l’élection pour le moins surprenante qui a porté Emmanuel Macron à la présidence, la justice pénale s’est complètement déconsidérée, accordant à la Macronie une impunité choquante et obéissant visiblement aux exigences des places Vendôme et Beauvau. Les milliers d’arrestations dont certaines préventives (!), les poursuites souvent absurdes, les procédures violées, les incriminations fantaisistes et la dureté des peines, semblent montrer que parquets et juges du siège confondus exécutent avec zèle les ordres de l’exécutif. Et naturellement, les organisations syndicales de magistrats sont muettes, ainsi d’ailleurs que les grandes âmes, professeurs de morale, universitaires, signeurs de pétition, docteurs de la gauche culturelle, tous sont atteints d’une sévère extinction de voix.

Fiché « même lorsque les faits ne sont pas constitués »

Deux petits exemples très récents témoignent de l’ampleur du mal. Tout d’abord l’information du Canard enchaîné sur les instructions données par la hiérarchie du parquet de Paris à propos des arrestations de manifestants. Il y a d’abord la consigne pour les personnes arrêtées de « maintenir l’inscription au TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires) même lorsque les faits ne sont pas constitués ». Pardon ? Mais cette inscription en dehors de toute justification dans un fichier de police est strictement illégale. Et c’est le parquet de Paris qui l’ordonne ? Manifestement, il n’est pas gêné et insiste pour que ce fichage soit effectué même si les faits sont « ténus ou si une irrégularité de procédure a été constatée ». Ben voyons ! Parce que ça peut toujours servir ?

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Toujours soucieux du respect de la loi, le parquet de Paris poursuit en demandant de « ne lever les gardes à vue que le samedi soir ou le dimanche matin afin que les intéressés ne grossissent à nouveau les rangs des fauteurs de troubles ». Interrogé, le porte-parole de ce même parquet précise : « Ne laissez pas penser que le parquet de Paris prolonge les gardes à vue des gens qui n’ont rien fait. » Ben si, mon gars, c’est exactement ça. Ce qui est un peu ennuyeux, c’est que dans le Code pénal, ça porte un nom : la séquestration arbitraire. Infraction prévue et réprimée par l’article 224-1 que l’on va se faire un plaisir de citer : « Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. » Deux petites observations : en-deçà de sept jours de détention arbitraire cela cesse d’être un crime pour redevenir un délit (5 ans, 75 000 €). Ensuite ce ne sont pas les policiers qui sont visés mais bien ceux qui donnent des ordres aussi manifestement illégaux, c’est-à-dire le patron du parquet de Paris et les magistrats qui ont relayé ses ordres. Ce qui est quand même assez ennuyeux lorsque l’on lit l’article 432–4 du Code pénal, qui incrimine précisément les atteintes à la liberté individuelle commise par les dépositaires de l’autorité publique, ce que sont les magistrats du parquet. On citera pour la forme l’article 5 de la CEDH qui définit cette liberté individuelle d’aller et venir.

On va me dire que je pinaille. C’est à tort. Le parquet, autorité de poursuite, a la mission constitutionnelle de veiller au respect de la loi et de saisir la justice si elle est violée. S’il commençait par la violer lui-même, sa légitimité volerait en éclats. On va me dire aussi que les personnes arbitrairement séquestrées pourraient saisir la justice d’une plainte fondée sur les articles du Code pénal cités. Excellente idée ! La plainte devrait être adressée au procureur du tribunal de grande instance de Paris, sous l’autorité duquel ces consignes ont été données. On imagine sa célérité.

L’interdiction de manifester au menu de la loi anti-casseurs

Après avoir dit du mal des magistrats du parquet de Paris, retournons nous maintenant vers les parlementaires LREM, qui s’apprêtent à adopter une énième loi anti-casseurs. Ces textes qui abîment jour après jour les libertés publiques dans notre pays. On notera d’ailleurs qu’il s’agit d’un texte proposé par les Républicains (LR) qui méritent un ban pour cette démonstration de leur caractère indécrottable.

L’ensemble de ce texte est profondément liberticide, mais il y a un article qui sort du lot. Il s’agit de l’article qui donne le pouvoir au préfet d’interdire à des citoyens de manifester pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois et éventuellement sur la totalité du territoire national. Un certain nombre d’esprits libres, toutes tendances confondues, se sont élevés contre cet arbitraire qui n’avance même pas masqué. Le droit de manifester est une liberté protégée par la Constitution. Ce pouvoir d’en interdire l’exercice a priori donné au pouvoir exécutif est inconstitutionnel. Il est également inconventionnel car contraire à la Convention européenne des Droits de l’Homme signée par la France. Il peut exister des abus du droit de manifester mais, comme pour la liberté d’expression, le contrôle se fait a posteriori. Ensuite, cette interdiction personnelle de manifester est une sanction et, dans un pays démocratique et civilisé, toute sanction doit être prononcée par un juge. Le fait qu’elle le soit par une autorité exécutive est le critère même de l’arbitraire. Et que l’on ne vienne pas prendre l’exemple des supporters interdits de stade, cela n’a rien à voir avec la liberté constitutionnelle de manifester, mais avec le droit d’aller dans un lieu privé pour une manifestation privée où l’organisateur ne souhaite pas votre présence.

Juges et parti

Trois juges sont concernés par ce que l’on peut qualifier de loi scélérate et par son application. Le juge constitutionnel d’abord, à qui elle sera probablement soumise ; le juge administratif ensuite ; et le juge pénal enfin car cette loi comprendra un volet pénal. Le Conseil constitutionnel présidé par Laurent Fabius, en totale connivence idéologique avec le macronisme, n’y verra probablement aucun inconvénient, comme il l’a fait avec la loi fake news. Le juge administratif, lui, pourra être saisi d’un référé-liberté pour contester une interdiction notifiée par un préfet : je connais parfaitement ces procédures pour les avoir pratiquées et je peux témoigner de la quasi impossibilité pour le simple citoyen de se lancer dans ce genre d’aventure. Ensuite, le juge administratif devra appliquer la loi telle qu’elle est, et donc examiner en urgence la valeur des critères utilisés par le préfet dans un débat contradictoire où l’État sera présent. On peut d’ailleurs craindre une objectivité très relative de ce type de juge, souvent passé par les mêmes écoles que les hommes et les femmes au pouvoir. Enfin, le juge pénal, pour ceux qui auront ignoré l’interdiction (six mois de prison et 7500 € d’amende).

J’avais récemment au téléphone un ami, électeur fidèle du PS, à qui j’expliquais le caractère très inquiétant de toutes ces dérives, et qui me répondit : « J’ai été sur un rond-point, il n’y avait que des beaufs. Il est normal que l’État se protège contre eux y compris avec ces moyens. Et s’il y a des illégalités comme tu dis, ils n’ont qu’à saisir le juge… » Excellente idée.

J’ai raccroché.



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