Le patriarche des belles-lettres françaises, prix Nobel de littérature (1947), était une célébrité mondiale. Mais aussi un pédéraste notoire attiré par les jeunes hommes, ce que le monde d’aujourd’hui traduit par prédateur sexuel. Cela explique sans doute le silence qui entoure le 70e anniversaire de sa mort.
Gide, ça vous dit quelque chose ? « Familles, je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possession jalouse du bonheur »… Il y a dix ans, Frank Lestringant lui consacrait une monumentale biographie. Son titre ? André Gide l’inquiéteur. En 2021, il faut croire que Gide n’inquiète plus personne. Au pays des commémorations votives, pas un officiel pour célébrer il y a deux ans l’anniversaire de sa naissance, le 22 novembre 1869. Dès lors, on se serait douté que le 70e anniversaire de sa mort (18 février 1951) passerait également à la trappe. Et voilà, la date est franchie : rien ! Au plan national, l’écrivain est sorti des radars mémoriels. À Marseille, le Mucem consacrait en 2009 une exposition à… Giono. Giono, pourquoi pas ? Mais pourquoi pas, plutôt, une grande manifestation du genre : « Gide et l’Afrique » ? La diversité y aurait trouvé son compte. Car, franchement, face à Gide, l’auteur provençal de Que ma joie demeure, n’est-ce pas roupie de sansonnet ? Certes, à Paris, la BNF s’est fendue d’un colloque, en lien avec l’Association des amis d’André Gide. Le 22 novembre 2019, pile-poil à la date anniversaire du trépas, sous l’intitulé « Un intellectuel engagé pour son temps et le nôtre ». Saurait-on faire plus casse-pieds ? Plus savoureux, Gallimard a publié – pavé promis à ne passionner que les seuls « gidiens » de cœur – l’énorme, instructive, émouvante correspondance entretenue de 1890 à 1943 entre le cher André et son très érudit beau-frère, l’universitaire et écrivain Marcel Drouin – encore moins gâté que lui par la postérité. Bien peu, en somme !
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Jean Cocteau, en 2003, avait eu droit, lui, à l’hommage posthume d’une exposition géante au Centre Pompidou : Jean le touche-à-tout fourgue à la postérité son cinéma, ses dessins, ses romans, ses pièces de théâtre… Plus glamour que Gide, Cocteau, c’est sûr. Pour autant, serait-il de plus gros calibre que son aîné ? Autre exemple : cette année, pour le 150e anniversaire de sa naissance, Marcel Proust, exact contemporain de Gide à deux années près, se voit gratifié d’un supplément du journal Le Monde, d’un « Cahier de L’Herne » à lui consacré, et cætera. Sans compter, Gallimard en tête de gondole, l’exhumation, sous les auspices du regretté Bernard de Fallois, de ces mythiques Soixante-quinze feuillets, et autres manuscrits inédits. Cohorte des exégètes au garde-à-vous, « couverture médiatique » post-mortem sans équivalent aujourd’hui pour aucune figure du patrimoine des belles-lettres !
