On lit et on boit frais à Saint-Tropez 1/2


On lit et on boit frais à Saint-Tropez 1/2

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À bout de souffle

Félicien Marceau, c’est Belmondo dans L’Homme de Rio. Son héros, Nicolas de Saint-Damien court sur trois cents pages dans un roman oublié de 1989 au titre mal choisi d’« Un oiseau dans le ciel ». Nicolas s’échappe de son milieu ouaté pour vivre sa vie, pour enfin exister, reprendre une liberté dont il ignore les frontières et les délices. C’est Alice au pays des Pieds Nickelés, Candide chez Mocky, Duras dans la villa de Max Pécas. « Explorateur du vingtième arrondissement, garçon d’étage dans le Surrey, garde du corps d’une infante modèle mexicain, héros d’un enlèvement hautement politique et témoin dans l’enquête subséquente, autant d’expériences certes intéressantes et qui, à son idée, l’avaient fait bien avancer dans son initiation au monde ». Une quête aussi picaresque qu’intimiste. On ne dira jamais assez le plaisir immense de (re)lire Marceau. L’intrigue virevolte d’un château-hôtel gothique anglais aux îles grecques, une douce ironie plane dans l’air, les dialogues crépitent et l’amertume des existences bien réglées vole en éclats.  Marceau, sous un aspect bourgeois, était de la dynamite révolutionnaire. Son écriture bouillonne, ses mots piquent, ses pensées transpercent. Ce trublion excellait dans la satire aux belles manières.

Il savait tout faire, du théâtre absurde au brûlot sentimental. Ce poseur de mines, catcheur en smoking, avait pris refuge chez les Immortels un peu par hasard, car avouons-le, l’Académie compte peu de vrais romanciers et les stylistes n’ont pas souvent les honneurs du Quai Conti. Beaucoup de professeurs bardés de diplômes, peu d’intelligence rayonnante et d’écrivains « naturels ».

Un oiseau dans le ciel de Félicien Marceau – Folio

 

On revient toujours à Burma

Il y a une malédiction Léo Malet (1909-1996). A quinze ans, vous lisez un Burma dans l’ennui de l’été et puis vous vous enfilez tous les Nouveaux Mystères de Paris sans vous arrêter. Vous avez reçu la lumière divine. Fiat lux ! Ce privé aurait pu seulement être une lecture d’adolescence, un compagnonnage de gare, aussi éphémère qu’une faveur de madone des sleepings. Seulement, vous êtes pris au piège de cet anar canaille, Hélène vous fait déjà du gringue et le commissaire Faroux, Florimond de son prénom, vous tient en garde à vue. Vingt-cinq ans plus tard, lesté d’une imposante bibliothèque aussi savante qu’inutile, vous revenez toujours à Burma, à ces plaisirs populaires, à ces lectures d’après-midi sous un cagnard de campagne.

En gastronomie, c’est pareil, vous avez mangé de la truffe, du homard, des mets raffinés et seul le fromage de tête vous fait saliver, chavirer. Léo Malet a des manières brusques qui vous plaisent quand il répondait à un Pivot, propret, genre premier de la classe : « Je suis rétro à bloc. Je ne comprends rien aux gens qui m’entourent ». Ce réactionnaire, mauvais coucheur, graine de délinquant possède un charme foutraque qu’un Maigret, réglé comme du papier à musique, n’aura jamais. Une psychologie bancale, quelque chose de français, de provoc’ et de foncièrement mélancolique. Burma ne croit en rien, ne possède rien, n’attend rien. La tête dure, la parole libre, ça change des écrivains de salons à la conversation translucide. Alors par où commencer dans cette œuvre imbibée au vitriol ? 120, rue de la gare publié en 1943 ou Nestor Burma dans l’île de 1970 ? Je vous conseille Nestor Burma revient au bercail, millésime 1967, tonique, explosif, résolument tourné vers la nostalgie. Il y est question d’une fille disparue, de l’OAS et d’un retour aux sources pour l’auteur natif de Montpellier. Suivez le détective de choc, l’enfant prodigue d’une ville au passé trouble : « Nestor Burma est de retour, pétillant de pensées folichonnes ».

Nestor Burma revient au bercail de Léo Malet – Fleuve Noir

 

Sexe et mensonges

Au début des années 80, quand vous étiez en âge de lire, deux écoles s’offraient à vous. Les lectures académiques imposées par la morale républicaine, des bouquins imbitables sélectionnés par quelques technocrates aussi mauvais pédagogues qu’hédonistes refoulés et les lectures de plaisir. Celles qui vous faisaient pédaler frénétiquement sur votre bicross Motobécane jusqu’à la librairie du village pour acheter un précieux Folio junior. Ça pétillait dans les tourniquets ! Les couvertures aussi colorées qu’une poignée de Dragibus vous mettaient en transe. Le trait faussement naïf de Sempé ou l’impétueux crayonné de Quentin Blake (qui expose ses œuvres à la Galerie Martine Gossieaux dans le VIIème arrondissement jusqu’au 2 octobre 2014) vous arrachaient les belles pièces de 10 francs Mathieu de votre porte-monnaie. Il vous les fallait tous, la série des Petit Nicolas et les contes déjantés de Roald Dahl. Ces deux-là, Goscinny et Dahl, bien secondés par leurs illustrateurs, ont fait plus pour la lecture que n’importe quelle circulaire du Ministère. Et puis, en grandissant, en troquant votre bicyclette pour un scooter MBK, vous avez recroisé le chemin de ce gallois insaisissable, écrivain aventurier comme tout bon sujet de sa Majesté. La biographie touffue de Roald Dahl (1916-1990), tour à tour, pilote de la RAF, diplomate, marié à une actrice, gloire mondiale de l’édition jeunesse, avait de quoi vous extraire de votre léthargie lycéenne.

C’est là que vous avez découvert qu’en dehors de Charlie, de Maître Renard ou de James, Roald Dahl avait écrit des nouvelles et des romans pour adultes. Vous n’en doutiez pas car ses livres destinés au jeune public comme on dit aujourd’hui ne l’étaient pas vraiment. Dahl ne compartimentait pas ses lecteurs. Il y a assez de folie, d’invention, de rire et de moquerie pour attirer à lui tous les publics. Mon oncle Oswald paru en 1979 en Angleterre et traduit en France en 1981 est certainement la pièce maîtresse de son œuvre, un roman jouissif, la garantie de crampes à l’estomac. Cette histoire scabreuse autour de l’invention d’une pilule aphrodisiaque est littéralement dingue. Dahl, c’est un Benny Hill hilarant, un John Steed priapique, un Tory derviche tourneur. Irrésistible. Ce roi de l’humour à l’anglo-saxonne dégoupille des grenades à chaque paragraphe. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager les premières lignes de ce roman : « Voici qu’à nouveau j’éprouve le besoin de rendre hommage à mon oncle Oswald. Je veux parler, bien entendu, du regretté Oswald Hendryks Cornelius : le connaisseur, le bon vivant, le collectionneur d’araignées, de scorpions et de cannes, le passionné d’opéra, l’expert en porcelaines chinoises, le séducteur de ces dames, et sans nul doute le plus grand fornicateur de tous les temps. Je sais, d’autres personnages célèbres ont prétendu à ce titre de gloire, mais ils se retrouvent simplement couverts de ridicule quand on compare leurs prouesses à celle de mon oncle Oswald. Je songe en particulier à ce pauvre Casanova ».

Mon oncle Oswald de Roald Dahl – Gallimard

*Photo: OJO Images / Rex Featur/REX/SIPA.REX40156634_000001



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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