Connaissez-vous Albert Paraz ? Il y a hélas assez peu de chance, à moins d’être célinien et d’avoir eu la chance de tomber sur la réédition du Gala des vaches par Balland dans les années 1970, à une époque où les éditeurs de gauche, tout en résistant à la censure pompidolienne qui taxait Sade et l’interdisait d’exposition, n’hésitaient pas à publier des auteurs classés à l’extrême droite lorsqu’ils leur trouvaient un intérêt littéraire, documentaire ou tout simplement parce que tel était leur bon plaisir. Inimaginable aujourd’hui. Parmi ces livres d’infréquentables, Le gala des vaches d’Albert Paraz racontait l’amitié de son auteur avec Céline. Paraz y donnait des lettres de l’auteur du Voyage et intercalait des attaques au lance-flammes contre l’épuration qui avait fait fuir son ami au Danemark.
Sachant que ce livre a été publié en 1948, on comprendra la rapidité avec laquelle Paraz, anticommuniste viscéral comme seuls le sont les libertaires, s’est retrouvé sévèrement tricard.
Faire bouillir la marmite
Plutôt de gauche avant 1940, radicalement pacifiste, il avait même écrit deux romans ayant pour personnage Bitru, archétype du français moyen et débrouillard au moment du Front Popu. Ses premiers romans avaient plu à Prévert qui avait invité Paraz à travailler sur leur adaptation. Cela donnera L’arche de Noé, un film de 1947.
Mais les héros de la vingt-cinquième heure et la peur panique d’une dictature stalinienne en France ont fait virer Paraz chez les maudits de l’extrême droite. Et comme cet ancien ingénieur avait besoin de faire bouillir la marmite autrement que par les tickets de rationnement, il s’est décidé à faire ce que tout le monde faisait à l’époque : écrire du polar.
Paraz a été fasciné par le succès de la Série Noire qui commençait sous la houlette de Marcel Duhamel à faire connaître des auteurs américains comme Sam Spade et Philip Marlowe, débarqués en France dans la foulée du 6 juin 1944, de la liberté, du chewing-gum et des bas nylon.
Mais il était aussi, en bon célinien, un écrivain de tradition rabelaisienne, un de ceux qui aiment faire jouir le français et le trainer dans les bas fonds comme une bourgeoise qu’on a fait trop boire pour la forcer à s’encanailler. A l’époque, Paraz avait sous les yeux un bel exemple desynthèse réussie entre la Série Noire et la langue verte bien de chez nous : c’était Frédéric Dard et son San Antonio qui commençaient à connaître une célébrité grandissante.
Écumeur de bordels
Pourquoi pas moi ? s’est dit Paraz avec raison. Il a donc créé le personnage de Gorin, moitié espion, moitié indic, grand écumeur de bordels et de bistrots. Gorin apparaît dans Une fille du tonnerre que vous ne trouverez plus qu’à prix d’or chez les bouquinistes, puis poursuit ses aventures dans Petrouchka, une suite qui peut se lire indépendamment du premier et que L’Age d’homme réédite ces temps-ci. On se demande d’ailleurs qui, mis à part le regretté Vladimir Dimitrievic mort il y a quelques semaines et à qui il a été rendu hommage ici, aurait eu le courage et l’intelligence de rééditer Paraz par les temps qui courent ou plutôt par les temps qui rampent.
Ne cherchez pas dans Petrouchka une intrigue qui se tienne. Gorin, improbable James Bond se ballade de maison closes en kolkhozes et médite autant sur la chiennerie des hommes, des femmes, des communistes et des politicards de la IVème république qu’il tâche de mener à bien sa mission assez floue au demeurant.
Non, ce qui est gouleyant dans ce Petrouchka, c’est le plaisir du texte, c’est la langue inventée par Paraz pour son Gorin au pays des Soviets auprès de qui les aventures de Rocambole sont un modèle de vraisemblance.
Il faut dire que lorsqu’il écrit Petrouchka, Paraz qui n’est pas en grande forme, les éponges déjà mitées par la tuberculose, s’est adjoint les services d’un jeune truand, ancien résistant, qui sort de taule, lui aussi pour des raisons tubardes. Il s’appelle Michel Boudon et Paraz l’a repéré quand ce dernier lui a envoyé des lettres du sanatorium. Michel Boudon, bientôt, changera de nom. Il sera mieux connu sous le nom d’Alphonse Boudard.
On voit donc que tout ça est une jolie affaire de famille.
Une famille infréquentable, mais franchement du tonnerre.
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