Meir Dagan, ancien directeur du Mossad (de 2002 à 2010), s’est à nouveau opposé dimanche sur la chaîne américaine CBS News à des frappes préventives israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes[1. « U.S. Faces a Tricky Task in Assessment of Data on Iran », New York Times, 17/03/2012].
« Il faut explorer toutes les autres solutions », estime-t-il à l’instar des dirigeants américains et contre l’avis de Benyamin Netanyahu et Ehud Barak.
S’il n’exclut pas une intervention militaire, c’est seulement en dernier ressort et avec l’appui concerté des États-Unis. La communauté internationale, selon lui, devrait en priorité dissuader l’Iran d’orienter son programme civil vers un programme militaire. La « méthode Dagan » pour y parvenir : un renseignement de haute qualité et la retenue dans la démonstration de force.
La sortie de Meir Dagan coïncide avec la visite du Premier ministre israélien à Washington. A la tribune de l’AIPAC, Netanyahu a redit sa défiance vis-à-vis des allégations d’un Iran nucléaire pacifiste : « il est impossible de croire que le régime le plus dangereux du monde n’utilisera pas l’arme la plus dangereuse du monde ». Pour lui, Israël « ne doit pas permettre que ceux qui cherchent [son] anéantissement développent de telles armes. Un Iran nucléaire doit être arrêté ». Netanyahu a toutefois précisé lors de sa rencontre avec Barack Obama qu’aucune décision n’a été arrêtée par son gouvernement.
L’Iran des mollahs, un « régime rationnel »
Dagan a pris le contre-pied des discours récurrents qui prêtent aux Iraniens des intentions irrationnelles voire fanatiques. A son interlocutrice déconcertée, Dagan ajoute que « rationnel le président Ahmadinejad l’est tout autant mais à sa façon. »
Par là, il entend que « les Iraniens prennent sérieusement en considération toutes les implications de leurs actions. Ils savent qu’ils les paieront très cher. Ils font donc très attention, ils ne s’empressent pas. »
Une lecture confortée par des « fuites » récentes faisant état d’analyses convergentes entre les services américains (CIA) et israéliens (Mossad)[2. « U.S. Faces a Tricky Task in Assessment of Data on Iran », New York Times, 17/03/2012]. En l’état actuel des informations dont disposent ces agences, il ne serait pas prouvé que l’Iran a décidé de s’engager dans un programme non civil.
Toujours selon Meir Dagan, une opération imminente de grande envergure entraînerait « un embrasement régional aux conséquences incalculables. »
Partant il pointe plusieurs obstacles. Sur la question controversée des capacités tactiques d’Israël à mener cette offensive, il estime que le nombre élevé de cibles interdit à l’État juif d’attaquer seul.
De plus, les Israéliens essuieraient des ripostes sur plusieurs fronts : ripostes provenant des Iraniens eux-mêmes mais aussi de leurs supplétifs au Liban (Hezbollah) et à Gaza (Hamas).
Il estime ainsi que les pertes subies par les Israéliens seraient bien supérieures à ce qu’annoncé par l’état-major. Sur ce point, il semble en phase avec l’opinion du pays qui rejette à 58% la perspective d’une opération sans appui américain[« Haaretz poll: Most of the public opposes an Israeli strike on Iran », Haaretz, 8/03/2012].
Enfin, il souligne qu’une intervention préventive, même couronnée de succès, n’aboutirait qu’à « ralentir le programme iranien et non à le faire cesser. » Dagan se dit en outre confiant dans la parole du président Obama qui vient de réitérer devant le Premier ministre israélien son refus inflexible de voir l’Iran accéder au nucléaire militaire. Dans cette hypothèse, la menace iranienne ne pèsera d’ailleurs pas uniquement sur l’État hébreu mais sur la communauté internationale qui devrait en tirer toutes les conséquences.
Dagan, l’architecte d’une guerre de l’ombre
L’ancien espion est considéré comme l’un des meilleurs directeurs du Mossad, en dépit de ses prises de parole parfois hétérodoxes, selon certains.
Ainsi enfreignant son devoir de réserve, il a défendu publiquement l’Initiative de paix arabe, sur laquelle Israël ne s’est jamais officiellement positionné.
Parallèlement, il a été surnommé par la presse arabe le « Superman israélien » en raison des succès qu’il a accumulés pendant ses fonctions.
Cependant, si Dagan fait preuve d’une prudence inaccoutumée quant à l’opportunité de frappes préventives, il est réputé pour être le stratège d’une guerre de l’ombre impitoyable visant notamment des personnes impliquées dans le programme iranien (stratégie reprise par son successeur Tamir Pardo).
– Téhéran lui attribue l’assassinat non revendiqué de plusieurs physiciens nucléaires (Ardeshir Hassanpour en 2007, Majid Shahriari et Mohammed Ali Mohammadi en 2010, Dariush Rezaei en 2011 et Mostafa Ahmadi Roshan en 2012).
– L’apparition en juin 2010 du virus Stuxnet conçu pour s’immiscer dans les infrastructures de contrôle des centrales et des usines a fait dire à certains observateurs qu’il s’agissait de la première « cyber-arme » de l’histoire. Oscillant entre les réactions embarrassées et agressives, l’Iran a commencé par nier les dommages subis par le virus saboteur Stuxnet, pour finalement les reconnaître.
– En décembre 2011 une usine d’acier à Yazd subissait une explosion mystérieuse puis une raffinerie d’Ispahan déplorait des dysfonctionnements inexpliqués.
Si ces opérations n’ont évidemment pas mis un terme au programme iranien, elles l’entravent et sèment une relative inquiétude quant à la sécurité physique de ceux qui y travaillent et font douter des capacités du régime à sécuriser les sites.
Tentatives dérisoires de rétorsion en Asie
Par ces actions spectaculaires, le Mossad de Meir Dagan a démontré que le territoire iranien est pour lui un terrain de jeu comme un autre où il dispose d’intermédiaires bien introduits. A l’inverse, les Iraniens ne sont pas parvenus à infiltrer le territoire de l’État hébreu.
Pour preuve le semi-échec des attentats anti-israéliens menés en février dernier en Géorgie, en Thaïlande et en Inde :
– à Tbilissi, l’attentat a été déjoué ;
– à New-Delhi, un diplomate israélien et son chauffeur ont été légèrement blessés ;
– à Bangkok, une des bombes a explosé entre les mains des terroristes, deux autres ont été lâchées dans la rue contre la police et la quatrième a été désamorcée… La police thaïlandaise a indiqué que deux des trois auteurs détenaient des passeports iraniens.
Deux stratégies qui s’affrontent ou qui se complètent ?
Si la stratégie feutrée de l’ex-chef du Mossad rencontre un tel succès comment expliquer les accents martiaux provenant de Benyamin Netanyahu ?
Certains y verront l’expression publique de dissensions irréconciliables au sein de l’establishment militaire quant à l’approche à adopter face à l’Iran.
D’un côté, Dagan estime qu’il faut favoriser un changement de régime pacifique en Iran, par la voie du soutien aux minorités et à l’opposition démocratique au régime. Et qu’il ne faudra intervenir militairement qu’en dernière instance et avec l’appui logistique des Américains.
De l’autre, Amos Yadlin (général de division aérienne et directeur d’Aman – l’agence de renseignement militaire) exhorte le pouvoir politique à intervenir avec ou sans « feu vert » américain. D’après lui une fenêtre d’opportunité est actuellement ouverte qu’Israël ne doit pas manquer. Si l’État juif tarde à agir, les capacités iraniennes seront renforcées et les espoirs de pouvoir intervenir seul douchés. Il convoque les précédents irakien et syrien. Pour mémoire les opérations contre la centrale irakienne d »Osirak (en 1981) et le réacteur syrien (en 2007) ont irrévocablement torpillé lesdits programmes nucléaires.
Pour Dagan, on l’a bien compris, il est hors de question qu’Osirak fasse jurisprudence.
Ainsi au flou entretenu par les Iraniens sur leurs intentions, répond mécaniquement ce qui peut passer pour une valse-hésitation du gouvernement israélien. Il ne faut cependant pas se laisser abuser par les apparences. Dans le conflit qui l’oppose à l’Iran, Israël détient de multiples cartes (militaire, diplomatique, économique, ..) qu’il peut alternativement abattre selon les circonstances et leur évolution. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’entretien de Dagan à CBS News et la tribune d’Amos Yadlin au New York Times[4. Amos Yadlin, « Israel’s Last Chance to Strike Iran », New York Times, 29/02/2012]. A quelques jours d’intervalle, les deux maîtres espions ont présenté non pas deux stratégies divergentes mais plutôt complémentaires.
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