Voilà un film authentiquement féministe, au sens que prenait le mot avant sa mise à sac par les Amazones du woke.
Rejeton de la classe moyenne philippine, Bona, une cruche de bonne famille, se brouille avec son paternel, vieux con colérique qui traite sa fille de pute parce qu’elle a découché avec Gardo, un adipeux « jeune premier » qui, aux heures où il ne traîne pas entre quatre murs sa nudité paresseuse, à peine vêtu d’un éternel slip rouge, cachetonne comme figurant sur des navets, en se rêvant star du grand écran. Chassée du domicile familial, Bona élit domicile dans le gourbi de Gardo, tout en croyant au grand amour. Sauf que Gardo est un coureur, et ne tarde pas à la traiter comme sa bonniche.
Dans le rôle de Bona, une star du cinéma philippin, Nora Aunor, actrice fétiche du grand réalisateur Lino Brocka, également productrice du film, vénérée des classes populaires dont elle est elle-même issue. Comme le souligne Carlotta (le distributeur de ce petit joyau de 1980 restauré en 4K, que Cannes Classics puis l’Etrange festival de Paris, présentaient en avant-premières), par un singulier renversement de situation, Lino Brocka désacralise le statut de Nora Aunor en lui offrant le rôle d’une fille qui, aveuglée par l’amour, sacrifie tout ce qu’elle a (sa famille, sa classe sociale) pour se rapprocher de sa piteuse idole.
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Comme dans Insiang ou Manille, le cinéaste excelle à ancrer son mélodrame dans le décor bien réel d’un bidonville philippin, filmé en quasi- huis clos sans jamais verser dans le misérabilisme, et de façon presque documentaire. Dans Bona, il est beaucoup question d’ablutions : les gosses barbotent dans les flaques ; il n’y a pas d’eau courante ; on se lave comme on peut, avec des brocs. Mais tout le monde n’aime pas l’eau froide. À commencer par Gardo, qui exige de son esclave qu’elle lui chauffe d’abord son bain, le frictionne, etc. Ayant mis en cloque une adolescente, il ira jusqu’à rançonner Bona pour payer l’avorteuse, laquelle, ponction accomplie, recommande des lavements tièdes à la mioche vacillante sur ses guibolles.
Jusqu’au bout, Bona subit – révolte rentrée, qui explose parfois, se reportant sur les salopes que s’envoie le raté, veule au point de s’apitoyer sur lui-même à chaudes larmes. Mais quand in fine il prétend la chasser, mettre en vente son taudis et, flanqué de sa dernière pouliche, s’exiler aux States, la bouilloire chauffée au gaz fait des bulles… Le dénouement, soudain, abrupt, tragique, sans phrases, laisse pantois.
Bona. Film de Lino Brocka. Avec Nora Aunor. Philippines, couleur, 1980.
Durée: 1h37. En salles le 25 septembre 2024
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