L’accueil inconditionnel des immigrés est devenu une religion. Quand les prophètes du camp du Bien prêchent la belle «ouverture à l’Autre» face au vilain «repli sur soi», d’autres dévots nourrissent une haine de la France, éternellement coupable de son passé, et dont la rédemption passe par les nouveaux venus.
Les débats relatifs à l’immigration ont acquis, en France, le caractère radical d’une guerre de religion. Pour une partie de la population, l’accueil inconditionnel des immigrés constitue un devoir sacré. La majorité de la population, qui regarde de façon pragmatique les effets de l’immigration, s’étonne. Comment faire fi de la montée de diasporas produisant des contre-sociétés dont les membres ne se sentent guère citoyens français, contrôlent des territoires devenus des hauts-lieux de trafics et de violence et en chassent progressivement ceux qui n’appartiennent pas aux « minorités »[1] ? C’est que des sentiments très forts habitent les dévots de l’immigration. Les uns détestent la France historique et comptent sur les immigrés pour la subvertir (et la régénérer), d’autant plus qu’ils refusent de s’assimiler. Pour d’autres, l’accueil inconditionnel constitue la pierre de touche de l’appartenance au camp du Bien tel qu’il a pris forme dans un contexte postmoderne.
Une haine de la France historique
Le lien entre la sacralisation de l’immigration et la haine de la France historique se donne à voir d’une façon particulièrement patente dans un rapport officiel de 2013: « La grande nation pour une société inclusive ».[2] L’objet du ressentiment est la France du passé, avec ses traditions, son attachement à la patrie, que l’auteur, conseiller d’État, poursuit de ses sarcasmes. « Empilons sans crainte – ni du ridicule ni de l’anachronisme – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation Française ! Patrie ! Identité ! France ! » Ce vocabulaire, se distinguant par « son archaïsme et sa boursouflure », relèverait de « généralités majuscules de bronze, plus creuses qu’une statue de fer-blanc ». Les dénonciations pleuvent : « un stock fini de cathédrales et de musées où périclite une identité nationale passée, sans présent ni avenir », une France « repliée sur la célébration de ses archaïsmes », une politique qui « cherche des dérivatifs dans la rumination du passé », « la frénétique invocation du drapeau », ou encore les « images d’Épinal jaunies et flétries » du « roman national » fêté « avec nostalgie et amertume ».[3]
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À l’égard de ceux qui la rejoignent ou tentent de le faire, la société française serait profondément coupable de s’enfermer dans son passé. Elle est marquée par une « xénophobie archaïque », une « atmosphère de crainte, de suspicion, de mépris ». Elle traite de manière indigne « toutes les générations françaises » qui « aujourd’hui encore, par leur couleur, leur patronyme, leur foi, voire leur cuisine, leurs vêtements, leurs chants, sont rejetées, tenues à l’écart, cantonnées ou évitées ». Elle fabrique en son sein « les parias, les ilotes, les affranchis, sans citoyenneté ni liberté ». Et c’est parce qu’elle « n’est pas clémente à ceux qu’elle appelle étrangers », que « trop souvent ils clament en retour malaise ou détestation ».[4]
Dans ces conditions, la société devrait se laisser transformer par les nouveaux venus. Il est scandaleux de faire de ceux qui la rejoignent « les objets d’un usinage, le matériau d’une machine à mouler les Français, dont les ratés seraient dus au fait qu’il refuserait la fonte, le creuset », de les traiter « comme un matériau, dont on doit redresser les défauts, une pâte inanimée, qu’on va triturer, avec générosité mâtinée de condescendance, une fermeté mêlée de distance ». C’est en faisant place à une immigration qui refuse de s’assimiler que l’on construira une nation « joyeuse, multiple, ouverte, et non obsédée par des périls imaginaires ou des projets liberticides et absurdes, qui méconnaissent la réalité du monde », que l’on échappera au « rapetissement de la France », au «rabougrissement de son âme généreuse».[5]
Pour les tenants de ce courant, l’immigration est d’autant plus bienvenue qu’elle sème plus la perturbation dans la France « franchouillarde ». Accueillir l’immigration européenne, qui tend à s’assimiler, est sans intérêt, mais l’immigration venue du Sud, qui refuse cette assimilation, est riche de promesses. Ainsi, comme le note Pierre Manent, la « présence non entravée de l’islam » a d’autant plus de portée « qu’il a été au long des siècles l’ennemi par excellence de la chrétienté et que ses mœurs sont aujourd’hui les plus éloignées de celles de l’Europe des droits de l’homme »[6] On a là un ressort majeur de l’islamo-gauchisme.
Appartenir au camp du Bien
À côté de ces combattants pleins de haine, on en trouve d’autres animés par un esprit de paix. Leur horizon est l’avènement d’une société ouverte à la diversité des cultures, des religions, des choix de vie, marquée par la tolérance, le respect et le dialogue. Le péché suprême est pour eux de « stigmatiser » l’une ou l’autre des composantes de la société. Si telle ou telle d’entre elles semble ne contribuer qu’avec réserve à l’édification d’une société pacifiée, cela résulte du fait qu’on l’a mal comprise, mal connue, que l’on interprète mal ce qu’elle donne à voir. Pour leur part, le monde ancien, l’héritage occidental, doit se contenter d’être une composante parmi d’autres, à égalité avec d’autres, d’un monde dorénavant métissé que l’immigration ne peut qu’enrichir.
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On trouve une parfaite expression d’une telle approche dans le fameux rapport Bouchard-Taylor[7] traçant des perspectives pour un Québec pleinement ouvert à la diversité des cultures et des religions. Il s’agit d’être fidèle à une perspective d’« ouverture à l’Autre » et de « parité », ce qui suppose d’abandonner un « imaginaire collectif fortement nourri de mythes d’enracinement » au profit de « perspectives de mobilité, de métissage », de mettre fin à « une forme d’assimilation douce à la culture canadienne-française ». Il convient que la société aménage « ses institutions, ses rapports sociaux et sa culture, de manière à susciter l’adhésion du plus grand nombre », en reconnaissant « aux membres des minorités ethniques » le droit « de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe », en comptant sur eux pour « enrichir substantiellement la mémoire québécoise en y adjoignant leurs propres récits ».
Cette vision de l’accueil des immigrés comme pierre de touche de l’appartenance au camp du Bien est particulièrement affirmée chez le pape François. Dans l’encyclique Fratelli Tutti, référence est sans cesse faite à une « communion universelle ». Il s’agit de « donner à notre capacité d’aimer une dimension universelle capable de surmonter tous les préjugés, toutes les barrières historiques ou culturelles, tous les intérêts mesquins ». Un « cœur ouvert », l’« ouverture aux autres » sont opposés sans cesse aux « doutes » et aux « craintes » qui « conditionnent notre façon de penser et d’agir au point de nous rendre intolérants, fermés ». Il suffirait d’être « ouvert » pour découvrir que « l’arrivée de personnes différentes, provenant d’un autre contexte de vie et de culture, devient un don, parce que les histoires des migrants sont aussi des histoires de rencontre entre personnes et cultures : pour les communautés et les sociétés d’accueil, ils représentent une opportunité d’enrichissement et de développement humain intégral de tous ».[8]
Dans cette optique, les différences entre les positions à l’égard de l’immigration sont interprétées en mettant en avant les attitudes de ceux qui accueillent, ouverts ou fermés, fraternels ou hostiles. C’est, par exemple, la perspective adoptée par un rapport de 2018 sur l’attitude des chrétiens à l’égard des migrants. [9] Il y est sans cesse question de l’opposition entre d’un côté « ouverture à l’altérité » et de l’autre « repli sur soi ». Les « catholiques libéraux », dont les perceptions et attitudes « sont globalement positives et bienveillantes envers les migrants », peuvent être considérés comme des « accomplis » » (p. 64). Pendant ce temps, ceux qui sont convaincus de « la nécessité de disposer de codes partagés et de points communs pour qu’une société fonctionne » sont présentés comme marqués par un « basculement vers l’hostilité » (p. 32).
Dans cette vision, l’accueil des immigrés témoigne d’autant plus de l’appartenance au camp du Bien qu’il ne pose plus problème et il convient d’accueillir particulièrement les immigrés qui refusent de s’assimiler.
Échapper au réel
Comment ces apôtres de l’immigration font-ils pour professer que les problèmes majeurs qu’elle pose n’existent pas ? Ils s’appuient sur un postulat, dominant dans un contexte postmoderne, selon lequel le regard porté sur la réalité sociale ne fait que refléter l’état psychologique et moral de ceux qui le portent. Cet état est supposé avoir un rôle hégémonique au point qu’il est exclu que les faits que l’observation met en évidence puissent un tant soit peu compter, aussi patents qu’ils puissent paraître. On se situe dans un registre transcendantal. Toute mise en avant de faits qui inciteraient à mettre en question l’égale valeur de tous les choix de vie, cultures et religions, les vertus de l’abolition des frontières, le bonheur du métissage, ne peut donc qu’émaner d’individus xénophobes, racistes, islamophobes. Prêter attention à de tels faits conduit à rejoindre le camp des réprouvés. Ce qui compte, quand quelqu’un prononce un jugement d’existence, n’est pas de savoir si celui-ci s’appuie ou non sur des données solides interprétées avec rigueur, si son propos est vrai ou faux, mais où il situe celui qui l’émet dans l’opposition entre le camp du Bien, formé de ceux qui sont « ouverts », « tolérants » et le camp du Mal, formé de ceux qui sont « fermés ». On retrouve ce qui se passait à l’époque où le fait d’affirmer l’existence du Goulag n’était pas considéré comme fournissant une information sur la réalité du monde soviétique, mais comme classant ceux qui s’y risquaient dans la catégorie réprouvée des « anticommunistes primaires ». Les adeptes de cette vision sont volontiers vindicatifs à l’égard de ceux qui ne les rejoignent pas. Ceux-ci, rejetés dans les ténèbres extérieures, sont volontiers taxés d’« ultraconservateurs », héritiers des « heures les plus sombres de notre histoire ». Le registre du pur et de l’impur est sans cesse manié, en dénonçant des manières d’être « nauséabondes », « rances », « fétides », etc., dès qu’on s’écarte du droit chemin. Dans cette vision, les immigrés de chair et d’os n’ont pas de consistance propre, de manière d’être et d’agir qui mériteraient qu’on y prête attention. Ils sont l’objet d’une sorte de transsubstantiation, qui les transforme en icône d’une entité transcendante, l’Autre. Ne pas les regarder ainsi, prêter attention aux aspects contestables de leur manière d’être, aux problèmes que peut poser le fait de coexister avec eux, relève d’une attitude impie. Cette figure sacrée s’oppose à la figure diabolique de celui qui rejette, discrimine ceux qui ne lui ressemblent pas. Traitant ceux en lesquels il ne devrait voir qu’une figure sacrée, objet d’un infini respect, avec le réalisme qui convient au sein d’un monde profane, ce dernier devient une figure du Mal
[1]. Philippe d’Iribarne, « Le triomphe des immigrés », Causeur, octobre 2021.
[2] Thierry Tuot, « La grande nation pour une société inclusive – rapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d’intégration », 11 février 2013.
[3]. Ibid., p. 10, 12, 15, 22, 68.
[4]. Ibid., p. 9, 10, 17, 20, 29.
[5]. Ibid., p. 12, 13, 18, 21.
[6]. Pierre Manent, Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015, p. 103.
[7]. Gérard Bouchard, Charles Taylor, « Fonder l’avenir : le temps de la conciliation », Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2008.
[8]. Fratelli Tutti, site Aleteia, 5 octobre 2020, p. 4, 29, 26, 28, 12, 39.
[9]. « Perceptions et attitudes des catholiques de France vis-à-vis des migrants » (juin 2018), rapport réalisé par More in Common pour la Conférence des évêques de France.
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