Même si de nombreuses études ont tenté de démontrer le contraire, il est vain de faire appel à l’immigration pour pallier au déficit des retraites dans les pays développés. Une analyse d’André-Victor Robert, auteur de La France au bord de l’abîme – les chiffres officiels et les comparaisons internationales (éd. L’Artilleur, 2024)
En dépit de ses effets délétères sur la cohésion nationale, l’immigration est présentée par certains comme un mal nécessaire, pour rééquilibrer la pyramide des âges de la population et ainsi assurer le financement des régimes de retraite.
La possibilité de réguler ou de redresser la structure par âge d’une population a été étudiée en détail, de manière mathématique, par Didier Blanchet, un éminent démographe de l’Ined, en 1988[1]. Dès l’introduction à son article, l’auteur indique que – sauf à envisager un flux d’immigration extrêmement élevé – les effets attendus seront au mieux du second ordre : « Un afflux de migrants dans les tranches d’âges actives à un instant donné peut certes résoudre temporairement un problème de déséquilibre entre population active et retraitée, mais lorsque ces migrants arrivent à l’âge de la retraite, le problème se pose à nouveau et risque de se reposer de façon aggravée. Le but de cet article est de montrer qu’il en est effectivement ainsi, que ce type de politique conduit en effet, de façon générale, à des cycles de flux migratoires de forte amplitude. » L’auteur montre même que pour des valeurs assez plausibles des paramètres de son modèle, un flux toujours plus important d’immigrés, qui tend vers l’infini, est nécessaire pour obtenir le résultat d’une structure par âge stable : cela s’apparente à vouloir remplir le tonneau des Danaïdes.
Preuves par l’absurde
Une autre méthode, pour étudier la possibilité de recourir à l’immigration pour contrer la tendance spontanée au vieillissement de la population d’un pays, consiste à projeter les évolutions futures de la population de ce pays, sous des hypothèses raisonnables de fécondité et de mortalité, et à calculer le nombre d’entrées de migrants – avec une répartition par âge des immigrants au moment de leur entrée supposée stable dans la durée – qui serait nécessaire pour stabiliser la structure par âge du pays. Les Nations Unies se sont livrées à un exercice de projections démographiques de ce style en 2000. Pour la France, le flux migratoire alors estimé nécessaire pour stabiliser le rapport entre la population d’âge actif et la population de plus de 65 ans était de 1,3 million de personnes (!) chaque année de 2010 à 2025 puis 2,4 millions de 2025 à 2050, ce qui est évidemment irréaliste (Michèle Tribalat, 2010). Accessoirement, ce scénario conduirait à un triplement de la population totale de la France d’ici 2050 ! Des flux migratoires encore plus importants seraient nécessaires dans les pays à fécondité faible comme l’Italie ou l’Allemagne. Le cas extrême était celui de la Corée du sud, pays à fécondité extrêmement faible (0,72 enfant par femme en 2023), qui ne réussirait à stabiliser ce ratio qu’en important sur l’ensemble de la période de projection l’équivalent de la population mondiale ! Ajoutons qu’il ne suffit pas de maintenir constant le rapport entre la population des 15-64 ans et celle des plus de 65 ans pour assurer l’équilibre des régimes de retraite : dans cette perspective, le taux d’emploi, c’est-à-dire la part de la population qui est en emploi, au sein des 15-64 ans, est tout aussi important. Or, en France, au sein de la population immigrée d’âge actif, le taux d’emploi des femmes est traditionnellement très faible, et le taux d’emploi des hommes est significativement en deçà du taux d’emploi des hommes autochtones.
Les projections des Nations Unies constituent donc une « preuve par l’absurde » de l’intuition exposée et développée mathématiquement par Blanchet (1988). Il est cocasse (ou triste) que certains responsables politiques (cela a été le cas – entre autres – de François Bayrou et de Jean-Paul Delevoye) aient retenu une lecture au premier degré des projections de l’ONU et en aient tiré argument pour prôner un recours accru à l’immigration, puisque ces projections montrent précisément en quoi la démarche est vaine.
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Xavier Chojnicki et Lionel Ragot ont tenté en 2012 de chiffrer l’impact sur le déficit des retraites de volumes d’immigration plus raisonnables. L’impact en est évidemment modeste, légèrement positif en l’occurrence, mais de manière transitoire, et instable à long terme, à l’horizon du départ en retraite des immigrés – ce qui là aussi est cohérent avec les travaux séminaux de Blanchet sur la question[2].
On peut aussi s’intéresser plus largement à l’impact des immigrés sur nos finances publiques, avec une approche comptable de la question, c’est-à-dire en tentant d’identifier ce que coûtent les immigrés et ce qu’ils rapportent. De nombreux travaux de chiffrage ont été menés sur cette question, sans jamais aboutir à un résultat solide, comme nous allons le voir, car le nombre d’hypothèses à émettre pour mener l’exercice est élevé et certaines de ces hypothèses ont un impact considérable sur les résultats. On peut ainsi arriver à peu près à n’importe quel résultat, fortement positif ou fortement négatif (entre -100 et +100 Md€ par an pour la France), en sélectionnant ses hypothèses de manière astucieuse.
Tout d’abord, quelles recettes / dépenses intégrer au calcul ? La prise en compte de l’impôt sur le revenu, des prestations sociales, des retraites et des dépenses d’éducation va de soi, toutes les études que nous avons pu consulter en tiennent compte, de manière plus ou moins précise. Mais faut-il aller au-delà et prendre en compte des dépenses telles que les effectifs de police et de justice nécessaires pour juguler ou traiter le surcroît de criminalité des immigrés, ou encore les subventions au logement social versées aux immigrés sous la forme de loyers inférieurs à ceux du marché locatif privé ? On rappelle que, au vu des statistiques régulièrement diffusées par les ministères de l’Intérieur et de la Justice, le pourcentage de personnes mises en cause dans des affaires délictuelles ou criminelles, ainsi que le pourcentage de personnes incarcérées, sont environ trois fois plus élevés pour les personnes de nationalité étrangère que pour celles de nationalité française (dont une partie est immigrée!). On rappelle aussi que la moitié des ménages d’origine maghrébine sont logés dans le parc social, alors que c’est le cas de « seulement » 15 % des ménages autochtones. Pourtant certaines études les excluent de leur champ d’investigation.
Certaines dépenses, comme la défense nationale ou les chaînes audiovisuelles de service public, ont le caractère de « bien public pur » au sens où leur montant dépend relativement peu du niveau de la population. Pour de telles dépenses, on peut soit en affecter la même quote-part à tout individu, qu’il soit autochtone ou immigré, soit les répartir entre les seuls autochtones au motif que les immigrés, quel que soit leur nombre, en bénéficient sans devoir faire subir un surcoût à la collectivité. Néanmoins, dans un pays comme la France où la majeure partie des immigrés qui arrivent – en dehors de ceux qui transitent vers d’autres pays – le font avec l’intention de s’établir durablement en France, et dont les enfants sont appelés à bénéficier de la nationalité française en vertu du droit du sol, est-il encore justifié de ne pas leur imputer une partie des dépenses relatives à la défense ?
Enfin et surtout, le calcul peut être réalisé sur une année donnée, ou sur une période de temps sensiblement plus longue, pouvant atteindre 50 ou 100 ans. Lorsque l’on raisonne à un instant donné, et si à ce moment-là le nombre d’immigrés est en croissance et que les migrants sont majoritairement d’âge actif (ce qui est le cas pour la France à présent), on néglige dans les calculs le fait qu’il faudra plus tard payer des retraites à ceux d’entre eux qui travaillent. Si l’on raisonne sur une période de long terme, il faut retenir un taux d’actualisation pour comparer les flux de recettes et de dépenses aujourd’hui et ceux à une date future, et le choix du taux d’actualisation (en général : le taux d’intérêt, mais lequel ?) a un impact considérable sur les résultats.
L’immigration : chaudement recommandée par l’OCDE
Les études qui tendent à faire apparaître un bénéfice comptable de l’immigration sont en général celles qui retiennent un périmètre relativement restreint de recettes et dépenses, et qui raisonnent sur un horizon de court terme plutôt qu’un horizon de long terme. Ainsi, l’étude de l’OCDE de 2021, largement commentée – mais de manière biaisée – dans les médias mainstream à l’occasion de sa sortie, qui raisonne uniquement en instantané, dégage-t-elle pour la France un solde très légèrement positif (+0,25 % du PIB) lorsque les biens publics ne sont pas pris en compte dans les calculs, mais sensiblement plus négatif (-0,85 % du PIB) lorsque ceux-ci sont pris en compte. Encore convient-il de signaler que l’étude de l’OCDE, par exemple, n’intègre : ni la sur-criminalité des immigrés, ni les subventions dont bénéficient ceux d’entre eux (nombreux) qui résident dans le logement social sous forme de loyers inférieurs à ceux du marché, ni les surcoûts en matière d’éducation que la France subit à devoir scolariser dans un dispositif spécifique les élèves immigrés allophones (dispositif qui concerne pas moins de 70 000 élèves d’origine étrangère), ni les aides sociales locales dont le décompte est – il est vrai – difficile !
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Par ailleurs, les études de sensibilité aux paramètres présentent l’intérêt de montrer que le solde recettes / dépenses pour la collectivité induit par la présence des immigrés dépend fortement (en instantané mais aussi à long terme) de leur niveau de qualification, ce qui est assez intuitif puisque ceux d’entre eux qui sont très qualifiés sont moins exposés au chômage et perçoivent des salaires plus élevés que ceux qui sont peu qualifiés : les premiers paient donc en règle générale davantage d’impôts et sont moins susceptibles de dépendre des aides sociales que les seconds. L’immigration de main d’œuvre est aussi a priori plus bénéfique du point de vue des finances publiques que l’immigration de regroupement familial, car dans le second cas la France doit supporter les dépenses d’éducation des enfants du foyer. En outre, si le conjoint est inactif, la famille est davantage exposée au risque de dépendre des aides sociales versées sous conditions de ressources. Or, la France, depuis soixante ans, n’est pas très regardante sur le niveau de qualification de ses immigrés, et son immigration est très majoritairement une immigration familiale plutôt qu’une immigration de main d’œuvre, de sorte qu’on peut penser que notre pays n’a pas retenu les options migratoires les plus à même de contribuer le plus positivement – ou le moins négativement – au solde des finances publiques.
En outre, le système de protection sociale français est relativement généreux en comparaison de celui d’autres pays européens, le risque existe en conséquence que les migrants peu employables et / ou peu désireux de contribuer à l’effort productif se dirigent préférentiellement vers la France plutôt que vers d’autres pays moins généreux. L’économiste américain George Borjas (1999) a mis en évidence l’existence d’un tel phénomène d’« anti-sélection » en matière migratoire dans le cas des états-Unis (entre Etats et comtés), il y a peu de chances qu’un tel effet n’existe pas aussi entre pays européens.
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Références
Blanchet Didier (1988) : « Immigration et régulation de la structure par âge d’une population », Population, n°2, pp. 293-309
Borjas George J. (1999) : « Immigration and the Welfare Magnet », Journal of Labor Economics, Vol. 17, n°4 ;
Chojnicki Xavier et Lionel Ragot (2012) : « Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale », Revue économique, Vol. 63, n°3, pp. 501-512 ;
OCDE (2021) : « Perspectives des migrations internationales », https://www.oecd.org/fr/publications/perspectives-des-migrations-internationales-2021_da2bbd99-fr.html
[1] Blanchet Didier (1988) : « Immigration et régulation de la structure par âge d’une population », Population, n°2, pp. 293-309
[2] Chojnicki Xavier et Lionel Ragot (2012) : « Immigration, vieillissement démographique et financement de la protection sociale », Revue économique, Vol. 63, n°3, pp. 501-512
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